Trop gros pour courir : le défi de Vincent Machet
Vincent Machet, Marseillais de 52 ans, pèse 150 kilos et court depuis presque toujours. Perdre du poids sera son éternel combat, jusqu’à son dernier souffle. Dans le milieu du trail, on le connaît pour sa silhouette imposante autant que pour sa détermination sans faille et sa finesse d’esprit. Coureur hors norme, il se met à nu, avec pudeur mais sans concession, dans Trop gros pour courir, titre de son livre. Un préjugé que ce père de famille résilient déboulonne depuis plus de trente ans, en vivant ses rêves en grand. Une leçon de vie écrite avec talent, racontée par Alice Milleville.
Vincent Machet : « Sans sport, je serais peut-être mort… »
Souffrant d’obésité, Vincent Machet lutte chaque jour contre les troubles du comportement alimentaire, ses perpétuels adversaires. S’il court, ce n’est pas pour maigrir ; lui cherche plutôt à maigrir pour pouvoir courir. La course est une passion, sincère, intense et viscérale qui l’anime depuis l’adolescence.
Les deux années de Covid l’ont sérieusement plombé. Peur d’y passer, avec son profil à risque et sa femme en blouse blanche très exposée. Son moral est tombé au plus bas, son poids est monté au plus haut. Jusqu’à ce que la balance indique les trois lettres ‘ERR’, au lieu de trois chiffres.
« J’ai touché du doigt le summum de ma maladie et je me suis retrouvé, pour la première fois, en situation de handicap, à ne plus pouvoir lacer mes chaussures ni monter trois marches », confie-t-il. Rester avachi sur le canapé ? Pas pire scénario pour ce challenger. L’inactivité tue. Sans sport, confesse-t-il, il serait peut-être mort.
« Trop gros pour courir », un livre comme une thérapie
Avec ses armes et une bonne dose de courage, il est reparti en croisade, une énième, avec diète stricte (1000 Kcal par jour) et retour sérieux à l’entraînement. « J’ai suffoqué, j’ai craché ma salive et ravalé mon orgueil. J’ai vomi ma bille, j’ai été pris de vertiges. Mais chaque jour, je me promettais de finir ma séance. Et de revenir demain. J’ai tenu », relate-t-il ainsi en préambule de son livre, paru aux Éditions Mons.
Dans ce récit autobiographique qu’il a peaufiné avec l’ancien grand reporter de L’Équipe Rémy Fière, l’homme drôle, sensible et généreux se met à nu avec pudeur et justesse. En consignant ses émotions, ses souvenirs, mais aussi ses névroses, Vincent Machet revendique le droit à la différence, tordant le cou à bien des préjugés. Écrire ces morceaux choisis de vie fut sa thérapie. Une « autopsy », comme aime à dire ce communiquant à la plume espiègle.
Vincent Machet, finisher à jamais
Fils d’un imprimeur fan de montagne et d’une mère maniaco-dépressive atteinte d’obésité morbide, son enfance n’a pas été toute rose. Ses parents l’ont quitté trop tôt, sans vivre leurs rêves. Il réalisera les leurs au travers des siens, en courant, tout simplement pour se sentir vivant. Courir d’abord pour larguer les amarres, s’extirper d’un climat familial oppressant. Courir aussi pour mieux s’accepter tel qu’il est.
Depuis son premier footing, à l’été 85, bandana vissé sur front façon Rocky III, son envie de sport, sa rage de vaincre et sa soif de combat ne se sont pas émoussées. Son poids le condamne à vivre ses aventures en queue de peloton ? Qu’importe. Il sera souvent premier en partant de la fin, mais finisher à jamais.
Le souffle court, le cœur au bord des lèvres, Vincent n’a jamais boudé son plaisir avec un dossard sur la poitrine. Heureux d’être là où il est, à faire ce qui lui plaît. Pourtant, chaque objectif sera une bataille, qu’il s’agisse d’un petit 5 km sur route, d’un trail comme d’un marathon, en fonction de l’état de forme et du poids du moment.
Le défi de Vincent Machet : flinguer l’ennemi
Pour repousser les limites que son corps lui impose, sa rigueur est implacable. « Courir des kilomètres, empiler les charges de fonte, multiplier les séries de renforcement musculaire, d’abdominaux, de gainage. Travailler sa tablette de chocolat invisible sous la couche de Nutella. En mode commando, se priver de nourriture, s’astreindre, se contrôler. Toujours garder ce contrôle et descendre un à un chaque kilo comme on flinguerait un ennemi. Et ne jamais battre en retraite. Un combat de petites victoires, de grandes défaites, ou parfois l’inverse », résume-t-il en retraçant la préparation de son marathon de New York. De ses cinq marathons, croquer la grosse pomme en 42,195 km reste son souvenir le plus exaltant. Voyage initiatique en hommage à ses parents, cadeau inoubliable pour ses 40 ans, il l’a vécu dans sa chair et son âme.
En montée, une technique : vingt pas, vingt secondes de récupération !
Son odyssée, Vincent Machet la vit aussi avec allégresse sur les sentiers depuis des années. Mariage parfait entre course et montagne, le trail lui plaît, avec un petit atout qui ne gâche rien : on peut marcher en montée, c’est même recommandé. Dans les pentes abruptes, l’effort est pur, brut, tout en puissance avec 150 kilos à tracter, et une technique imposée : vingt pas, vingt secondes de récupération. Mais une fois au sommet, l’extase de l’instant, « ce doux petit vent de sérénité », l’impression d’être aussi léger qu’un oiseau le transcende, et gomme toutes ses souffrances.
Inspiré par les exploits de Kilian Jornet, avec qui il a eu la chance de partager un bel aparté sur invitation de Salomon, Vincent a ainsi hissé haut sa « molle carcasse ». Du Cross du Mont-Blanc au Trail de Serre-Chevalier et jusqu’au Mont-Blanc du Tacul (4248 m), son Everest, vaincu avec le spécialiste de l’ultra-trail Vincent Delebarre.
Exemple de résilience, Vincent Machet s’est fait un nom dans le milieu. « J’ai réussi à prouver jusqu’où la volonté et le mental pouvaient mener. J’ai l’impression d’être respecté. Admiré peut-être pas, mais reconnu. J’ai sans doute bluffé mes pairs en relevant les défis que je m’étais fixés. J’en suis fier », lâche ce passionné au détour d’un chapitre.
Un rêve de trail par étapes en Jordanie
Et s’il ne pouvait plus courir un jour, comme certains le prédisent ? Trop heureux de remonter la pente après deux années sombres, il y pense, puis il oublie. Car il en veut encore. Sa « machine à rêves » s’est remise en route alors que son livre sortait des presses. Il terminera son année sur la SaintéLyon pour les dédicaces et s’aligner au passage sur la petite distance de la doyenne lyonnaise. Pour la suite, des envies de Marseille-Cassis, sa course fétiche, de revivre New York et son magic marathon, mais aussi de se frotter à un trail en trois étapes de 60 kilomètres en Jordanie, un gros défi qu’il aimerait s’offrir pour fêter cette cinquantaine dans laquelle il avance avec détermination… 2024 s’annonce intense avec sans doute, du côté de son fief natal, le bonheur de porter la flamme olympique pour quelques kilomètres symboliques.
Cet article a été publié dans le magazine Esprit Trail N°134
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