Ultra-Trail du Haut-Giffre : récit du drame et appel à la raison

Photo Marc Wieland

La 11ème édition de l’Ultra-Trail du Haut-Giffre, parti dans la nuit du vendredi 14 juin, a viré au drame quand un concurrent de 52 ans a perdu la vie après avoir chuté dans une descente. Deux autres traileurs ont également été grièvement blessés. Et beaucoup d’autres encore ont souffert d’hypothermie et de blessures légères. C’est vers 4 heures du matin que l’accident s’est produit. Le coureur italien Roberto Negri se préparait alors à atteindre la Pointe d’Angolon à 2100m, au KM18 de l’Ultra-Trail du Haut Giffre (UTHG, 96km et 6800m D+), avant de plonger dans la descente. Il était là au moment où tout a basculé. Récit douloureux et poignant, suivi d’une lettre ouverte à tous les amateurs de course en montagne.

Ultra-Trail du Haut-Giffre : déluge à la Pointe d’Angolon

KM 18, je suis dans la montée de la Pointe d’Angolon. La pluie est désormais battante et le vent souffle fort, rendant la température ressentie très basse. Les sentiers sont très glissants, souvent transformés en une bouillie de 10 centimètres de boue. Comme il était déjà difficile de garder une prise ferme en montée, je n’avais aucun doute qu’une fois au sommet, je mettrais mes crampons pour la descente. Je lève la tête et je vois enfin la fin de cette montée rendue traîtresse par la boue.

Au sommet, un bénévole m’arrête pour relever mon dossard. L’ambiance est frénétique, la pluie tombe de tous les côtés, la visibilité est faible, et sur la droite, une petite tente igloo de l’organisation se tient là. Je me déplace un peu à gauche pour trouver moins de vent, mais c’est pareil. J’enlève mon sac à dos et je mets les crampons aussi vite que possible. En un instant, le froid vous saisit et raidit vos muscles.

Un coureur, dès qu’il atteint le sommet, se jette à genoux devant la tente et commence à avoir des haut-le-cœur. J’entends quelqu’un dire « crampons, crampons ». Je crois que c’est un bénévole, mais dans la confusion, je ne comprends pas. Dans mon esprit, j’imagine qu’il y a un contrôle pour vérifier que tout le monde porte des crampons, pourtant je vois des coureurs qui ne s’arrêtent pas et commencent immédiatement à descendre. Erreur fatale.

Ultra-Trail du Haut-Giffre : crampons et corde fixe

Je commence à descendre, il y a une corde fixe, et le bénévole me dit de rester à droite de la corde. Je mesure chaque appui, les crampons tiennent bien, je m’aide avec mes bâtons et je garde la plus grande attention. En allant si prudemment, la corde semble inutile, mais comme tout le monde est en file indienne accroché à la corde, et vu que la pente est très raide et que l’on ne voit pas la fin, je ne fais pas le fanfaron et je me mets dans la file. D’en haut, je vois une longue file de personnes, une centaine, toutes immobiles, ça n’avance pas. J’essaie de comprendre la raison et je vois beaucoup de gens qui ont du mal à maintenir leur équilibre, glissent et souffrent du froid.

Je pense que la plupart d’entre eux n’ont pas de crampons, et descendre cette pente d’herbe et de boue glissante sans cette précieuse aide est vraiment ardu et compliqué. Je vois des gens paniquer. Nous ne pouvons pas rester immobiles ainsi.

Je commence à m’impatienter, évidemment pas pour le temps de classement, mais parce que le vent et la pluie ne faiblissent pas et le froid se fait de plus en plus sentir. Je crie, je ne sais pas à qui, de se dépêcher. Je sais que dans ces circonstances, la meilleure chose à faire est de descendre, alors je franchis la corde fixe et commence à descendre du côté gauche où il n’y avait personne. La corde est pleine de mains gelées et effrayées. De temps en temps, entre deux mains, je m’accroche aussi à la corde, plus par respect que par nécessité.

Pour moi, la descente est faisable, j’ai déjà descendu plusieurs fois des pentes exposées et raides, j’ai tout sous contrôle. Le terrain n’est pas particulièrement technique, c’est une « prairie » avec les touffes d’herbe classiques qui créent des sortes de marches. C’est juste très mouillé et raide. Il suffit de descendre lentement et d’utiliser les bons points d’appui.

Il fait nuit, et j’ai ma lampe frontale. Il pleut, et j’ai ma veste imperméable. Il fait froid mais je peux le supporter, et de plus, dans mon sac à dos, j’ai un ensemble complet de vêtements thermiques. Je ne me sens pas en danger.

Je parcours environ 50 mètres, peut-être plus, et puis, devant moi, la pente herbeuse devient sombre, noire. Je me rends compte, à travers les lignes de pluie, qu’il y a un précipice. Je retourne donc sur la droite de la corde et me remets en file indienne pour attendre. À chaque pas, on attend 10, 20 secondes. Mon corps commence à trembler comme une réaction automatique pour créer de la chaleur.

Ultra-Trail du Haut-Giffre : des cris et des chutes

Tout à coup, des cris retentissent, et à ma droite, à dix mètres de moi, une silhouette humaine, allongée sur le sol, glisse rapidement vers le bas de la pente. J’essaie de la suivre avec le faisceau de ma lampe frontale, mais dans l’obscurité, je ne distingue qu’un petit point lumineux de sa lampe. Heureusement, à un moment donné, elle semble ralentir et s’arrêter plusieurs mètres plus bas. Terrible ! J’imagine comment elle pourra revenir sur le sentier de descente.

La pente, à droite, est extrêmement raide. Mes pensées sont interrompues par quelque chose qui me frappe les chevilles par derrière. Un coureur a glissé et s’est « planté » contre moi. Je pense : « heureusement qu’il ne m’a pas planté ses crampons dans le mollet ! » En même temps, je jure contre lui en lui demandant où sont ses crampons, et il me répond « dans le sac ! ». Je lui crie de les mettre – plus pour mon bien que pour le sien.

Je descends de quelques pas, et de nouveau, une lampe frontale file en bas de la pente. Non ! Un autre ! Malheureusement, je le vois disparaître dans l’obscurité du précipice. C’est surréaliste.

Tout le monde crie vers le sommet : « Secours ! Secours ! » Beaucoup hurlent aux bénévoles au sommet, à 100 mètres plus haut, « Stop the race ! », mais après quelques minutes, soudainement, une autre personne glisse le long de la pente la plus raide. Elle ne s’arrête pas et, de plus en plus vite, disparaît dans cette descente noire infernale. Je m’énerve. Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas croire ce que je vois. Est-ce que je suis en train de voir des gens venus ici pour s’amuser mourir ?

Ultra-Trail du Haut-Giffre : des scènes surréalistes !

Mais comment font-ils pour tomber ? Oui, la pente est raide et glissante, mais il y a une corde pour se tenir, et avec les crampons, on descend en sécurité. Je crie et jure ! Mettez les crampons ! Crampons ! Un quatrième homme file en bas de la pente, allongé et raidi par la terreur. Soudain, peut-être en s’accrochant à quelque chose, il bondit en l’air et effectue deux tours complets en vol à trois mètres du sol avant de disparaître aussi dans l’obscurité. Je n’y crois pas !

Des scènes choquantes restent tristement et effroyablement gravées devant mes yeux. Nous crions à nouveau au sommet de l’Angolon, j’espère que les secours arrivent tout de suite. Il me semble que le sentier descend vers ceux que j’ai vu glisser, j’espère les trouver endoloris, étourdis mais sains et saufs. Mais au lieu de cela, la corde nous mène à gauche. Nous nous éloignons. Je me demande s’il est correct de ne pas aller secourir ces personnes. Malheureusement, il est trop dangereux de s’aventurer dans la pente hors du sentier. Et puis, qui sait combien de temps elles ont dégringolé ? Qui sait où elles sont tombées ?

Une boule monte dans ma gorge. Je descends de quelques mètres en vérifiant derrière moi que personne ne me percute, et j’en vois un qui glisse lentement vers moi. Je l’attrape par le bras et le bloque. J’essaie de l’aider à se lever, je baisse les yeux vers ses pieds et… je n’y crois pas. Je vois des pieds nus. Il portait une paire de sandales lacées, sans même des chaussettes. Mais comment est-ce possible ? Je le regarde incrédule et il ricane. Je ne ris pas. Je décide de rejoindre au plus vite le premier point de contrôle pour abandonner.

Au point de contrôle suivant, au Lac des Mines d’Or, au 25ème km, je découvre que la course a été interrompue. J’attends environ 30 minutes sous un chapiteau, puis un bus arrive pour nous emmener, moi et 50 autres traileurs, à l’arrivée.

Plus tard, j’apprends qu’à l’Angolon, les coureurs derrière moi, ceux qui venaient juste de franchir le sommet, ont été rappelés à remonter et ont été renvoyés sur un parcours d’évacuation. Ce n’est que plus tard, en lisant des articles sur le web, que je découvre le triste épilogue de l’odyssée à laquelle j’ai dû assister. Colère et désespoir. Inutile de chercher des coupables. La montagne est sévère et immense, l’homme face à elle est infiniment petit et n’a pour seule défense que sa propre humilité.

J’ai une pensée et j’adresse mes condoléances aux familles et amis du collègue malheureux qui n’est jamais revenu de cette pointe.

Lettre ouverte aux traileurs : ne vous engagez pas dans un ultra-trail en montagne sans expérience

Amis traileurs, ne sous-estimez pas un ultra-trail ! Ne sous-estimez pas la Montagne ! Ne mettez pas votre vie aveuglément entre les mains d’une organisation, ils pourraient être des novices ou autoriser des niveaux de risque qui sont acceptables pour certains coureurs mais qui pourraient être au-dessus de vos capacités. Gardez les rênes de votre vie, ne faites pas confiance aux autres simplement parce que vous avez payé un droit d’entrée.

L’organisation est là pour vous fournir une série de services et d’aides avant, pendant et après la course, mais elle ne vous connaît pas personnellement. L’acceptation de votre demande de participation ne signifie pas qu’ils savent si vous êtes suffisamment préparé.

Malheureusement, à ce jour, il n’existe pas de système pour certifier l’expérience technique des personnes. Donc, le fait que vous puissiez vous inscrire à une course d’ultra-trail et que le speaker vous donne le départ, n’exclut pas la possibilité que vous rencontriez des difficultés supérieures à vos capacités.

Cela semble évident de le rappeler, mais souvent je me rends compte qu’il y a encore trop de « légèreté ». Pour faire une course d’ultra-trail en montagne, IL FAUT ÊTRE PRÉPARÉ, et seuls nous-mêmes pouvons savoir si nous le sommes. (Pour beaucoup, je dis des choses évidentes, mais tant pis, ils comprendront.)

Je ne parle pas de préparation physique. Certes, l’entraînement nécessaire est requis, mais c’est peut-être ce que tout le monde sait qu’il faut avoir. En fait, pour certains, c’est malheureusement la SEULE préparation qu’ils estiment devoir avoir. Je parle plutôt de l’expérience, de savoir gérer des situations « non optimales » en environnements de haute montagne.

Ne pensez pas à participer à un ultra-trail en montagne simplement parce que c’est à la mode, parce qu’il y a des centaines de personnes qui le font, ou parce qu’on vous en a parlé en bien, ou parce que vous êtes capable de courir pendant 10 heures consécutives ! Cela ne suffit pas, il faut de l’expérience. Il faut être à l’aise dans des environnements sévères, des conditions météorologiques sévères, des terrains sévères. Avant de penser à faire un ultra-trail en montagne, il faut, comme le dit un vieil ami à moi, « avoir le pied montagnard ».

Si vous n’avez pas assez d’entraînement, vous vous arrêtez ou vous arrivez quelques heures plus tard. Si vous n’avez pas d’expérience, tout devient imprévisible et le risque de vous mettre en sérieuse difficulté augmente exponentiellement.

Le fait qu’il y ait une organisation qui vous donne le départ ne signifie pas que vous êtes prêt. Cela ne signifie pas que vous ne trouverez pas de situations difficiles. Cela ne signifie pas que tout est adapté à vos conditions. L’organisation ne vous connaît pas, c’est à vous de faire un examen de conscience et de décider pour votre santé.

En revanche, l’organisation connaît parfaitement les lieux et les caractéristiques du parcours et doit savoir quand celui-ci devient non praticable en toute sécurité avec l’équipement « standard ». À ce stade, elle doit imposer du matériel, des vêtements ou un équipement supplémentaires et s’assurer que tout le monde en est équipé au moment opportun.

Lorsque vous abordez un ultra-trail, vous devez être certain que ce type de parcours, vous pourriez le terminer même en autonomie et en solitaire. En de nombreux moments, même si vous participez à une course « organisée », l’organisation ne sera pas là pour vous aider. Vous devez être certain de pouvoir vous débrouiller seul ! Dans votre sac à dos, vous devriez avoir, sans aucun doute, tout ce qu’il faut pour terminer le parcours indépendamment de l’aide de l’organisation. Dans votre sac à dos, vous devez avoir tout le nécessaire pour vous protéger de toutes les conditions météorologiques possibles. Je parle de pluie, de froid, de vent, de boue et parfois même de neige.

Quand vous vous préparez à une course d’ultra-trail, VOUS DEVEZ consulter attentivement le service météo le plus technique et référencé de la région. Vous devez avoir une idée aussi claire que possible de ce qui pourra se passer en termes de précipitations, de températures et de vent. Vous devez vous poser la question de savoir si, avec les mêmes conditions, vous partiriez faire un entraînement. VOUS DEVEZ vous poser des questions et y répondre honnêtement. Vous devez être le plus possible prêt aux imprévus inévitables. Si vous avez des doutes, rappelez-vous que le doute ne laisse aucun doute, NE PARTEZ PAS ! Il vaut mieux reporter. La montagne est toujours là.

Ce récit et ce texte d’avertissement de Roberto Negri, rapporté par Cécile Bertin, n’a pas été modifié. Il reflète le point de vue d’un traileur expérimenté, habitué des trails de montagne. Toute l’équipe d’Esprit Trail se joint à la peine de la famille et des amis du disparu et des blessés, et ne peut que soutenir l’appel à la raison de Roberto Negri.

Les derniers articles
0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *