Thomas Cardin : objectif 100 kilomètres !

THOMAS CARDIN KIPRUN 1

Vainqueur de sa deuxième SaintéLyon début décembre, Thomas Cardin a vécu une saison 2023 contrastée, entre déconvenues et performances de haute volée. Pétri de qualités, l’homme à la foulée redoutable se reconnaît cependant un point faible : le mental, parfois défaillant. Rencontre avec un athlète déterminé, qui vient de conclure en beauté six années de partenariat avec Hoka avant de s’envoler vers de nouvelles aventures avec la Kiprun Team Trail.

Esprit Trail : 2023 avait plutôt bien commencé. Qu’est-ce qui a déraillé en cours de route ?

Thomas Cardin : C’est vrai qu’en début d’année, j’étais plutôt en forme. J’avais fait du cross country durant l’hiver et je suis arrivé confiant à mon premier objectif, les France de Trail, début mars à la Cité de Pierres. C’était un peu une formalité, puisque j’étais déjà qualifié pour les championnats du monde à Innsbruck grâce au podium par équipe.

Ça s’est bien passé mais sans plus. J’ai fait troisième de la course, mais je n’étais pas vraiment dedans et il a fallu que je trouve les raisons pour lesquelles ça n’avait pas très bien fonctionné. J’ai enchaîné avec ma prépa pour les championnats du monde, je me suis vraiment concentré là-dessus, en faisant très peu de courses à côté. Dans ce cadre, j’ai fait les championnats de France de course en montagne mi-mai, que j’ai gagnés, et ça m’a confirmé mon état de forme.

Thomas Cardin France Montagne
Thomas Cardin tout sourire après son titre de Champion de France de Course en Montagne au Dévoluy. Photo Organisation

On arrive alors à début juin, pour les championnats du monde, à Innsbruck…

Thomas Cardin : Et là, j’ai raté ma course. Mais alors vraiment bien raté ! Ça faisait longtemps que je n’avais pas autant raté une course.

Que s’est-il passé ?

Thomas Cardin : Je ne m’en suis rendu compte qu’après coup. D’ailleurs, j’ai fait exactement la même erreur à Sierre-Zinal, en août. En fait, j’ai compris que cette année, je n’allais pas sur mes gros objectifs avec le bon état d’esprit. J’ai toujours couru avec pour objectif de faire la meilleure course possible par rapport à moi-même, et pas par rapport aux autres. Mais aux championnats du monde, j’y suis allé pour gagner par rapport aux autres et pas par rapport à moi. Cela fait une énorme différence en terme d’état d’esprit, surtout dans les moments de moins bien.

Quand tu pars pour faire ta meilleure perf possible par rapport à toi, si ça ne va pas bien, tu prends un peu de recul, tu relativises plus vite, ça te permet de réagir et de prendre des décisions en étant assez souple dans ta gestion de course, psychologiquement parlant. Alors que quand tu y vas avec un objectif précis par rapport aux autres, du genre je veux gagner ou faire podium, dès que ça ne se passe pas bien, c’est dur à gérer. C’est ce qui m’a fait défaut en Autriche, au-delà de la pression que je me suis mis tout seul. Je voulais faire un podium, et comme ça n’a pas du tout fonctionné, ça m’a crispé.

Thomas Cardin Mondiaux de Trail Innsbruck
La déception de Thomas Cardin à l’arrivée des Mondiaux de Trail d’Innsbruck. Photo Organisation

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné précisément ?

Thomas Cardin : Je pense que j’ai fait un effort trop important pendant la première heure de course, et qu’ensuite j’ai eu un coup de moins bien que je n’ai pas réussi à gérer psychologiquement parce que je n’acceptais pas qu’on me double, c’était mentalement très douloureux. Ce n’est qu’après trois heures de course que tout est revenu dans l’ordre, ça m’a permis de faire une dernière heure de course très correcte, de rattraper pas mal de monde et de finir troisième français. C’est là qu’on voit que tout est dans le mental !

À Sierre-Zinal, tu as carrément abandonné !

Thomas Cardin : J’ai reproduit exactement la même chose ! Là aussi j’étais prêt et fort, car aujourd’hui, physiquement, j’ai passé un cap. Le problème, c’est que je venais pour faire une super course et une très bonne place, et j’ai eu de mauvaises sensations. Du coup, je me suis fait beaucoup doubler, je me suis retrouvé à une place que je trouvais nulle et j’ai lâché psychologiquement. À tel point que j’ai abandonné, ce qui, à part sur blessure, ne m’était jamais arrivé. J’ai abandonné à mi-course parce que je trouvais ma performance nulle !

Comment as-tu réussi à digérer ces deux déceptions ?

Thomas Cardin : J’avoue que ça a été un petit peu dur à gérer en milieu de saison, mais j’ai eu pas mal d’aide, de la part de mon coach, de mon épouse et de pas mal de potes autour de moi qui m’ont aidé à comprendre les raisons de ces échecs. Ça m’a boosté et ça m’a donné envie de retourner à l’entraînement et de faire les choses à ma manière, comme je savais faire avant.

Quelle formule magique Philippe Propage, ton coach, a-t-il employée pour réussir à te remobiliser ?

Thomas Cardin : Après mon abandon à Sierre-Zinal, il m’a dit de prendre des vacances et de prendre un peu de recul, parce qu’à chaud tu es encore dans la déception, donc tu ne peux pas bien analyser les raisons de ta contre-performance. Il n’a pas eu de mots vraiment forts, mais il a été à mon écoute et il a trouvé une façon de me remobiliser en changeant d’objectifs, en essayant de faire quelque chose d’un peu nouveau…

C’est là qu’il m’a parlé des Templiers, une course où j’allais partir dans un autre état d’esprit, pour essayer de faire le mieux possible par rapport à moi-même, et qu’il savait que j’étais capable de faire des belles choses. Ces mots simples m’ont montré qu’il avait confiance en moi et m’ont rassuré.

En plus, tu avais une revanche à prendre sur toi-même aux Templiers…

Thomas Cardin : Oui, car j’avais déjà fait une prépa pour les Templiers il y a deux ans, mais je m’étais cassé la figure en vélo une semaine avant la course et j’avais un gros hématome au genou. J’avais quand même pris le départ mais j’avais vraiment très mal et j’avais abandonné au bout de 30 bornes. Du coup, j’avais à cœur d’y retourner et de faire une belle course qui me rende fier de moi, quelle que soit la place. C’est pour ça que je fais du sport : l’enjeu est plus intrinsèque qu’extrinsèque.

Thomas Cardin Templiers Photo Cyrille Quintard
Thomas Cardin à l’arrivée du Grand Trail des Templiers, 4ème place et meilleur Français. Photo Cyrille Quintard

Quand tu as pris le départ de la SaintéLyon, tu y allais quand même pour gagner, non ?

Thomas Cardin : C’est vrai que beaucoup de gens ont dit que j’y allais pour gagner, mais en fait je n’y allais pas pour ça. Dans mon état d’esprit, j’y allais pour faire la meilleure course possible. Après, je sais que si la meilleure course possible arrive, que si tout s’aligne, qu’il n’y a pas trop de péripéties et que j’arrive à faire une course pleine, il y a une bonne place ou une victoire à la clé.

Mais je n’y vais pas en me disant « je vais gagner », et à aucun moment de la course à part dans les derniers kilomètres j’avais en tête de gagner. J’avais uniquement en tête de maintenir une intensité de course et d’efforts jusqu’au bout et de faire le meilleur résultat possible. Vu de l’extérieur, on a l’impression que cela ne change rien au niveau de la performance, mais pour moi, mentalement, ça change beaucoup de choses. C’est une question d’état d’esprit, véritablement.

Justement, quel était ton état d’esprit au moment précis où tu t’es rendu compte que tu t’étais trompé de chemin ?

Thomas Cardin : Je me suis juste dit qu’il fallait que je fasse l’effort pour rattraper la tête de course, et qu’ensuite je devrais surtout rester avec eux le temps de refaire un petit peu mes forces, lever le pied, bien manger, boire et attendre le bon moment pour y retourner. Quand tu es dans l’euphorie du moment où tu les rattrapes, il ne faut surtout pas continuer sinon tu risques de te mettre dans le dur. Ça aussi, c’est de l’expérience. Le nombre de fois où tu te perds en course, et tu fais la bêtise de rentrer trop fort. Là je suis rentré fort mais j’ai pris le temps de rester un peu.

Comment t’es-tu perdu ?

Thomas Cardin : C’est vraiment une erreur d’inattention. À la sortie du ravitaillement de Sainte-Catherine, un des caméramen qui filmaient la course a commencé à discuter avec moi et ça m’a déconcentré. C’était en pleine nuit, on était sur un gros chemin, il fallait prendre une petite épingle à gauche et je suis parti tout droit, je n’ai même pas vu que je m’étais trompé. Antoine (Charvolin, NDLR) était derrière moi, il n’a pas réfléchi, et quand on s’en est aperçu, on avait quatre minutes de retard sur la tête de course. On a bien mis 20 minute à les rattraper.

Tu semblais « facile » sur les derniers kilomètres, par rapport à Antoine Charvolin et Baptiste Chassagne qui semblaient au bout de leur vie…

Thomas Cardin : La SaintéLyon est une course extrêmement dure mentalement. C’est une course d’attente, ne se gagne pas en prenant des risques mais en poursuivant son effort jusqu’au bout. D’ailleurs, il y a plusieurs années où le gars qui est en tête à 20 km de l’arrivée ne finit même pas. Je pense par exemple à Manu Meyssat, qui a déjà fait toute la course en tête jusqu’à Soucieu-en-Jarrest, et qui après a arrêté.

C’est aussi la particularité de cette course : à la fin, il y a pratiquement 20 km de goudron sans difficultés, donc c’est 20 km où il faut courir à plus de 15 km/h. Et courir à 15 à l’heure, si tu ne t’es pas économisé, c’est dur. Là encore, c’est l’expérience de la course. C’est la troisième fois que je la faisais, je savais à quoi m’attendre et j’avais gardé des forces pour avoir une foulée propre…

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Le podium de la SaintéLyon 2023, avec au centre Thomas Cardin, entouré d’Antoine Charvolin à gauche et Baptiste Chassagne à droite. Photo INFINITY NIME MEDIA / Lilian Menetrier

Tu démarres 2024 en leader de la team Kiprun. Quels sont tes principaux objectifs ?

Thomas Cardin : Mon rêve sportif est de gagner un grand championnat. Que ce soit un championnat du monde ou un championnat d’Europe, c’est vraiment quelque chose qui me motive. Alors je vais essayer de me qualifier pour les Championnats d’Europe début juin. En plus, ça se passe à Annecy, donc pas très loin de chez moi, et je connais déjà bien les sentiers. Ça commence donc par les championnats de France de trail long à Buis-les-Baronnies, dans la Drôme, le 7 avril.

Pour les préparer, je vais d’abord faire le Ventoux début mars. Et si ça ne se passe pas comme prévu, je me mettrai un autre objectif avec les 90 km du Mont-Blanc, début juin. Ensuite, à la mi-saison, j’envisage de partir deux mois en vélo en itinérance en famille. En même temps, j’essaierai de préparer la CCC pour avoir une première expérience sur 100 km.

Et la fin de saison sera normalement tournée vers les Templiers, où j’ai vraiment envie de retourner pour faire encore mieux que cette année, sachant que j’ai identifié des clés de progression assez faciles à mettre en œuvre. Et pourquoi pas une SaintéLyon en fin d’année, en cerise sur le gâteau… Mais je ne la mets jamais dans mon programme. 

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Photo Kiprun / DR

Pourquoi ? Tu attends de voir ton état de forme du moment ?

Thomas Cardin : Non, c’est plus en fonction de « est-ce que j’ai envie de me préparer pour être en forme pour la SaintéLyon ? ». J’ai toujours envie de faire une compétition, ce n’est pas le problème. La question, c’est « est-ce que après une prépa CCC et une prépa Templiers j’aurai envie de retourner au charbon pendant six à sept semaines, me faire mal, faire des sorties longues, faire des sorties longues de nuit, dans le froid et dans la pluie » ?

Cette année, comme j’avais eu un ventre mou en milieu de saison, j’avais encore de la fraîcheur et de l’envie pour m’entraîner. Et puis le fait qu’il n’y ait pas eu de casse après les Templiers a joué. Dès la semaine suivante, j’ai pu reprendre l’entraînement, je me suis fait plaisir et je me suis dit très rapidement : « C’est bon, je vais courir à SaintéLyon ! »

Kiprun Team Trail, un projet d’avenir

Annoncée début janvier, la marque Kirpun (Decathlon), qui compte depuis 3 ans une très belle équipe féminine avec entre autres Blandine L’Hirondel et Clémentine Geoffray, a décidé de constituer une team trail masculine composée de six hommes. L’équipe sera dirigée par deux coureurs, Thomas Cardin et Loïc Robert, et comptera également dans ses rangs Pierre-Arnaud Bourguenolle, Loïc Rolland, Fleury Roux et Gwendal Moysan. Thierry Breuil, le Team Manager, explique que les garçons auront carte blanche quant à l’organisation de leur saison, avec simplement une « incitation » à être présents sur les championnats de France de Trail, l’UTMB et le Festival des Templiers, « les trois évènements majeurs où l’on souhaite avoir de la visibilité ».

« J’ai été contacté par la marque début septembre, raconte Thomas Cardin. Je n’avais jamais pensé à changer de team parce que je me sentais bien chez Hoka, mais par curiosité, j’ai écouté ce que l’on me proposait. Leur projet et leurs valeurs ont bien résonné avec les miens. Bien sûr, je leur ai demandé de m’envoyer des chaussures pour que je teste d’abord, et j’ai bien aimé. En plus, il y avait déjà toute l’expérience de la team féminine, et il y a des gens que j’apprécie dans ce projet, mon coach Philippe Propage bien sûr, mais aussi d’autres hommes dans l’équipe, que je connais et avec lesquels ça se passe très très bien. »

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Photo Kiprun / DR
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