Chaussures de trail à plaque carbone : utile ou pas utile ?

Photo New Balance

Depuis 2019 et la mise en vente de la première Vaporfly de Nike, les « super shoes » ont inondé le marché du running sur route. Aujourd’hui, ces chaussures à la mousse hyper rebondissante intégrant une plaque carbone déferlent également sur le marché du trail. The North Face, Hoka, Asics, New Balance, Adidas… toutes les marques semblent y venir, ou presque. Comment sont-elles conçues et quel est leur intérêt pour la pratique de la course nature ? Simon Chrétien a cherché des réponses.

Chaussures de trail à plaque carbone : The North Face précurseur

Une hauteur de semelle (stack) élevée, une super mousse rebondissante (critical foam) et une plaque en fibre de carbone intégrée dans la semelle intermédiaire : ce qu’on appelle les super shoes sont largement répandues sur le marché du running sur route, et ont permis d’améliorer pas mal de performances. Hier uniquement consacrée à l’univers de la route, cette technologie se propage désormais dans le monde du trail.

The North Face a été le premier à dégainer, dès 2021, avec sa Summit Vectiv Pro, rapidement suivi de la marque suédoise Craft. Hoka s’y est essayé dans la foulée avec la Tecton X, dont la deuxième version était aux pieds de Jim Walmsley lorsqu’il a enfin remporté l’UTMB. Mais le véritable boom a eu lieu quelques jours avant. New Balance, Nike, Asics, Saucony et Adidas Terrex, pour ne citer qu’eux, ont ainsi profité de la grand-messe de Chamonix pour présenter leurs super shoes.

Jim Walmsley Tecton Photo UTMB
Jim Walmsley avec les Hoka Tecton X aux pieds, lors de sa victoire sur l’UTMB 2023. Photo UTMB Group / DR

Chaussures de trail : une fourche, plutôt qu’une plaque carbone

Précisons d’emblée que, plutôt que de parler de chaussures à plaque carbone, il est préférable de parler de super shoes. « Le marketing s’est fait autour de la plaque carbone, mais en réalité elle a moins d’impact que la mousse nouvelle génération en Pebax, appelée ‘critical Foam’, utilisée dans ces chaussures et qui permet de renvoyer plus d’énergie et d’améliorer ainsi l’économie de course », souligne Simon Dugué, journaliste, coureur et testeur de chaussures.

Mais transposer cette technologie de la route au trail ne s’est pas fait sans adaptations. En effet, le principal défaut des super shoes est l’instabilité de la plateforme, due notamment au rebondi de la mousse et son épaisseur. Or en trail, le coureur évolue principalement sur un terrain accidenté et instable. Impossible donc pour les équipementiers de se contenter d’ajouter une semelle avec plus d’adhérence et des crampons à une super shoes de route ; il a fallu innover. Et la principale modification concerne la fameuse plaque carbone !

Car si celles utilisées dans les chaussures de route sont principalement pleines et entières, la géométrie de celles utilisées dans les chaussures de trail est bien différente. On a plus affaire à des tiges, des grilles ou des demi-plaques. Ce qui pose question par rapport au concept original de la plaque, qui servait principalement d’effet rigidification du bloc pied, balançoire ou catapulte. Si la plaque est coupée, alors elle sert probablement moins au transfert d’énergie, et permet principalement de rigidifier la semelle, notamment dans l’axe longitudinal de la chaussure, afin de contrer l’instabilité générée par la composition de ces nouvelles mousses et la hauteur du stack.

Photo TNF / Mathis Dumas
Photo TNF / Mathis Dumas

Chaussures de trail à plaque carbone : la fonction d’une jante de vélo

Une supposition que corrobore Julien Traverse, fondateur de la start-up All Triangles qui a mis au point la première plaque carbone d’une chaussure de trail, celle des Summit Vectiv de The North Face. « La plaque carbone ne va pas décupler l’effet de propulsion généré par les nouvelles mousses en Pebax, mais elle permettra en revanche de maintenir le pied dans une position optimale pour la course à pied.

C’est un peu la même image qu’une jante de vélo : la plaque va permettre d’éviter que la chaussure ne parte dans tous les sens… C’est d’ailleurs pour cette raison que pour la chaussure de The North Face nous avons réalisé une plaque en 3D avec des ailettes et une forme incurvée. En clair, la plaque joue le même rôle qu’un châssis de voiture, et constitue en même temps un élément important pour apporter de la rigidité et éviter que la mousse ne s’affaisse trop. »

Lire notre test The North Face Summit Vectiv Pro ICI

THE-NORTH-FACE-VECTIV
La composition de la The North Face Vectiv, avec sa fourche carbone et ses ailettes stabilisatrices / Photo TNF

Chaussures de trail à plaque carbone : quelle utilité, et pour qui ?

Reste à se poser la question principale : les super shoes de trail offrent-elles de réels bénéfices pour les traileurs ? « Je pense que l’intérêt de la plaque est réel, réagit Simon Dugué. Le fait qu’elle soit en carbone, moins. En revanche, une chose est certaine : ces super shoes offrent une véritable différence avec ce qui existait déjà sur le marché. D’un point de vue comportement de la chaussure et appuis au sol, on retrouve les mêmes sensations que les super shoes sur route, avec à la fois de l’amorti et du rebond. »

Mais il précise aussitôt que ces super shoes de trail ne conviendront clairement pas à toutes les typologies de terrain, ni à tous les coureurs : « Je m’entraîne dans le Beaufortain, sur des terrains particulièrement techniques, et il est rare que ces super shoes soient les chaussures les plus adaptées. Quand on peut courir, ça passe, mais dès qu’on marche et qu’on se retrouve sur un caillou, c’est problématique. »

Les super shoes ont finalement le mérite de proposer une diversité supplémentaire sur le marché de la chaussure de trail, qui correspond assez bien à la pluralité de la pratique, entre des trails courts et roulants où cette nouvelle technologie apportera un plus indéniable, et des trails longs particulièrement techniques où elle n’aura pas d’intérêt.

Lire notre test de la Asics Fuji Speed 2 ICI

Ascis Fuji Speed 2
La Asics Fuji Speed 2 à plaque carbone : nickel sur du roulant, plus limité sur du technique. Photo Esprit Trail

Chaussures de trail à plaque carbone et blessures

Pour le chercheur Guillaume Rao, biomécanicien, enseignant- chercheur à l’Institut des Sciences du Mouvement de l’université Aix-Marseille, ce n’est pas la plaque carbone, mais la construction globale des super shoes qui peut poser problème. « En biomécanique, on dit que si quelque chose casse, c’est qu’il y a eu une augmentation brutale de la contrainte mécanique sur la zone anatomique touchée, avec une modification de la répartition des charges sans que le corps n’ait le temps de s’adapter, par manque de progressivité.

Même si on a moins de recul qu’avec les super shoes de route, et qu’en trail, de manière générale, on assiste moins à des blessures chroniques grâce à la variété du terrain, on peut imaginer que les super shoes de trail provoqueront plus d’entorses en raison de la hauteur de la semelle, et donc de leur instabilité. Cela pourra aussi engendrer des problématiques au niveau du pied : des blessures de la voûte plantaire, des fractures de fatigue. »

Chaussures de trail à plaque carbone : un marché qui se cherche

« Ce qui est intéressant de constater, remarque par ailleurs Guillaume Rao, c’est que contrairement aux chaussures de route, il n’y a pas encore d’uniformisation de la super shoe de trail. Chaque constructeur a pris des directions différentes, qu’il s’agisse de la forme de la plaque, de la constitution de la mousse, de la hauteur de la semelle, du drop ou encore du poids de la chaussure. »

Sans compter les marques qui ne comptent pas se lancer dans ces super shoes – et elles sont encore nombreuses. Ainsi, chez Salomon, la S/Lab ULTRA développée en collaboration avec François D’Haene embarque une fourche en fibre de verre Profeel prise en sandwich dans la semelle intermédiaire, dont l’objectif n’est clairement pas de procurer du dynamisme, mais plutôt de constituer un filtre entre les pieds et le sol afin de renforcer l’aspect protecteur de la chaussure lorsque les kilomètres se sont accumulés et que la fatigue se fait sentir.

Et dans ce marché qui semble encore se chercher, 2024 pourrait nous réserver de belles surprises et répondre à une autre question : la super shoe de trail deviendra- t-elle le standard des chaussures de trail ou sera-t-elle un phénomène éphémère ?

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