Bâtons de trail et économie musculaire des jambes : une nouvelle étude étonnante
Si utiliser des bâtons de trail en montée n’économise pas nécessairement de l’énergie, voire même en fait dépenser plus, une nouvelle étude publiée début juillet confirme qu’ils peuvent économiser les muscles de vos jambes. Mais pas forcément autant que vous le pensez. Explications.
Nicola Giovanelli, skyrunner et chercheur en biomécanique
Né en 1985, Nicola Giovanelli a grandi avec le ski de fond qu’il pratique depuis son enfance. Durant les étés, il s’est mis à la course d’orientation, grâce à laquelle il a pu faire le tour du monde en participant à deux championnats du monde junior. Amoureux de la montagne et des sports exigeants, il s’est lancé dans le skyrunning à l’âge de 18 ans. Sa première course en montagne a été la Dreizinnen Alpine Run, une course uniquement en montée…
Il s’est ensuite essayé à du plus long avec la Sky Marathon, avant de faire ses débuts sur la Dolomite Skyrace, la course qu’il apprécie le plus. Il la qualifie d’essence même du skyrunning : une montée très dure et une descente technique à faire en apnée. Et malheur aux erreurs ! Ayant trouvé son bonheur dans le trail, Nicola Giovanelli a remporté sa première victoire au Cortina Trail en 2012, suivie de nombreuses autres. Parallèlement à sa pratique du sport, Giovanelli exerce en tant que chercheur en physiologie et biomécanique du sport. Il est également professeur de sciences motrices à l’Université d’Udine. C’est là-bas qu’il s’entraîne et fait de la compétition aujourd’hui.
Le tapis de course le plus raide du monde
Nicola Giovanelli est quelqu’un qui aime aller au bout des choses. Avec ses collègues chercheurs, il a ainsi modifié un tapis roulant pour pouvoir l’incliner à des angles allant jusqu’à 45 degrés. C’est-à-dire une pente de 100 %. Soit ni plus ni moins que le tapis roulant le plus raide du monde ! Doté d’une bande de course extra large, il permet à ceux qui pratiquent dessus d’utiliser des bâtons. Et toute cette installation n’a qu’un objectif : répondre à la question sans cesse débattue de savoir si les bâtons vous aident réellement à monter plus rapidement. Ou plus facilement.
Bâtons de trail en montée : ce que dit la science
Il existe de nombreux écrits, souvent contradictoires, sur l’utilisation des bâtons de randonnée en montée. S’il est impossible de statuer clairement, on peut néanmoins distinguer 2 axes de conclusion quasi unanimes : utiliser des bâtons vous fait brûler environ 20% d’énergie en plus, mais en retour, ils vous permettent de progresser plus vite, avec une foulée plus longue. De plus, dans certains cas, ils vous permettent de réduire votre perception de l’effort. Aucune mesure, en revanche, sur une possible économie musculaire au niveau des cuisses et des mollets.
De plus, ces observations ont principalement été faites sur des surfaces à peu près planes, ou très peu pentues, puisqu’aucun tapis ne propose des pentes suffisantes pour aller plus loin dans les recherches. Jusqu’à ce que Giovanelli bricole son tapis de course personnalisé pour tenter d’apporter des réponses à toutes ces questions concernant la montée avec des bâtons, sujet qui intéresse particulièrement les coureurs de montagne et de trail.
Caractéristiques de la nouvelle étude de Nicola Giovanelli
Lors de sa nouvelle étude, publiée début juillet 2023 dans le European Journal of Applied Physiology, Nicola Giovanelli a utilisé des chaussures avec des semelles équipées de capteurs de force, afin de mesurer si les bâtons « économisent » réellement les jambes lorsque vous grimpez. En effet, lors de ses expériences précédentes, les résultats obtenus ont généralement révélé que les bâtons ne permettaient aucune économie d’énergie dans les montées, ou qu’une quantité marginale. Et pourtant, les sujets de l’étude étaient 2,5% plus rapides pour des efforts totaux sur une pente d’un peu moins de 20 degrés.
La nouvelle étude a donc soumis 15 coureurs de trail à une série de tests avec et sans bâtons, d’abord sur le tapis roulant, puis sur une vraie pente en montagne. Les coureurs portaient des analyseurs VO2 portables pour mesurer leurs efforts aérobie. Leurs bâtons étaient équipés d’un capteur de force juste en dessous de la poignée, pour mesurer la force avec laquelle ils appuyaient sur le sol avec leurs bras, tandis que les semelles intérieures des chaussures mesuraient la force exercée par leurs jambes sur le sol. Les pentes sur lesquelles ont été réalisés les tests étaient suffisamment raides pour que les sujets marchent plutôt que courent.
Conclusions de l’étude sur tapis : plus c’est raide, plus les bâtons de trail sont efficaces
L’une des principales conclusions de l’étude sur tapis est que les sujets comptent vraiment davantage sur leurs bâtons à mesure que la pente devient plus raide. Voici un graphique montrant la force de poing (sur l’axe vertical) en fonction de l’inclinaison en degrés (sur l’axe horizontal). Plus la pente augmente, plus la force de poussée exercée sur les bâtons augmente, et de façon très marquée à partir de 14,5 degrés d’inclinaison (pente d’environ 33%).
La grande question était de savoir si cette poussée plus marquée, synonyme d’énergie supplémentaire dépensée au niveau des muscles des membres supérieurs, permet « d’économiser » réellement les jambes. Voici le graphique indiquant les forces appliquées au niveau des pieds mesurées via les capteurs de la semelle intérieure en fonction de l’inclinaison. Deux mesures ont été effectuées, avec des bâtons (cercles noirs) et sans (cercles blancs).
À la lecture de ce graphique, on constate que l’utilisation de bâtons atténue effectivement l’augmentation de la force de poussée des jambes, et ce avec un écart de plus en plus important sur les pentes plus raides. L’analyse des résultats individuels a par ailleurs montré que, comme on pouvait s’y attendre, les individus qui ont exercé le plus de force au niveau des bâtons ont enregistré la plus grande économie de force dans leurs jambes. Il y a donc un facteur de cause à effet : pour économiser ses jambes, il faut utiliser les bâtons activement, et pas seulement se contenter de s’en servir pour se stabiliser ou s’appuyer dessus pour souffler.
Lire l’article Bâtons de trail : êtes-vous sûr de bien les utiliser
Conclusion de l’étude en extérieur : un résultat plus nuancé
Si les résultats sur tapis sont intéressants, d’un point de vue pratique, les données les plus importantes proviennent des tests en extérieur, dans le monde réel. Or l’utilisation de bâtons à l’extérieur sur une surface irrégulière est assez différente de la surface régulière d’un tapis roulant. En effet, la nécessité de placer le bâton (et vos pieds) à un bon endroit rend plus difficile la coordination des bras et des jambes. Cependant, les mêmes tendances générales s’appliquent : les forces exercées par les jambes, mesurées via les capteurs de la semelle intérieure, étaient d’environ 5 % inférieures avec les bâtons lors des ascensions en plein air, et ce même si les sujets étaient 2,5 % plus rapides que sans les bâtons.
Utilisation de bâtons de trail en montée et économie des jambes : la conclusion
Ce qui ressort de cette étude est que les bâtons aident à grimper plus rapidement dans les montées raides, non pas parce qu’ils économisent de l’énergie, mais parce qu’ils déplacent une partie de la charge des jambes, sur-sollicitées, vers les bras, moins sollicités. Cela peut sembler une évidence, mais ce n’est pas nécessairement intuitif pour les coureurs habitués à courir le plus léger possible. Il permet en tout cas d’expliquer pourquoi, pendant des années, les coureurs européens, plus enclins à utiliser des bâtons, ont eu tendance à sur-performer sur les parcours de montagne les plus difficiles, par rapport aux coureurs nord-américains plus réticents à l’usage des bâtons.
Ceci étant dit, la plupart des courses en montagne impliquent une grande variété de terrains, et pas seulement des montées abruptes. Les avantages des bâtons sont alors moins évidents, même s’ils ne sont pas nécessairement nuls, sur les sentiers plats, ondulés ou en descente. C’est une des raisons pour lesquelles il devient de plus en plus nécessaire d’envisager des compromis entre la légèreté d’une paire de bâtons et la facilité avec laquelle ils se replient. Mais si vous vous attaquez à un parcours avec une ascension longue et raide, les résultats de cette étude constituent un argument convaincant pour amener vos bâtons.
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