Ben Dhiman, l’ultra motivé

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Avec une victoire sur le format 100K de la première édition du Grand Raid Ventoux by UTMB le 26 avril 2025, puis une autre sur le format 100M du redoutable Lavaredo Ultra Trail by UTMB 2 mois plus tard, Ben Dhiman, le plus français des traileurs américains, qui a élu domicile à Bagnères-de-Bigorre, dans les Pyrénées, a parfaitement lancé sa saison d’ultra-trail, dans la continuité des multiples podiums qui jalonnent son CV depuis 4 ans. Seul l’UTMB, avec 2 abandons consécutifs, en 2023 et 2024, semble lui résister. Plus pour longtemps ? Cécile Bertin lui a posé la question, parmi d’autres. Portrait d’un ultra-motivé.

Ben Dhiman, en France pour l’amour d’une femme

Pour certains, comme Jim Walmsley, c’est l’amour pour une course qui amène un Américain à vivre en France. Pour d’autres, c’est l’amour d’une femme. Ben Dhiman est de ceux-là : « Je suis arrivé en France en 2021. Enfin, nous sommes arrivés en France, parce que j’ai rencontré mon épouse en Inde en réalité. Nous faisions tous les deux un périple solo qui s’est fini en duo. » Ben n’est à l’époque pas« vraiment » un traileur, c’est surtout un randonneur, mais de ceux qui ne font pas les choses à moitié.

« Quand j’avais la vingtaine, j’étais à l’université mais j’avais besoin d’autre chose, de quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus absolu. Je partais alors sur les chemins de grande randonnée américains, un peu à la façon de Christopher McCandless dans Into The Wild. Comble de l’ironie, il fréquentait la même université que moi. J’étais un peu en révolte vis-à-vis de ma famille, de mon parcours qui semblait être tout tracé. Mais les points communs avec le personnage du roman s’arrêtent là je pense. »

Ben, lui, aime l’effort long et la montagne. Il aime l’idée d’aller d’un point À à un point B à la façon d’un Forrest Gump et assume le fait qu’il n’est pas toujours simple de revenir dans le monde réel lorsque le périple se finit.

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Ben Dhiman, des capacités innées

En 2018, lorsqu’il découvre l’Île de Réunion, où vit sa future belle famille, Ben Dhiman pas le choix : il s’inscrit à la Diagonale des Fous, sans aucune expérience réelle sur ce type d’ultras techniques. Il a bien quelques 100 miles à son actif, courus aux États-Unis en 2017, mais aucun aussi exigeant en terme de difficulté, et où le dénivelé impose le respect. « Il faut bien reconnaître que je cherchais avant tout à impressionner mon futur beau-père ! Le parcours passe carrément devant sa maison puisque le ravitaillement de la Possession est en face de chez eux… »

Pour sa préparation, ce sera bloc de randonnée à Darjeeling et Sikkim, en Inde, pour accumuler du dénivelé. Et là, surprise, il termine 35ème, une belle place au général pour quelqu’un qui a si peu d’expérience sur 100 miles. Devant lui s’ouvrent alors de nouveaux horizons qui n’étaient pas du tout envisagés, et se pose LA question cruciale : et si il s’entraînait sérieusement pour aller titiller les podiums ? « Voir de près des grands champions comme François d’Haene m’a clairement inspiré et donné envie d’aller moi aussi chercher mes limites. Après tout, les premiers résultats étaient là, cela valait la peine de persévérer un peu. »

Modeste, il s’empresse de rajouter : « Je ne veux surtout pas que mes propos soient mal interprétés et que l’on prenne cela pour de la vanité, mais lorsque j’ai réalisé que j’étais capable de faire cette place sans être réellement entraîné pour, je me suis dit que j’avais des capacités innées qui ne demandaient qu’à être exploitées. » Mais pas question pour autant de moment de renoncer à une vie de nomade, et le couple repart vers l’Australie, juste avant la crise du Covid. Pas l’idée du siècle, vous en conviendrez, mais qui pouvait imaginer qu’en quelques jours, le monde entier allait se mettre à l’arrêt et les frontières se refermer.

« Mon épouse est très vite rentrée en France parce qu’elle attendait notre premier enfant, un petit garçon, et qu’il semblait très compliqué de mener à terme une grossesse sur place en toute sérénité. Mais moi je devais rester encore quelques mois, le temps surtout de faire tous les papiers pour pouvoir venir la rejoindre en toute légalité. » Tout finira bien, et quelque temps après, le couple est réuni, s’installe en France, dans les Pyrénées, et Ben Dhiman décide qu’il est temps pour lui de commencer sérieusement une carrière d’ultra-traileur professionnel. Même si, pour cela, il lui faudra renoncer petit à petit à sa façon très naturelle de s’entraîner sans montre connectée. « Je courais tous les jours, pour le plaisir, sans chercher à connaître mes allures ou autres données chiffrées », se souvient-il. Mais seuls les imbéciles ne changent pas d’avis…

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Une SaintéLyon en guise de récupération

Très vite, les résultats sont là, avec entre autres un retour en fanfare sur le Grand Raid et une 3ème place à la clé (derrière Beñat Marmissolle et Jean-Philippe Tschumi), puis un enchaînement de victoires début 2023, les premières de sa carrière, qui le mèneront en avril 2024 sur la plus haute marche du très prestigieux 115 km du MIUT, sur la petite île de Madère. « Je n’ai pas de coach, je considère que je me connais suffisamment pour être capable de faire mes plans d’entraînement seul. Je choisis également mes courses seul, même si bien sûr j’en discute avec Laurent Ardito (le manager du team Ascis, son équipementier et employeur, NDLR).

D’ailleurs, cela entraîne parfois des situations amusantes, comme lorsqu’après la Diagonale des Fous 2024 il m’a proposé de venir comme spectateur sur la SaintéLyon, dont Asics est partenaire majeur. J’ai accepté volontiers, parce que la course fait vraiment partie des incontournables du calendrier français, même si ma spécialité est plutôt la course en montagne. Mais très vite, j’ai réalisé que le côté spectateur sur le bas-côté, ça n’était pas trop mon truc, surtout que la start-list était sympa. J’ai donc finalement demandé un dossard alors que, soyons honnête, cette distance et surtout son caractère ultra roulant n’étaient peut-être pas l’idéal en récupération. » Résultat : une 2ème place à 11 minutes de Thomas Cardin, le grand favori de la course.

L’UTMB, cet ennemi qui lui résiste

Dans toute cette histoire idyllique, subsiste cependant un point noir, une course qui lui résiste, comme le village gaulois à l’envahisseur romain : l’UTMB ! Deux départs, deux abandons, avec à chaque fois des explications. « Ma première participation, en 2023, c’est le stress de vouloir trop bien faire qui m’a finalement perdu, se souvient-il. Je venais de signer un contrat avec mon équipementier, j’avais la volonté de bien faire, de trop bien faire. Seulement voilà, j’ai trouvé le moyen de tomber malade quelques jours avant la course. On peut y voir le signe d’une fragilité, conséquence classique d’un entraînement intensif, je ne sais pas… Mais le résultat était là, j’ai dû abandonner.

L’année suivante, je suis revenu, j’avais les jambes, mais c’est mon système digestif qui m’a fait défaut. J’ai vomi plus que de raison, et là encore j’ai dû abandonner. Est-ce l’expression physique de mon stress ? Peut-être, je ne sais pas. Mais les résultat étaient là, et ils n’étaient pas forcément simples à analyser. »

Loin de se décourager, Ben Dhiman persiste et signe, avec un projet clairement assumé et revendiqué : il n’est pas sur la ligne de départ en mode « esprit de Coubertin » dans l’idée de seulement participer, mais parce qu’il compte bien un jour gagner l’UTMB ! Et tout faire pour. Pour les problèmes digestifs, il a d’ailleurs sa petite idée :

« Je pense qu’il y a une piste que beaucoup d’ultra-traileurs n’ont pas forcément envisagée. En vivant en France, j’ai appris à me nourrir au quotidien de façon totalement différente. Comparé à l’alimentation made in USA, il faut bien avouer que ce n’est pas très compliqué de manger plus sainement d’ailleurs. Et là, le temps d’une course, on charge de façon excessive notre corps de glucides et autres gels. Je pense que notre organisme n’est plus prêt à encaisser tout ça. J’avais beaucoup moins de problèmes gastriques lorsque je mangeais un peu n’importe quoi, façon junk food américaine.

Et puis surtout, je pense qu’il faut être conscient du fait qu’un ultra-traileur n’est pas un cycliste ou un triathlète. Transposer sans les adapter des protocoles nutritionnels à la mode que l’on voit fleurir un peu partout dans d’autres sports n’est pas une bonne idée. Sur un ultra, où par la force des choses on court forcément plus de 10 heures, il faut forcément rajouter un peu de solide ! »

Sans parler du fait qu’un plan qui fonctionne très bien sur plusieurs courses peut se révéler catastrophique le jour J, quand d’autres facteurs externes viennent perturber la machine pourtant bien huilée. La gestion d’une bonne hydratation, par exemple, est aussi capitale pour être justement capable d’encaisser une telle dose de glucose. Comme pour l’entraînement, Ben Dhiman ne fait confiance qu’à lui-même pour élaborer son programme de nutrition, partant du principe que là encore, si quelqu’un connait ses besoins, c’est bien lui et personne d’autre.

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Les FKT, non, la compétition, oui !

Et les FKT aux États-Unis dans tout ça ? Parce qu’avec un parcours pareil, la question se pose naturellement. À une époque où de plus en plus d’ultra-traileurs s’attaquent à des records sur des grands parcours de randonnée, comme François D’Haene cet été sur le Nolan’s 14, revenir courir sur des traces connues et déjà explorées aurait une certaine logique.

« Même si cela peut sembler évident à la vue de mon CV, ça n’est pas du tout dans mes projets ! Je suis vraiment devenu ultra-traileur avant tout et j’ai trop d’envies à satisfaire, d’objectifs dossards pour le moment pour retourner passer plusieurs semaines sur des chemins américains. Cela demande trop de temps, trop d’investissement physique pour prendre ce risque. Et puis j’avoue, j’ai l’esprit de compétition vis-à-vis de moi-même, mais aussi vis-à-vis des autres.

J’adore être sur une course et me bagarrer sur les chemins avec les autres concurrents. Ce que j’ai vécu au Ventoux avec Baptiste*, c’est vraiment ce qui me fait vibrer. Cette concurrence saine, ce duel au sommet où quasiment jusqu’au bout, nous ne savions pas qui de lui ou moi allait passer le premier la ligne d’arrivée, j’ai adoré. Un FKT, tu es seul face à toi-même, face à une trace, et parfois face à un temps à battre mais cela manque sérieusement de relations humaines et ce n’est pas ce que je cherche aujourd’hui. »

S’il retourne courir aux USA, ce sera plutôt pour une Hardrock 100, course mythique s’il en est, qui le fait rêver depuis plusieurs années. Hasard de la vie, même si on peut plutôt y voir un signe du ciel, Ben Dhiman a passé quelques mois à Silverton, vivant dans une tente à côté de la rivière et travaillant comme serveur dans l’un des quelques restaurants de la petite ville qui se remplissait de traileurs début juillet. Nous étions alors en 2017, et Kilian Jornet avait réussi l’exploit de gagner la course le bras en écharpe après s’être démis l’épaule, rajoutant une page de plus à sa légende déjà bien fournie.

« Le voir courir comme ça, alors que n’importe qui aurait raccroché, m’avait vraiment impressionné et inspiré, se souvient-il. Mais je ne m’étais pas contenté d’être spectateur cette année-là, mon job de serveur m’avait permis de faire la connaissance de traileurs arrivés quelques semaines avant pour repérer les lieux qui m’avaient demandé si je connaissais des pacers pour les accompagner. J’avais tout de suite répondu que je pouvais le faire. Certes, aucun n’avait le niveau d’être vainqueur, j’avais été là uniquement pour les accompagner et les aider à être finisher, mais j’avais adoré l’expérience, l’ambiance qui régnait sur cette course et je m’étais promis de revenir un jour, cette fois avec un vrai dossard accroché sur mon t-shirt, même si je sais que la sélection y est difficile. » Alors qui sait, après avoir gagné à Chamonix, peut-être verrons-nous un jour Ben gagner aux Etats-Unis.

*Ben Dhiman a pris le lead à seulement quelques kilomètres de l’arrivée du format 100K du Trail du Ventoux by UTMB, après avoir formé un duo avec Baptiste Chassagne pendant une bonne partie de la course.

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