“J’ai pensé pouvoir gagner !” : l’UTMB raconté par Germain Grangier
9ème en 2019, 5ème en 2021, 3ème en 2023, Germain Grangier, du team The North Face, se rapproche petit à petit du haut du podium de l’UTMB. Et il a bien cru que c’était son tour lorsqu’il a rattrapé Jim Walmsley au 127ème kilomètre, dans la montée menant à Champex-Lac. Récit d’une course folle.
Esprit Trail : 23h16 en 2019, 21h52 en 2021, 20h10 en 2023, tu t’attendais à signer un tel chrono ?
Germain Grangier : C’est vrai que depuis les 4 dernières éditions je reviens sur l’UTMB, et à chaque fois c’est une meilleure place, un meilleur chrono, une meilleure course. Donc c’est sûr qu’il est difficile de ne pas imaginer revenir. En 2022, j’ai eu le COVID, j’ai quand même tenté de faire la course mais je me suis arrêté à Courmayeur, donc je pense que c’est pour ça qu’il y a un gros bond dans le chrono. 1h42 de moins, ça fait beaucoup, mais c’est parce qu’il y a une année qui manque au milieu !
ET : Comment as-tu vécu cette course ?
Germain Grangier : J’ai eu de suite de très bonnes sensations en partant de Chamonix pour aller aux Houches, et j’ai essayé de rester en accord avec ces sensations et de ne pas forcer mon allure. Je me suis du coup retrouvé dans le groupe des favoris jusqu’à quasiment les Contamines. Et là, ils sont partis à 3 devant, avec Tom [Evans], Zach [Miller] et Jim [Walmsley]. Ils ont pris très rapidement 8 à 10 minutes dans la petite section entre Notre-Dame de la Gorge et Les Chapieux.
Après, il n’y a plus trop eu de gros écarts, on était sur des allures similaires, avec Mathieu [Blanchard] vers Les Chapieux puis ensuite avec Petter [Engdahl] dans le Col de la Seigne. Là, on s’est entraidés pour aller ensemble jusqu’à Courmayeur. Petter ne voyait pas très bien dans les descentes avec le brouillard, mais il avait un bon rythme en montée, donc je faisais les descentes, lui les montées…
ET : Petter, c’est un coureur que tu connais bien…
Germain Grangier : Oui, on se côtoie l’hiver sur le ski-alpinisme, c’est quelqu’un que je connais bien, à l’année, et on s’est très bien entendus jusqu’à Courmayeur. Mais en sortant de la ville, il a eu un petit coup de mou et je me suis retrouvé tout seul. C’est la partie que je préfère donc je me suis concentré sur mes sensations et à Arnouvaz (KM 99) on m’a dit que j’étais entrain de réduire l’écart avec la tête de course. À La Fouly, je n’avais plus que 3 minutes de retard sur Jim et 12 sur Zach. Puis 10 à Champex, où j’ai rattrapé Jim. Et alors là…
ET : Rattraper Jim, ça a dû être un grand moment ?
Germain Grangier : Je l’avais déjà rattrapé en 2021 mais c’était différent parce qu’il était complètement perdu, un peu au-dessus de Bertone. Il avait pris un départ tonitruant et il était carrément assis, dans la nuit, au bord du sentier, donc je n’avais aucun doute sur le fait qu’il ne pourrait pas suivre, tandis que là c’était différent. Entre-temps, il y a une amitié qui s’est construite avec Jim, puisque justement en 2021 il était venu 5/6 jours à la maison, chez nous, dans le Mercantour, parce qu’il était entrain de repérer les endroits où il voulait peut-être s’installer…

ET : Il a finalement choisi le Beaufortain…
Germain Grangier : Oui, il avait trouvé notre coin super, mais c’est très sauvage, et il avait quand même besoin d’une ville pas trop loin, et d’une communauté qui pouvait parler anglais. Et à part Katie [Schide] qui parle anglais, à la maison, il n’y a personne. Et ensuite on s’est côtoyés au ski, puisqu’il a fait une saison, donc il y a eu des échanges de regards et de sourires entre nous… Au final j’ai dû lui donner un petit peu de mon énergie pour qu’il reparte, même si j’ai essayé de lui mettre la pression.
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ET : Vous vous êtes parlés ?
Germain Grangier : On s’est dit « Good job », ou un truc comme ça, mais c’est vrai qu’on restait plutôt concentrés sur nos sensations. Après, je suis parti du ravito avant lui, pour lui mettre la pression, mais il m’a vite rattrapé et il a accéléré fort. Je me sentais bien, je n’avais pas vraiment l’impression d’exploser, et du coup je suis passé d’un moment où je me suis dit « OK, je rattrape Jim, Zach n’est plus qu’à 8 minutes, connaissant leurs 2 finishs habituellement, je suis dans la potentialité de gagner l’UTMB, y’a moyen que ce soit mon tour », à un revirement de situation où en le voyant partir vraiment fort, j’ai pensé « Soit il est dans le jour de sa vie, soit je le retrouve complètement mort dans un champ dans les alpages au-dessus ». Mais je ne pouvais pas me permettre de le suivre à cette allure-là…
ET: Jim a changé de chaussures à Champex, mais pas toi. Tu as couru avec quel modèle de The North Face ?
Germain Grangier : Des chaussures hybrides. On a la chance de travailler avec une agence locale à Annecy qui conceptualise les chaussures performance de The North Face, que ce soit sur la partie alpinisme ou le running. J’ai commencé à travailler en janvier/février sur ma chaussure de l’UTMB. C’est un modèle hybride entre la Vectiv Sky et la Vectiv Pro, avec une plaque carbone, une semelle un peu poncée parce que je voulais un stack moins élevé, un mesh réduit parce que j’aime bien qu’il soit plus près du pied…
Après, si je n’ai pas changé de chaussures, c’est parce que je l’avais fait l’an dernier et je n’avais pas trouvé ça super utile. Cette année on a eu un peu de boue, et même de la neige au Col du Bonhomme, mais je n’avais pas les pieds trempés. C’est vrai qu’à Champex, quand j’ai vu Jim changer de chaussures et la façon dont il a décollé derrière, je me suis dit que ce n’aurait peut-être pas été une mauvaise idée d’avoir une mousse un peu plus neuve, plus réactive…
ET : Quand il est reparti à fond, tu t’es dit « si je le suis, je me crame derrière » ?
Germain Grangier : J’ai voulu essayer de tamponner sur cette partie plate après Champex, qui est assez longue pour aller chercher le pied de la montée de Bovine. Je pensais arriver avec 1mn, 1mn30 au pied et après je pensais pouvoir revenir sur Jim dans la partie raide, puisque c’est comme ça que j’étais revenu sur lui avant Champex. J’ai donc fait l’effort dans cette partie-là et quand j’arrive en haut, j’apprends que c’est Zach qui est juste devant moi. Et là je me dis OK, Jim a repris 10 minutes à Zach en une heure, c’est énorme, je ne peux pas contrôler ça, donc concentre-toi sur Zach et on verra après.

ET : Tu as pensé pouvoir reprendre Zach ?
Germain Grangier : On me disait qu’il était complètement mort, mais je connais bien Zach, on court pour la même marque, j’ai déjà couru avec lui, on dirait qu’il est tout le temps mort mais c’est son style. J’ai essayé de pousser pour revenir, mais je suis resté toujours entre 7 et 10 minutes derrière. Jusqu’à La Flégère, où on m’annonce 9 minutes. J’ai su que c’était fini, je ne pourrais pas rentrer sur lui dans la descente de 30mn vers Chamonix.
Alors j’ai géré pour ne pas me blesser. Je savais que derrière c’était à 45 minutes, donc je ne risquais rien. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai pu pousser pour essayer de revenir. Je savais que même si j’explosais dans la montée de La Flégère, j’avais suffisamment d’avance pour finir 3ème.
ET : C’est important, quand tu fais un effort, d’avoir les écarts avec les autres concurrents ?
Germain Grangier : Oui, mais ce n’est pas vraiment fiable. A un moment, dans la dernière montée, on m’a dit que derrière, ça revenait à 5 minutes. J’ai mis un peu de temps à comprendre que c’était n’importe quoi. Il y a énormément de monde, mais les écarts qu’on te communique ne sont pas forcément les bons, ce sont ceux du dernier ravito, une heure avant, parfois pire.
ET : On va finir par avoir des oreillettes, comme sur le Tour de France ?
Germain Grangier : Je suis surpris que personne ne l’ai encore fait, car ce n’est écrit nulle part dans le règlement. Tu pourrais avoir une radio, 5 ou 6 gars répartis sur le parcours qui t’informeraient en permanence, la météo, les écarts, le terrain… Mais ça gâcherait complètement la course et ce pour quoi j’aime ce sport. Il faudrait cadrer ça avant que ça arrive…

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