Assistance sur les ultras : Kilian Jornet lance le débat

Kilian Jornet WSER 2025. Photo NNormal

Trop d’assistance dans les ultras nuit à l’égalité des chances ! C’est par un article publié sur ses réseaux que Kilian Jornet a décidé de lancer un pavé dans la mare et d’aborder enfin le problème dès ravitaillements, où certains coureurs parmi les élites ont carrément une « armée » entière à leur service quand d’autres sont seuls à devoir tout gérer.

Assistance sur les ultras : le cas extrême de la Western States Endurance Run 2025

Ce n’est pas un hasard si Kilian Jornet a attendu le début du mois d’août pour jeter un pavé dans la mare. En juillet, alors qu’il a participé à la Western States Endurance Run aux États-Unis, le « Patron » a été frappé par l’assistance dont ont pu bénéficier certains coureurs élites, avec à chaque ravitaillement plusieurs personnes à leurs soins et une démesure dans l’assistance, allant des changements de chaussures et de tenues aux « piscines » remplies d’eau fraîche pour se refroidir, tandis que d’autres coureurs élites n’avaient personne sur certains points. Un constat d’autant plus étonnant que sur la Western States, course extrêmement rapide, il est rigourseusement impossible pour une même personne d’être présente sur tous les points de ravitaillement. Certains coureurs ont donc carrément plusieurs équipes d’assistance à leur service, ce qui suppose une organisation et des moyens démesurés. Et Kilian Jornet, sans vouloir une suppression totale des assistances, de souligner les efforts faits par les organisateurs de l’ULTM Mont-Blanc pour limiter le nombre de points d’assistance et surtout d’intervenants, afin de maintenir un certain cadre d’égalité pour les athlètes en quête de performance.

Kilian Jornet, le plaidoyer pour moins de démesure dans l’assistance

Voici le texte intégral (traduit) qui lance le débat :

« Lors de mes premières courses de trail longues, l’assistance était simple. On emportait le nécessaire, et de temps en temps, il y avait un poste de ravitaillement où des bénévoles distribuaient de l’eau, des bananes, et parfois du chocolat. Avec un peu de chance, un ami ou un membre de la famille pouvait vous retrouver à un croisement avec un morceau de votre plat préféré. C’était simple, et c’était pareil pour presque tout le monde.

Au fil des ans, le sport a beaucoup évolué. Aujourd’hui, sur certaines courses, des athlètes professionnels comme moi peuvent disposer d’une équipe complète à plusieurs endroits du parcours : des personnes prêtes avec des boissons fraîches, des chaussures sèches, des gilets de course avec tout le nécessaire pour la section suivante, et même des piscines gonflables ! Dans d’autres cas, on peut voir un athlète arriver seul, avec l’aide d’une seule personne, voire sans personne. Pourtant, l’importance du soutien n’est plus un détail. C’est devenu l’un des facteurs de performance les plus importants dans les courses d’ultra-trail modernes.

(Kilian Jornet donne ensuite l’exemple, vidéos à l’appui, de 2 ravitaillements effectués par 2 athlètes élite sur la Western States : l’un avec une assistance très organisée, qui dure quelques poignées de secondes, l’autre avec un coureur sans aucune assistance, obligé de tout faire lui-même, et prenant évidemment beaucoup plus de temps). Et Kilian de commenter ces 2 exemples :

« L’un cherche à optimiser son temps et y consacre toutes les ressources et la réflexion nécessaires, l’autre improvise principalement sur le tas. Il existe de nombreux niveaux intermédiaires, et de toute façon, les deux respectent les règles de la course. Dans ce cas, si l’on cherche le meilleur résultat, on essaiera de maximiser les ressources et d’optimiser le temps passé aux ravitaillements en conséquence. Mais comme les athlètes peuvent avoir des ressources financières et humaines différentes, la question est : est-ce équitable ? Et peut-être plus important encore : est-ce la direction que nous souhaitons donner à ce sport ?

Soyons clairs : avoir du soutien n’est pas une mauvaise chose. C’est formidable d’avoir sa famille, ses amis ou une équipe qui vous encourage, vous tend sa bouteille, peut-être même son en-cas préféré ou change sa lampe frontale. Cela peut vous aider à rester dans la course, physiquement et mentalement. Cela permet de se connecter à un effort autrement solitaire. De même, lors des ultra-trails, où l’athlète court pendant des dizaines d’heures, avoir une alimentation testée et se sentir bien est essentiel, et il serait difficile de tout transporter dès le départ. Un point d’assistance est donc logique.

Mais la réalité actuelle est que la quantité et la qualité du soutien varient énormément. Certains athlètes arrivent à un ravitaillement entourés de cinq personnes : l’une change leurs chaussures, l’autre remplit leurs bouteilles, une autre les nourrit, et une autre encore leur donne des informations en direct grâce au tracker. D’autres arrivent seuls, parfois sans personne pour leur remettre un sac de transport. Et ce n’est pas qu’anecdotique : cela a un impact direct sur la performance.

Sur des courses comme la Western States, le règlement autorise ce type d’équipage complet. En revanche, d’autres événements comme l’UTMB ont mis en place des règles spécifiques : limitation des lieux d’assistance, du nombre de personnes autorisées à apporter leur aide et de la quantité de matériel pouvant être échangé. Il s’agit d’une tentative d’égaliser les chances, et je crois que c’est nécessaire.

Cela nous amène à une question plus profonde : quel type de sport construisons-nous ?

L’ultra-trail est-il en passe de devenir comme la Formule 1 ou le cyclisme professionnel, où la performance ne dépend pas seulement de l’athlète, mais aussi de la taille de l’équipe, de la technologie et des moyens financiers ?

Voulons-nous un avenir où les athlètes bénéficient d’une équipe de voitures d’assistance qui suivent le parcours, où les changements de vitesse et les stratégies de refroidissement deviennent des atouts décisifs ? Ou bien considérons-nous le trail comme une activité liée à l’exploration personnelle et à une certaine autonomie en pleine nature ? Une course où amateurs et professionnels affrontent les mêmes montagnes, le même soleil, les mêmes ravitaillements — et la même chance de s’en sortir.

Je ne prône pas l’absence totale de soutien. Mais je crois que des limites claires et cohérentes sont nécessaires pour garantir l’équité, notamment dans les courses professionnelles.

Réglementer le nombre de zones de secours autorisées aux équipages, limiter le nombre de personnes pouvant apporter leur aide et définir les échanges possibles sont autant de mesures simples qui préservent l’équité dans ce sport.

Cela compte aussi au-delà de la compétition. En banalisant les équipages excessifs, nous relevons les barrières à l’entrée. Il devient plus difficile pour les athlètes sans gros budget ou équipes de concourir à armes égales. Cela contredit l’idée que l’endurance est une question de résilience, et non de ressources.

En tant qu’athlètes d’élite, nous participons à ce jeu de renforcement du soutien, car nous cherchons toujours à maximiser nos performances dans les limites autorisées par le règlement, afin d’avoir les mêmes chances que les autres athlètes qui les optimisent également. Ainsi, nous apportons de plus en plus d’aide chaque année, creusant ainsi l’écart avec les athlètes qui ne peuvent pas bénéficier d’une assistance. Ainsi, si les règles restent ouvertes, il sera plus compliqué de revenir à une compétition plus équitable pour tous.

Réfléchissons à ce que sera le sport dans dix ans. Souhaitons-nous un sport où, pour performer, il nous faudra des budgets plus importants, des équipes plus importantes et où les athlètes n’auront « que » besoin de courir ? Ou souhaitons-nous un sport où tous les coureurs auront les mêmes chances et où la gestion de l’humain face aux défis des espaces et des conditions naturelles fera toujours partie du parcours ?

Pour moi, je choisirai toujours la deuxième. »

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