Passionnant ! “Ma saison 2022”, par Kilian Jornet
Dans un très long article intitulé « My 2022 season Training and Racing » qu’il a lui-même rédigé pour le site open source manath.com, Kilian Jornet revient en détail sur sa saison d’entraînement et de course, qui l’a vu vaincre au marathon de Zegama, à la Hardrock 100 et à l’UTMB. Protocoles d’entraînement, débrief des épreuves, aspects mental, nutritionnel et équipement, le champion espagnol a choisi de tout partager pour faire avancer la connaissance scientifique en matière de sports d’endurance de montagne. Nous vous proposons ici des extraits, traduits en français, de ce passionnant témoignage.
Rappel des objectifs de ma saison 2022, par Kilian Jornet
L’objectif de cette saison était de bien performer à la fois sur des courses de trail courtes et longues séparées de quelques semaines. Pour cela, j’ai choisi de participer aux 2 courses courtes qui me semblent les plus compétitives (Zegama et Sierre-Zinal) et aux 2 longues qui offriraient la plus grosse compétition cette année (Hardrock 100 et UTMB). Le planning était également intéressant car les courses étaient alternées, donc : court – long – court – long, ce qui ne permettait pas vraiment de faire un bloc pour du court et puis un autre pour du long, mais plutôt de faire des changements rapides plusieurs fois ou d’être en forme pour les deux distances au même moment.
Mon approche globale
Chacun de nous est très différent, donc chercher à copier/coller ou adapter ce plan à votre propre cas sans analyser au préalable quelles sont vos différentes capacités, serait probablement une grosse erreur. En effet, tirer des conclusions d’un plan d’entraînement de 4 semaines ou 4 mois sans le contexte des années d’entraînement précédentes où des adaptations ont été faites, et sans prendre en compte les capacités individuelles de chaque athlète, n’a aucun sens. À mon avis, il n’y a pas de séance magique qui vous rendra meilleur d’un seul coup, ou un programme d’entraînement unique qui fonctionnera pour tout le monde.
Les adaptations, et donc l’amélioration des performances, viennent de la répétition des stimuli d’entraînement (la régularité) et de l’individualisation de ces stimuli (pour voir quels sont les stimuli qui fonctionnent, et à quelle intensité, pour chacun de nous à chaque moment de notre programme et de notre carrière, et quelle est la récupération nécessaire). Le but de ce document est de partager mon approche de l’entraînement pour cette saison et les connaissances que j’ai acquises. Je pense que dans un bon contexte, cela peut être utile à d’autres coureurs de trail qui veulent performer à la fois dans des courses de courte et longue distance. Ce document analyse mon entraînement de décembre 2021 jusqu’à fin août 2022.
Le contexte de ma saison, par Kilian Jornet
Cette année, notre plus jeune fille était tout le temps à la maison et ma femme Emelie et moi voulions nous entraîner sérieusement. Nous avons donc organisé nos journées en alternant nos horaires d’entraînement, l’un de 8h30 à 12h00 et l’autre de 12h00 à 15h30. Ensuite, une deuxième séance courte était possible lorsque les filles dormaient le soir. Dans ce contexte, je ne pouvais pas faire de longues séances mais essayer d’accumuler de la distance avec plusieurs séances courtes et moyennes pendant la semaine, sachant que mon corps avait l’expérience physiologique et métabolique pour faire des courses de plus de 20 heures.
Hormis les courses et quelques sorties de plus de 4 heures, tous mes runs n’ont jamais dépassé 4 heures cette année. Mais ma distance hebdomadaire était toujours aussi importante, puisque je faisais plus de sessions dans la semaine. Cette saison a été essentiellement une grosse période d’entraînement jusqu’à fin mai, puis une petite course (Zegama). Ensuite, de la récupération, puis un bloc de 4 semaines pour construire un peu plus pour les 3 courses suivantes, Hardrock, Sierre-Zinal et l’UTMB, qui étaient très proches les unes des autres, sans réel temps pour construire entre 2 courses. Cela signifie que de la fin de ce bloc de 4 semaines jusqu’à la dernière course (UTMB), j’allais avoir 6 semaines sans possibilité de créer de grandes adaptations, mais seulement d’ajuster les détails.
Mes conditions d’entraînement : terrain et altitude
Le terrain. À Romsdal, où nous vivons, il n’y a pas beaucoup de sentiers praticables pour le running. En hiver, tous les entraînements de skimo se font soit en ouvrant des pistes, soit en montagne avec des pistes existantes, mais pas sur des pistes de ski. En été, la plupart des sentiers de montagne sont très techniques par rapport aux Pyrénées, aux Alpes ou au Colorado – où se trouvaient les courses que j’ai faites – et la vitesse pour y courir est, en rapport, très faible.
De plus, une grande partie du terrain où je m’entraîne, lorsqu’il est hors piste, se fait dans des voies d’escalade faciles (niveau III-IV). C’est parfait pour travailler tous les aspects techniques de la course en montagne : le positionnement des pieds, la force musculaire, la technique, la visualisation et toutes les capacités cognitives. Quant à mes entraînements de vitesse qui privilégient les capacités métaboliques et musculaires, ils sont effectués sur des chemins de terre, des routes ou dans les quelques sentiers qui permettent de pousser.
L’altitude. J’ai vécu jusqu’à l’âge de 20 ans au-dessus de 2 000 m, en Cerdagne, puis dans les Alpes, en pouvant courir jusqu’à plus de 4 000 m en sortant de chez moi. Il y a 6 ans, nous avons déménagé à Romsdal, en Norvège, et depuis nous vivons au niveau de la mer (à 19 m pour être précis). J’étais inquiet au début de la façon dont cela affecterait mes performances et mon acclimatation lorsque je monterais plus haut, mais je n’ai ressenti aucun effet. Peut-être parce qu’après toutes les années d’exposition à l’altitude les adaptations génétiques se font… Et puis presque chaque année je pars en expédition à plus de 6000 m et entretiens les stimuli.
Toujours est-il que je n’ai ressenti aucune différence ou besoin de quelques jours ou semaines d’acclimatation lorsque je suis monté à 4000 m dans les Alpes, l’Himalaya ou le Colorado. En termes de performances, je n’ai là aussi vu aucune différence : je n’étais pas plus « en forme » quand je vivais en altitude et que je courais en bas que maintenant que je vis en bas et que je cours en bas ou en altitude.
Mon plan d’entraînement et la finalité de mes séances
Lors de l’élaboration d’un plan, nous avons souvent tendance à reproduire certaines choses que nous avons vues chez d’autres athlètes ou dans des programmes, et essayons de les adapter à nos capacités. Je crois que ce n’est pas la meilleure façon de procéder. Cela peut fonctionner, mais c’est juste de la chance si c’est le cas. Au lieu de cela, j’essaie d’analyser quelles sont mes capacités et mes faiblesses (qui suis-je, physiologiquement, métaboliquement, psychologiquement) et de voir où je devrais travailler, où je ne devrais pas et où cela n’a pas d’importance.
Depuis des années, je développe une méthode qui fonctionne pour moi. Cette méthode a été utilisée principalement en tenant compte des moments où je suis capable de créer des adaptations et des moments où je ne peux pas et où je me blesse. Je sais par exemple que je peux absorber une grande quantité de volume et d’entraînement Z2 et Z3, mais si je fais plus de travail de vitesse pendant plusieurs semaines continues (Z4 et Z5), je vais me blesser ou avoir un métabolisme moins efficace. Pour d’autres athlètes, c’est l’inverse.
Sur cette base de méthode, j’ai introduit de petits changements qui ont rendu mon entraînement plus efficace et m’ont permis de progresser année après année, et après plus de 15 ans de compétition à haut niveau, pour pouvoir délivrer mes meilleures performances.
Zone 1 : Récupération active – Respiration par le nez.
Zone 2 : Endurance Aérobie – Je peux tenir ce rythme pendant des heures
Zone 3 : Tempo – Rythme soutenu et rapide, je peux discuter un peu
Zone 4 : Au seuil – Rythme de compétition, je ne peux pas parler
Zone 5 : VMA – Max
Au début du printemps, j’ai commencé à parler avec Jesus Alvarez-Herms (directeur scientifique spécialisé dans le microbiome et la physiologie à l’Université de Barcelone, NDLR) et j’ai vu que nous avions une approche très similaire en matière d’entraînement. Il m’a beaucoup aidé sur ces changements pour améliorer mes performances, avec la nutrition et différents stimulus d’entraînement.
Je ne crois pas aux séances d’entraînement spéciales qui boosteront les performances, ni à cette séance ou ce bloc qui vous rendra beaucoup plus fort, car cela ne donnera que des adaptations à très court terme qui seront vite perdues. Je crois plutôt aux stimuli répétitifs qui créent des adaptations au niveau cellulaire et vous font changer vos capacités sur le long terme. Cela suppose de la cohérence et une bonne répartition de la charge d’entraînement. Il suffit ensuite de quelques adaptations et récupérations spécifiques à court terme pour se préparer à chaque type de course.
À chaque entraînement, je me demande pourquoi je fais cet entraînement. Quel est l’objectif ? Une séance fait partie d’un plan d’adaptation physiologique, technique, musculaire, métabolique ou mental, et donc je me concentrerai sur différents aspects lors de cette séance pour être sûr de faire ce que je suis censé faire. Cela signifie que dans certaines séances, je me concentrerai sur la vitesse, sur d’autres sur la respiration, le cardio ou le RPE, sur d’autres sur la cadence, ou sur la sensation de régénération, ou sur la technique… Il faut donc que je sois très sensible et réceptif à ce que je veux ressentir dans cette séance, pour pouvoir me concentrer sur ces sensations.
Écouter et ressentir notre corps est quelque chose qui demande du temps, mais je crois qu’à la fin, c’est le meilleur outil dont nous disposons pour surveiller notre entraînement. Il ne s’agit pas de sortir et de s’entraîner dur, mais d’essayer de se concentrer sur ce qui compte vraiment pour telle ou telle session. Je pense qu’aujourd’hui, particulièrement avec les réseaux sociaux, il est très facile d’être tenté de tout donner dans les entraînements et c’est à mon avis une grosse erreur. Je termine rarement un entraînement très fatigué, j’essaie juste de faire le travail qui va entraîner des adaptations en essayant d’économiser de l’énergie (physiquement et mentalement) pour pouvoir l’utiliser le jour de la course.
Les séances-clés de mon entraînement, par Kilian Jornet
Mes « séances clés » étaient essentiellement 3 types de séances : vitesse, seuil et tempo (en montée ou sur du plat).
Vitesse : Ce sont des séances de sprints (10x100m, 10x200m ou 10x400m). Je n’en ai pas fait beaucoup, seulement 4 séances au total pendant toute l’année, essentiellement pour entretenir la vitesse des jambes. Je sais que si j’en fais beaucoup, je risque vite de me blesser, à cause de mon métabolisme et de mes capacités musculaires.
Seuil et tempo : Ces séances au seuil ou au tempo ont été effectuées dans des configurations différentes. Je les ai faites soit en terrain plat, soit en montagne. Mais plus la saison approchait, plus j’ai essentiellement effectué des séances au tempo (Z3) ou au seuil (Z4). J’ai donc fait des séances pour faire des montées raides (500 à 700 m de dénivelé, 1 ou 2 fois) en prenant la descente pour récupérer. Ces séances étaient suivies d’un entraînement à plat (2 x 5km, tempo 10k, 10 x 1km…), et occasionnellement d’une autre montée. La structure précise de la séance dépendait du moment de la saison et du temps de récupération.
Simulation de course. J’ai également fait des séances de simulation de course.Il s’agit soit d’un long tempo, soit d’une simulation de course. Je commence par exemple à un tempo Z2 élevé pendant un certain temps, jusqu’à ce que je me sente fatigué comme si je parvenais au moment clé de la course ciblée, puis je continue l’entraînement pour la distance complète de la course visée. Mais cela peut aussi être un entraînement où j’essaie de simuler des intensités de course seulement à quelques instants, comme par exemple un entraînement sur 30km lents puis 20km rapides.
De l’importance des tests
Je pense qu’il est important d’avoir un suivi de forme dans des conditions réelles, en plus des mesures physiologiques. Je fais tous mes tests de forme sur un même parcours que je peux faire facilement au moins une fois par semaine et qui n’est pas trop impacté par les conditions météorologiques. Il est donc facile de comparer. Mon itinéraire de test est à Nesaksla, sur une distance de 2 km avec 700 m de dénivelé. Ce test peut faire partie d’un entraînement (par exemple la montée et le plat) ou être juste un test.
Parfois, j’ai apporté du matériel pour effectuer des mesures afin de vérifier où nous pourrions apporter de petits changements sur le stimulus pendant l’entraînement ou le repos (lactate, variabilité de la fréquence cardiaque, glucose, saturation en oxygène – NIRS et doigt –, température…). En plus de ces mesures, j’ai effectué des séances où j’ajoutais des éléments et des stimuli différents pour travailler des aspects spécifiques et d’autres domaines que le métabolisme, comme par exemple la cadence, la ventilation, l’altitude, le carburant, le type de substrat énergétique, la privation de nourriture ou d’hydratation, etc.
La gestion de mon volume d’entraînement
Une chose difficile à gérer est le volume d’entraînement par rapport à l’intensité. Plus de volume d’entraînement est élevé, plus il est difficile de récupérer d’une séance intense pour être prêt pour la suivante. En général, j’essaie de prioriser le volume et je sais que dans ces cas-là mes entraînements-clés manqueront un peu de qualité et que ma vitesse sera similaire pendant toutes les séances. Mais si je veux privilégier les adaptations lors de séances-clés, alors le volume ne sera pas quelque chose d’établi au préalable, il s’établira au ressenti, sachant que je suis capable de le faire en gardant en tête l’objectif de ces sessions-clés.
Ceci dit, je fais habituellement un plan d’entraînement pour la saison avec une période générale pour construire une base aérobie (cela peut se faire en ski, escalade, etc) suivie d’une période spécifique pour travailler les spécificités du trail running, puis des micro-périodes pour acquérir les différentes capacités nécessaires pour chaque type d’événement. Je prévois donc de travailler des domaines spécifiques à des périodes spécifiques et sur cette base, je décide de quels types et de combien de séances différentes je dois faire chaque semaine pendant cette période.
Au cours de la semaine, je décide quand la séance se déroule en fonction de ce que je ressens : fréquence cardiaque, humeur, douleurs musculaires, sensations pendant l’entraînement, etc. Et si je vois que je suis incapable de faire les séances que je suis censé faire, j’essaie de comprendre pourquoi et de décider quelle est la meilleure façon de m’en remettre : prendre quelques jours tranquilles ou de repos ? Réduire le volume et garder les séances-clés ? Garder le volume et réduire le nombre de séances-clés ?…
L’ENTRÂINEMENT DE KILIAN JORNET À LA LOUPE
Le bloc hiver : décembre 2021 – fin mars 2022
À cette période, j’ai fait la plupart de mes entraînements en skimo, principalement 2 à 4h au tempo Z2, et le soir je faisais une course de 40mn-1h sur tapis roulant. Je pense que cela m’a permis de construire une bonne base aérobie. À partir de là, je suis quelqu’un qui gère bien le volume et qui n’a pas besoin de beaucoup de semaines d’intensité pour me mettre en forme de course. Pendant cette période, je préfère ne faire aucune intensité, sauf quelques courses de skimo. En février, j’ai fait une course de 100 miles en Suède (Tjornarparen), principalement pour faire des tests de ravitaillement en carburant avec Maurten et pour faire une longue course suffisamment éloignée du début de ma saison, pour commencer à préparer les jambes pour les deux longues courses à venir.
Bloc 1 : De fin mars à fin mai (Zegama)
Fin mars, j’ai commencé à faire principalement de la course à pied. En termes de volume, j’ai augmenté progressivement le volume pour passer de 130 à 180 km hebdomadaires 6 semaines avant Zegama. Ensuite j’ai gardé une distance hebdomadaire élevée (150-190km) avec 2 grosses séances de qualité par semaine (Montée/Plat et Simulation de course majoritairement) en introduisant des stimuli différents à haute cadence. Il s’agissait d’entraînements au tempo Z2 pour continuer à développer l’endurance.
La semaine précédant Zegama, j’ai commencé à diminuer un peu la distance, mais en la conservant toujours élevée et en gardant les sessions-clés (la dernière avec une session en montée suivie d’une course locale, Åndalsnes Loppet). Cette semaine-là, j’ai aussi fait quelques entraînements faciles avec des vêtements chauds pour m’acclimater aux températures chaudes de Zegama, car le temps en Norvège a été froid et pluvieux tout l’été. La semaine de Zegama, j’ai fait des entraînements très faciles, de 30 minutes à 1 heure au tempo Z1, sauf une journée de 3 h au tempo Z2.
Course du 29 mai 2022 : Zegama-Aizkorri
Échauffement : 30′ de jogging facile.
Départ : J’ai commencé fort à un rythme maîtrisé pour faire une sélection du groupe, et à mi-chemin il n’y avait plus que Davide Magnini et moi.
La stratégie était de garder un rythme régulier pendant les 30 premiers kilomètres et de faire les 12 derniers kilomètres plus vite, et cela s’est parfaitement déroulé.
J’ai senti que je pouvais commencer à pousser à ce moment-là, et les niveaux d’énergie et les muscles ont suivi.
Lire le récit de la course et de la victoire de Kilian Jornet ICI
Bloc 2 : De Zegama à la Hardrock 100
Après Zegama, la récupération a été rapide. 2 jours après la course, j’ai commencé le bloc d’entraînement suivant, sur 4 semaines. Durant ce bloc, j’ai augmenté progressivement la distance pour faire plus de travail musculaire pour les ultras (200km/semaine) mais en ne faisant jamais de longs entraînements. À l’exception de 2 sorties de 5h, mes séances les plus longues à cette période ont été 2 séances de Montée/Plat de 4h. J’ai également conservé 2 séances rapides par semaine pour maintenir la vitesse pour les courses courtes qui allaient venir après la Hardrock.
Pour certaines de ces séances, j’ai utilisé des courses locales pour faire des entraînements de simulation de course ou de tempo, comme le semi-marathon de Geiragner, l’Isfjorden Skyrace ou l’Op. Mefjellet. J’ai commencé à réduire 2 semaines avant la Hardrock avec une première semaine à 150 km, puis la semaine d’avant la course à 110 km. Cette semaine-là, j’ai été malade, à cause de quelque chose attrapé par notre fille à la maternelle, ce qui m’a incité à maintenir une semaine à faible intensité et à faible distance.
La semaine de la course, j’ai fait un long entraînement avant de partir aux États-Unis, puis uniquement des courses de 30 minutes. J’avais aussi fait quelques nuits en altitude près de la maison avant de voyager aux États-Unis (je vis au niveau de la mer). Pas suffisamment pour m’acclimater, mais pour envoyer un stimuli à mon cerveau et le prévenir que l’altitude arrivait. Comme je n’ai jamais souffert de l’altitude à 4000 m, je pensais que cela suffirait pour la course.
Course du 16 juillet 2022 : Hardrock 100
Échauffement : aucun.
J’ai commencé doucement, en essayant de garder un rythme confortable à la fois en montée pour le système cardiovasculaire et en descente pour les muscles.
Étant donné que je suis arrivé seulement 2 jours avant la course et que c’est en altitude, je voulais que cela reste facile pour que sur les deux premiers tiers de la course je ne ressente pas trop les effets de l’altitude.
Avec François d’Haene et Dakota Jones, nous avons couru la plupart du temps ensemble à un rythme confortable jusqu’à mi-parcours (Ouray).
Là, Dakota a accéléré et s’est s’éloigné.
À ce moment-là, j’ai commencé à avoir des problèmes d’énergie et je suis passé du ravitaillement en gels au ravitaillement en barres, et une heure après l’énergie était de retour.
Avec François d’Haene, nous avons finalement rattrapé et dépassé Dakota après Handies et avons continué toute la nuit ensemble.
Jusque-là, le cardio et les jambes allaient bien, et je pensais que la meilleure stratégie serait de courir aussi « facile » que possible pour économiser de l’énergie et essayer de courir fort pendant les 10 derniers kilomètres.
Environ un kilomètre avant le dernier ravitaillement, j’ai commencé à accélérer le rythme et François a suivi.
Après le poste de ravitaillement, à 10 km de l’arrivée, j’ai poussé fort dans les 700 m de D+ de la dernière montée et j’ai pris du temps à François, puis j’ai couru vite la dernière descente et à plat jusqu’au bout pour assurer la victoire.
C’était la première fois que je ressentais autant d’énergie à la fin d’une compétition de 100 miles et que je terminais sans aucune gêne gastro-intestinale ni aucun problème alimentaire.
Lire le récit de la course et la victoire de Kilian Jornet ICI
17 juillet – 26 août 2022 : L’inter-course entre la Hardrock 100, Sierre-Zinal et l’UTMB
La récupération après la Hardrock 100 a été rapide, la plus rapide que j’aie jamais eue après un 100 miles. J’ai repris la course 2 jours après et j’ai fait une semaine facile (70 km) pour commencer à bouger les jambes. Et la semaine suivante, je suis revenu à l’entraînement normal. Ici, le but était surtout de récupérer entre la Hardrock et Sierre-Zinal (j’avais 4 semaines) et de faire quelques entraînements pour reprendre de la vitesse. Je ne me souciais donc pas vraiment de la distance hebdomadaire, mais juste de faire des séances de qualité (2 par semaine – Montée/Plat et tests principalement) et des jours faciles entre les deux (tempo Z1).
La semaine avant Sierre-Zinal, j’ai réalisé mes meilleurs chronos lors de mes tests, bien meilleurs que les années précédentes. C’était une bonne preuve pour moi que l’approche pour passer du long au court avait bien fonctionné.
La semaine de Sierre-Zinal, j’ai fait une dernière séance-clé le lundi, en faisant un PB (record personnel, NDLR) lors de mon run en montée, puis du repos et des sorties très tranquilles. 3 jours avant la course, j’ai vu ma HRV beaucoup diminuer et mon pouls au repos augmenter de 10-15 BPM. Je pensais que cela pouvait provenir du voyage mais la tendance s’est poursuivie et comme mon partenaire avait été testé positif à Covid ce jour-là, j’ai commencé à faire des tests d’antigènes qui étaient négatifs.
Course du 13 août 2022 : Sierre-Zinal
Échauffement : 30′ de course facile.
Depuis le départ, j’avais les jambes lourdes mais j’étais en forme et j’ai supposé que ce n’était qu’un ressenti. J’ai donc commencé à pousser dans le groupe de tête.
Mais après seulement quelques minutes, j’ai senti que ma respiration était anormalement forte et que je transpirais trop.
Je suis resté dans le groupe de tête avec Mark, Patrick, Philemon, Moses et Remi jusqu’au sommet de la montée. Le rythme était rapide, même s’il n’était pas aussi rapide que les autres années, mais je travaillais trop dur pour tenir ce rythme.
Après la montée sur le plat, j’ai ressenti une lourdeur dans la poitrine et j’ai décidé d’y aller un peu plus cool. Petro et Robert m’ont rattrapé et à partir de là nous avons couru ensemble.
Dans la descente depuis l’hôtel Weisshorn, mes jambes étaient mal assurées et lourdes et je n’ai pas pu garder la cadence que je voulais.
J’ai utilisé un peu ma technique en descente dans les 3 derniers kilomètres, qui sont un peu plus raides, pour reprendre du temps et terminer 5ème après que Petro m’a dépassé sur la ligne – j’ai fait l’erreur de ne pas être attentif jusqu’à la ligne !
Dans l’ensemble, mes sensations ont été très mauvaises pendant la course, mais comme je pense que j’étais en très bonne forme, j’ai sauvé le coup et j’ai été content du chrono que j’ai fait dans ces conditions. Je me suis prouvé qu’il était possible d’être compétitif dans une course courte 4 semaines après un 100 miles.
Lire le récit de la course de Kilian Jornet ICI
14 août – 25 août 2022 : entre-course Sierre-Zinal – UTMB
Après Sierre-Zinal, il ne restait plus que 12 jours avant l’UTMB. L’objectif était de récupérer le plus possible, en me disant que le travail d’endurance effectué avant la Hardrock, ajouté à la mémoire musculaire emmagasinée durant la course, allait suffire. Je savais aussi que la vitesse de Sierre-Zinal était bonne et que j’avais bien récupéré après la course, donc j’étais surtout inquiet pour le Covid (à ce moment-là les tests étaient positifs).
En gros, entre ces 2 courses, j’ai alterné des sorties très faciles (30 minutes à 1 heure à Z1) et des jours de repos, à l’exception d’un run plus long (4 heures à Z2) 6 jours avant la course avec Petter Engdahl. Mes sensations durant les périodes de repos et d’entraînement lent étaient normales et en parlant avec les médecins, ils m’ont dit que je risquais surtout une fatigue musculaire mais que si je ne poussais pas à une intensité élevée et que je n’avais pas de fièvre, tout était OK.
Course du 26 août 2022 : l’UTMB
Échauffement : aucun.
La course a commencé à un rythme rapide pour un 100 miles, mais habituel pour un début d’UTMB. Et comme j’avais bien assimilé le rythme des courses courtes, c’était très facile.
Mais dès la première descente j’ai eu les mêmes sensations qu’à Sierre-Zinal dans les jambes, fébrilité, manque de force.
Après quelques kilomètres, le rythme est descendu à celui de l’ultra-running normal et nous avons formé un groupe avec Jim, Zach, Tom et moi, courant plus ou moins ensemble pendant les 60 premiers kilomètres.
À ce moment-là, sur une descente un peu technique, j’ai pris les devants pour voir si nous pouvions faire une sélection et Jim et moi sommes partis seuls.
Lors de la descente de mi-course vers Courmayeur, Jim a commencé à accélérer et comme je voulais garder des jambes pour la 2ème partie, je l’ai laissé prendre environ une minute.
Après Courmayeur, nous avons couru ensemble à un rythme contrôlé jusqu’au refuge Bonatti, au km 98.
Et là, Jim a attaqué dans la descente vers Arnouva. Mon niveau d’énergie avait été bon jusque là, mais mes jambes avaient du mal depuis le début, alors j’ai fait cette descente tranquillement et j’ai essayé d’augmenter le rythme dans la longue montée suivante (Grand Col Ferret).
Mais dès le début de la montée, je me suis à nouveau senti lourd dans ma poitrine (la même sensation qu’à Sierre-Zinal, je ne sais pas trop si c’était encore du Covid ou si c’était un mimétisme psychologique des symptômes de la semaine précédente). J’ai donc beaucoup diminué le rythme et essayé de récupérer au maximum.
Dans la descente suivante (vers La Fouly), mes jambes ont continué à me faire mal et j’ai encore ralenti.
À ce moment-là, mentalement, j’étais dans une bulle très négative, avec des douleurs aux jambes depuis la première descente, et la perspective de 60 kilomètres de plus avec cette douleur ne m’aidait pas.
Au 120e kilomètre, Mathieu Blanchard m’a dépassé et je me suis dit que j’allais le suivre jusqu’au prochain ravitaillement et voir ensuite quoi faire.
Dans les 2 ou 3 kilomètres sur le plat qui ont suivi, j’avais toujours mal aux jambes mais la motivation à court terme facilitait les choses, et la rencontre avec Mathieu a fait basculer mon état psychologique du négatif au mode course.
Dans la montée vers le poste de ravitaillement (Champex-Lac), j’ai senti que mon niveau d’énergie était bon et que le métabolisme fonctionnait bien, ce qui m’a motivé à continuer à pousser mais en changeant de stratégie de course. Je savais que mes compétences en descente étaient très limitées et si je poussais fort dans les montées, j’avais un doute sur les sensations que j’allais ressentir dans ma poitrine, mais j’ai vu qu’en montant j’étais plus fort que Mathieu. Alors j’ai décidé de gérer les 30 kilomètres suivants et de courir les 10 derniers.
Dans la montée suivante, j’ai un peu augmenté le rythme pour voir comment Mathieu se débrouillait dans les montées et dans les descentes, histoire de voir combien de temps il était capable de me reprendre.
L’avant-dernière montée et descente, nous avons couru ensemble et après le dernier ravitaillement à Vallorcine, j’ai augmenté le rythme progressivement et j’ai commencé à prendre de la distance.
Au sommet de la montée (La Tête-aux-Vents), j’avais entre 8 et 10 minutes d’avance et j’ai pensé que c’était suffisant pour assurer la victoire, et j’ai fait une descente contrôlée en essayant de ne pas perdre trop de temps.
Lire le récit de la course et la victoire de Kilian Jornet ICI
L’après UTMB
Après l’UTMB, je me suis essentiellement reposé. J’ai fait quelques balades à vélo avec mes filles et la semaine d’après (soit 7 jours après l’UTMB) j’ai fait une courte course locale (8,5 km et 1000 m D+) pour voir comment se passait la récupération et voir s’il était toujours possible de passer du long au court (Romsdalseggenløpet).
Ma récupération, par Kilian Jornet
Mon approche de la récupération est très simple : concentrez-vous sur ce qui est le plus efficace. Et ces choses sont normalement très faciles à trouver et peu coûteuses…
Dormir. Avec 2 jeunes enfants à la maison, les nuits sont courtes mais j’ai la chance de n’avoir jamais eu besoin de beaucoup d’heures de sommeil pour récupérer. Mon temps de sommeil moyen est d’environ 6 heures par nuit, et correspond au temps durant lequel je dormirais si je n’avais pas d’alarme pour me réveiller. C’est très personnel ; certaines personnes peuvent avoir besoin de 8 ou 10 heures de sommeil pour récupérer, et d’autres moins. J’ai juste la chance de ne pas avoir besoin de beaucoup de sommeil pour pouvoir m’entraîner, travailler et avoir des enfants qui se réveillent tôt.
Nature et environnement. En tant qu’introverti, les activités sociales me demandent beaucoup d’énergie. Être dans un environnement calme et ne pas rencontrer beaucoup de gens au quotidien est donc essentiel pour maintenir un bon rythme de repos. Cela pourrait être le contraire pour une personne plutôt extravertie.
Charge d’entraînement. Je veille à avoir des journées tranquilles si je sens que mon corps n’assimile pas les charges d’entraînement. Je me fie à mon rythme cardiaque, à mon sentiment subjectif au réveil, mon humeur et à mon sentiment subjectif aux entraînements pour déterminer si j’assimile ou non les charges (entraînements + stress de la vie + travail + récupération).
Déplacements. Voyager est un gros facteur de stress pour l’entraînement (ce n’est pas du repos et cela augmente le risque d’attraper un rhume ou un virus) et cela enlève au moins 2 jours d’entraînement dans chaque sens. Je pense donc qu’il est préférable de rester chez moi et d’y faire tout l’entraînement, quitte à construire les conditions du « camp d’entraînement » à la maison au lieu d’aller faire X semaines de camp d’entraînement à l’étranger. De même, lorsqu’il s’agit de courses de préparation, je préfère les faire localement afin que cela n’implique ni de voyager ni de diminuer le nombre des entraînements, et que cela devienne juste une journée de séance-clé.
L’après course. Après une course, je ne prévois aucun entraînement spécifique dans la semaine qui suit. Ensuite, c’est le corps qui me dira quand reprendre l’entraînement, et cela vient 1) des douleurs musculaires ressenties ; 2) de la fatigue métabolique – à quel point je suis fatigué quand je commence à courir – ; et 3) du désir de m’entraîner – généralement, si je me sens super motivé pour sortir et m’entraîner, cela signifie que mon corps et mon esprit ont récupéré. Je commence souvent l’entraînement par des activités lentes qui impliquent de la mobilité (marche rapide, trottiner, longues journées en montagne) et j’augmente progressivement la vitesse.
Le suivi thérapeutique. Au niveau physique, mon suivi thérapeutique durant toute cette période, où je n’ai eu aucune blessure, a été fait avec un chiropraticien. J’ai fait plusieurs séances au cours de l’année avec Kristian Bjølstad chez moi, à Åndalsnes (environ 1 ou 2 fois par mois), et avec Arnaud Tortel la veille de Sierre-Zinal et de l’UTMB. Ces séances étaient principalement consacrées à ajuster les déséquilibres dus à mes différences entre les jambes droite et gauche depuis ma blessure à la rotule de 2006.
Mon alimentation, par Kilian Jornet
Qualité de la nutrition. C’est l’un des facteurs que j’ai le plus améliorés ces dernières années, en grande partie grâce à Jesus Alvarez-Herms. Je suis beaucoup plus concentré sur mon alimentation quotidienne et je pense que cela a augmenté non seulement mon niveau de performance, mais aussi ma capacité de récupération. Mon régime quotidien est végétarien, avec une base de glucides dans les pommes de terre, le riz, les pâtes, le quinoa, le pain…, des légumes, des protéines et les graisses des légumineuses, les noix, l’avocat, le fromage, les œufs… Et je prends des suppléments d’oméga 3 et 6, de vitamine D et certains probiotiques.
Pendant l’entraînement, je ne prends jamais de nourriture et je bois rarement. En revanche, s’il s’agit d’une séance spécifique pour l’entraînement gastro-intestinal, je prendrai des gels ou du carburant pour habituer mon intestin. C’est quelque chose que je peux faire du fait de mon métabolisme des graisses et du fonctionnement de mes reins, qui est issu de nombreuses années de pratique.
Mon alimentation durant les courses
Courses courtes (Zegama et Sierre-Zinal)
– Dîner avant la course : glucides (riz, pommes de terre ou pâtes), certaines graisses comme l’avocat et les noix. Quantité normale.
– 3h avant course : Petit déjeuner (une tranche de pain)
– 2h avant la course : Maurten Carb Bowl (40gr) – Eau
– Pendant la course : 1 gel toutes les 30 minutes (Gel Maurten 25gr, le 1er avec de la caféine, les autres sans).
Hydratation aux ravitaillements, soit de l’eau, soit une boisson énergétique riche en glucides (Maurten MIX 320). Environ 0,2 à 0,25 litres / heure.
Hardrock 100
10 premières heures de course : 1 gel (Maurten 25gr) toutes les 30 minutes. Hydratation : 0,5l/h de boisson énergétique (Maurten MIX 160). 1 barre toutes les 4h (Maurten Solid).
10 heures suivantes : 1 barre (Maurten Solid) toutes les 1,5h. Hydratation :0,5l/h de boisson énergétique (Maurten MIX 160). Nourriture solide aux 3 ravitaillements (riz à l’avocat, quesadillas, soupe…). 1 gel de caféine (CAF Maurten) dans la nuit, avant les 2 dernières montées.
UTMB
0,5l/h de boisson énergétique (Maurten MIX 320). 5 gr de protéines toutes les 2 heures. £
1 barre toutes les 2 heures (Maurten Solid). 1 gel avant chaque section durant laquelle j’avais besoin de plus de glucose (montées rapides des premières heures…).
Nourriture solide aux ravitaillements (gras + fibres + glucides) : riz à l’avocat, pommes de terre bouillies, burritos à l’avocat, avocat, bananes, dattes, noix, chocolat noir liquide (que j’ai aussi pris dans un flacon avec moi pour la 1ère moitié de la course).
Jus de betterave à boire.
LE MENTAL SELON KILIAN JORNET
Considérations sur la vie en général
Je pense que je suis à un moment de ma vie où je suis heureux. Il n’y a pas de désir inassouvi dans ma carrière sportive et ma motivation pour courir aujourd’hui est simplement de prendre du plaisir et d’en apprendre plus sur l’entraînement, la physiologie, etc. Je ressens donc beaucoup moins de pression au résultat qu’avant. Après quelques années d’anxiété en vivant en France, déménager en Norvège et trouver un endroit calme et isolé s’est avéré être la meilleure décision pour moi, pour pouvoir être plus détendu dans ma vie de tous les jours.
Je pense qu’il est très important d’avoir un environnement et des attentes qui sont en adéquation avec la vie que nous souhaitons mener pour éviter le stress, pour ne rien s’imposer. Il m’a fallu du temps pour comprendre que je devais dire non à beaucoup de choses pour prioriser celles qui comptent le plus pour moi, et pour bien les organiser.
Avec ma femme Emelie, nous planifions nos entraînements lorsque notre fille aînée était à la maternelle et le soir lorsque les enfants dormaient afin de pouvoir passer du temps avec eux lorsqu’ils sont à la maison. Pour le travail, je le faisais pendant les siestes des enfants et je passais quelques heures chaque soir sur la Fondation et sur NNormal, et j’essayais de me coucher vers 23h00. Si j’avais des réunions ou des entretiens, j’essayais de les faire plutôt le soir afin que cela n’interfère pas avec mon entraînement ou mon temps en famille. Sinon, je les faisais durant les séances d’entraînement tranquilles, avec des écouteurs.
Gestion de la performance
J’ai l’impression qu’entre l’époque où j’étais plus jeune et aujourd’hui, être papa et passer du temps avec nos filles (on ne se repose jamais, on se promène, on court après, on porte…) n’est pas parfait en termes de programmation d’entraînement pur, mais il suffit d’en être conscient pour apporter les ajustements nécessaires dans les charges d’entraînement, par exemple en gardant les séances-clés mais en prenant plus soin des jours faciles.
De plus, au cours des dernières années, j’ai travaillé plus de temps, que ce soit avec la Fondation Kilian Jornet et récemment avec NNormal. Cela empiète également beaucoup sur mon entraînement, mais cela permet de se concentrer sur d’autres choses que l’entraînement, la course et soi-même, et penser aux choses qui comptent le plus.
Gestion de la pression
La pression est quelque chose d’important à gérer en tant qu’athlète professionnel. Avec les succès que j’ai eus dans ma carrière, je sais qu’aujourd’hui les attentes des autres, mais aussi les miennes, et ce pour quoi je m’entraîne, est le fait de gagner les compétitions. Pour pouvoir gérer ça, j’ai deux façons de considérer les choses qui fonctionnent bien :
- La première, c’est que si je me suis bien entraîné, je sais que je suis prêt et je ne dois pas stresser car cela ne fera que consommer de l’énergie. Et si je ne me suis pas bien entraîné, je sais que je ne peux rien faire et je dois donc réfléchir à la façon de minimiser mes points faibles et d’utiliser mes points forts pour obtenir le meilleur résultat possible. Donc au final, quand j’entre dans une course, je sais que je ne peux rien changer à mon état de forme, qu’il soit bon ou mauvais, et que la seule chose que je peux faire, c’est en profiter. J’ai tellement de chance d’être en bonne santé, d’avoir la possibilité de faire quelque chose que j’aime et de le faire dans de si beaux endroits… Alors je fais du mieux que je peux, en sachant que le résultat à la fin me rendra un peu plus ou un peu moins heureux pendant les quelques heures qui suivront la course, mais ne changera rien à ma vie.
- La seconde façon de gérer le stress, c’est de mettre en perspective ce que signifie le résultat d’une course. Le résultat n’est qu’une petite partie de la trajectoire, qui implique aussi l’entraînement et la préparation. Se concentrer sur tout le processus de préparation d’une course et sur ce que j’ai appris et vécu au cours de ce processus est bien plus important que le résultat de la course elle-même, qui n’est en fin de compte qu’une sorte de validation de ce processus. Et passer de l’objectif et du résultat au processus et au parcours est essentiel pour que je ne ressente pas la pression le jour de la course.
Entraînement en solo ou en groupe ?
Je fais 85 à 90 % de mon entraînement seul. J’aime pouvoir me sentir très libre quand il s’agit de décider où aller mais aussi d’interpréter et d’être très à l’écoute des sensations de mon corps, et adapter la séance d’entraînement à partir de là. Surtout les jours « faciles ».
Lorsque je m’entraîne avec des gens, j’aime faire certaines des séances les plus faciles avec des amis ou ma femme, et certaines des séances les plus difficiles avec des partenaires solides qui m’aident à maintenir un rythme élevé. Avoir Jonathan Albon ici pour en faire certains, c’est définitivement génial.
Courir sans être à 100 %
Je crois que je suis très bon en course quand je suis malade. Cela provient sans doute de la confiance que j’ai dans mon entraînement et la préparation de mes courses. Je peux ainsi minimiser l’importance de la maladie, de la réduire à seulement un petit pourcentage par rapport à mes capacités et à l’entraînement effectué. Cela provient sans doute aussi du fait que j’ai l’habitude de m’entraîner et de faire des efforts dans des conditions physiques très différentes (que ce soit faire des courses avec de la fièvre, ou participer à des expéditions où vous êtes épuisé et malade mais où vous devez continuer à pousser pour survivre).
Je me suis habitué à ces sensations et à pouvoir ajuster différents critères pour pouvoir pousser avant que ça n’empire, et savoir combien de temps je peux le faire. Même si dans l’absolu je sais bien que courir en étant malade est quelque chose qui n’est pas bon pour la santé, et que je pense à ce que pourraient être les conséquences. Lorsque je le fais, je le fais en étant pleinement conscient de ces choses-là.
La visualisation
En trail et en montagne, bien connaître le tracé et les conditions d’une course donne un grand avantage. C’est en effet très utile quand il s’agit de gestion de l’énergie et des muscles, mais aussi dans la navigation et dans l’anticipation des parties techniques. Je connaissais bien les courses que j’ai faites cette année. J’avais déjà couru Zegama 10 fois, la Hardrock 4 fois, Sierre-Zinal 11 fois et l’UTMB 4 fois, donc je connaissais assez bien le parcours et les différentes conditions que je pourrais rencontrer.
Pour maximiser l’entraînement, le confort de repos et le temps passé en famille, je me suis donc rendu aux épreuves juste avant le départ et je n’ai reconnu aucune partie du parcours les jours précédents. Mais cela ne m’a pas empêché, grâce aux expériences passées, de visualiser mentalement chacune des courses, les sentiers qu’elles empruntent et les conditions que je pourrais y rencontrer presque mètre à mètre.
La planification de mes courses
Il est très facile d’imaginer et de planifier ce que serait la course parfaite, mais cela n’arrive (presque) jamais. C’est une bonne stratégie pour garder la motivation pendant les séances difficiles, mais cela peut être une erreur de se baser uniquement sur une telle planification car ensuite, pendant la course, quand la merde arrive et que vous sortez du plan, il sera facile d’abandonner ou d’arrêter de se battre. Je ne planifie que ce que je peux planifier (carburant, équipement, entraînement, connaissance de l’itinéraire…) et je me prépare à affronter des inconnues (problèmes gastro-intestinaux, problèmes musculaires, mauvaise forme physique, blessures, sommeil, douleur…).
Pour cela, je pense que l’expérience est un gros avantage qui me permet de ne pas paniquer en cherchant à comprendre ce qui arrive, et de prendre des décisions judicieuses qui m’évitent de dépenser de l’énergie supplémentaire. Généralement, en cas de problème, cela donne : Oh merde ! C’est arrivé → Pourquoi ? → Essaie de trouver pourquoi → Que dois-je faire ? : Arrêter ? C’est dangereux ? Ralentir ? Changer ma façon de courir ? Manger quelque chose de différent ? → Ok j’essaie ça… → Ça n’a pas marché, réanalyse et essaie quelque chose différent…. Ce processus prend beaucoup de temps et d’énergie, alors que chez moi, la réponse est automatique : Oh merde ! C’est arrivé → Je change cela d’après l’expérience acquise.
Mon équipement
J’ai fait tous mes entraînements avec les mêmes chaussures. Peu importe que ce soit du terrain technique, de la route ou un mix des deux, j’ai utilisé le même modèle, la NNormal Kjerag. 2 paires pour l’entraînement (une décembre-avril, une autre avril/septembre) et une 3ème paire pour toutes les compétitions. Je crois que de cette façon je me suis préparé à ce que j’aurais pendant les courses, et que cela m’a permis d’éviter les ampoules, les ongles noirs, les différentes douleurs plantaires ou aux pieds.
Lire Tout savoir sur la NNormal Kjerag, la chaussure de Kilian Jornet
J’ai fait presque tous mes entraînements avec peu de matériel (un short, un tee-shirt, des chaussures) et sans transporter ni eau ni nourriture. C’est ce que j’ai l’habitude de faire, et je trouve ça plus simple. Si je fais une journée montagne, je vois ce qu’il faut apporter selon l’activité (veste, corde, piolet, selon le parcours).
Pour les courses, j’essaie d’organiser mes poches (de short ou de gilet) pour les gels et les flacons. Une poche pour les gels, une poche réservée aux déchets et une autre aux barres ou autres aliments. De cette façon, c’est presque automatique lorsque je cherche du carburant, lorsqu’il faut vider les déchets ou changer de ravitaillement.
Sur la Hardrock 100 et à l’UTMB, j’ai utilisé des bâtons, mais je ne les ai utilisés à aucun entraînement. Durant la saison de skimo c’était assez pratique, mais j’ai préféré me concentrer sur des courses plus rapides et légères pendant l’été.
Aux 3 ultras (Tjornarparen, Hardrock et UTMB), j’ai utilisé une lampe frontale (Moonlight 800) avec une double batterie pour être sûr qu’elle puisse tenir une nuit complète. J’ai trouvé que c’était suffisant pour fonctionner au 2ème niveau (200 lumens réels), même sur les terrains les plus techniques. J’ai fait quelques entraînements de ski la nuit en hiver, mais pas de pratique avec lampe frontale pendant l’été.
Concernant la gestion de la température, dans les ultras, je préfère utiliser un tee-shirt plutôt qu’un débardeur. Cela offre en plus une protection solaire sur les épaules.
J’utilise aussi une casquette pour me protéger de la chaleur (avec les cheveux noirs, je suis plus vulnérable) et j’essaye de mettre de l’eau à la fois sur le tee-shirt et la casquette pour garder la tête, les épaules, le cou et les mains au frais pendant les heures chaudes.
Mon gilet-sac à dos a une poche étanche où j’ai tous mes vêtements et mon équipement, donc mettre de l’eau dessus – ou ma sueur – ne les rend pas humides.
Pendant la nuit, sur la Hardrock 100, j’ai changé pour une chemise en mérinos pour mieux supporter les températures froides. S’il fait froid, j’essaie de garder le ventre au chaud en rentrant mon tee-shirt dans le pantalon ou en utilisant des patchs chauffants stimcare, je me protège le cou avec un buff et la tête avec un bonnet.
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