L’Everest par Inoxtag : Kilian Jornet appelle à la réflexion
Difficile de passer à côté ! Alors que le film Kaizen, 1 an pour gravir l’Everest, relatant l’aventure d’Inoxtag, Youtubeur aux 8,5 millions d’abonnés, a franchi la barre des 25 millions de vues en 5 jours, nous avons interrogé Kilian Jornet au lendemain de son exploit dans les Alpes sur ce que lui inspire ce défi du jeune Français. Sans juger de la performance purement sportive d’Inoxtag, il en profite pour appeler à une réflexion sur le tourisme d’altitude.
Kilian Jornet, recordman de la montée de l’Everest sans oxygène
L’Everest, le Catalan le connaît bien. Très bien, même. Si bien qu’il est le détenteur du record d’ascension la plus rapide. Les 21 et 22 mai 2017, Kilian Jornet a ainsi établi le record de l’ascension la plus rapide de l’Everest depuis le monastère de Rombuk (5 100m), en mettant 26 heures pour rejoindre le sommet par la Face Nord (8848m), et 38 h pour l’aller/retour. Cet exploit, réalisé sans oxygène, était la dernière touche de son projet Summits of my Life entamé en 2012. Il était alors accompagné jusqu’à 7 600 m par Seb Montaz.
À peine 6 jours plus tard, le 27 mai, il réussissait une nouvelle ascension, devenant le seul homme à avoir enchaîné 2 ascensions sans oxygène en une semaine. Pourquoi deux ascensions ? Parce que le permis de grimper délivré par les autorités chinoises était encore valable ! Histoire de ne pas gâcher du temps de montagne disponible, en quelque sorte !
Everest : une ascension dangereuse et des morts par dizaines
L’ascension de l’Everest reste un véritable danger, tant pour des raisons de conditions météo et de neige, que pour des raisons de possibles défaillances physiques. Chaque année, entre mai et juin (dates d’ouverture officielle de la période d’ascension), ce sont environ 600 alpinistes et porteurs qui atteignent le sommet, mais aussi quelques-uns qui meurent. 18 personnes en 2023, contre 8 seulement cette année, particulièrement clémente en matière de décès. Selon les données de l’Himalayan Database, plus de 340 personnes auraient trouvé la mort en tentant de gravir l’Everest. Le taux de mortalité obtenu en divisant le nombre de décès par le nombre total de personnes qui ont tenté leur chance sur la montagne est d’environ 1,2 %. Par ailleurs, vu la difficulté d’évacuer les cadavres, il y aurait environ 200 corps sans vie sur la montagne.
L’Everest, Kilian Jornet en connaît également les dangers. Et il sait parfois que, quel que soit le projet et ce qu’il coûte et engage, il faut savoir renoncer. Ainsi, le 22 mai 2023, alors qu’il tentait d’atteindre le sommet en solitaire et sans oxygène par une voie difficile, rarement empruntée, Kilian Jornet a dû renoncer. Brassé par des vents violents puis pris dans une avalanche à quelques centaines de mètres du sommet de l’Everest, le Catalan a préféré faire demi-tour.
Kilian Jornet : « La dernière fois que j’y suis allé au printemps, ça m’a vraiment dégoûté ! »
« Je n’ai pas trop suivi le projet, mais je connais un petit peu Mathis Dumas (le guide de haute montagne, photographe, cameraman qui a accompagné Inoxtag dans ce projet, NDLR) et j’ai envie de voir le film pour voir quelle est l’approche qu’ils ont eue. Après, l’Everest, et même aujourd’hui le K2 ou d’autres sommets, par la voix normale, c’est vraiment très fréquenté… Moi je suis toujours allé en Himalaya hors saison, quand c’est encore un peu l’hiver, ou au mois d’août, ou en automne… La dernière fois que j’y suis allé au printemps, ça m’a vraiment dégoûté. L’ambiance qu’il y avait au camp de base, c’est pas de la montagne, c’est juste mettre une ligne sur le CV. Les gens n’en ont rien à foutre de la montagne. Et c’est un peu dommage parce que c’est bien d’apprendre le métier. Mais je pense qu’Inoxtag est allé avec Mathis en pleine montagne avant pour apprendre un peu la montagne, avant d’aller dire “on va à l’Everest”. »
Kilian Jornet : « On doit avoir une réflexion sur ce qu’est le tourisme d’altitude ! »
« Après, je pense que l’Himalaya, nécessite une réflexion sur quel est le modèle de tourisme d’altitude, le modèle d’ascension, parce que ça devient quand même très dangereux par rapport aux capacités qu’ont les gens. Et puis aussi pour les sherpas, les porteurs. Et puis au niveau environnemental également. Il y a des hélicos qui tournent tout le temps et laissent les gens aux camps d’altitude ou viennent les sortir de là… Ça atteint des limites qui sont, je pense dangereuses, et négatives par rapport à l’environnement. Même par rapport aux villages, puisque les gens vont directement au camp de base en hélicoptère, sans faire le trekking d’approche. Il n’y a donc pas d’argent qui reste sur les villages !
Je n’ai donc pas suivi de près l’expé d’Inoxtag, je vais regarder le film, mais cette vision de l’altitude et des gens qui y vont pour faire une ligne sur leur CV, c’est en train de créer beaucoup de problèmes sociaux et environnementaux sur ces montagnes. »
A propos du film Kaizen, 1 an pour gravir l’Everest
Quoi que l’on pense de la personnalité d’Inoxtag, une chose est sûre : ce film de 2h25 est passionnant, avec des images absolument somptueuses, et ne masque rien de la réalité de ce que fut la préparation de cette expédition durant un an. Le point de départ, les premiers tests physiques (sera-t-il apte à supporter l’altitude ?), la découverte de la montagne avec le guide Mathis Dumas pendant 3 semaines du côté de Chamonix, puis l’arrivée au Népal, l’approche, le premier sommet avant l’Everest, la détermination sans faille du Youtubeur, ses doutes aussi, puis enfin l’assaut du toit du monde, et l’émotion de la réussite. Bien sûr, on ne peut pas prétendre devenir « alpiniste » en un an, et derrière ce défi, il y a un business, mais force est de constater qu’Inoxtag s’est arraché physiquement et moralement pour parvenir à atteindre son but.
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