« L’UTMB, c’était devenu ma bête noire » : la confession de Ludovic Pommeret
Peu de gens se souviennent qu’à ses débuts, Ludovic Pommeret, alors passionné de défis insensés – et peu préparés – , s’est aligné par deux fois sur l’UTMB, en 2004 et 2005, et par deux fois a abandonné. Depuis 2016 et sa victoire après une remontada devenue légendaire, le néo-quinquagénaire (depuis le 22 juillet 2025 !) à l’immense foulée caractéristique est devenu l’un des coureurs les plus populaires de France, qui ne rate jamais le rendez-vous de Chamonix. Le 29 août, il sera de nouveau au départ de la boucle autour du mont Blanc.
Tu as fait beaucoup de sports avant de te fixer sur le trail, notamment du snowboard, du ski alpin, de la planche à voile… Comment, de la glisse, tu es arrivé au trail ?
Ludovic Pommeret : Un petit peu par hasard en fait, des histoires de défis. D’abord avec mes beaux-frères qui faisaient de l’athlétisme et m’avaient mis au défi sur des montées franches vers chez nous. Ensuite, en 2000, il y avait la Forty, une course de 120 kilomètres qui partait de chez moi, à Valloire. Je n’avais pas été accepté en tant que coureur, donc je m’étais inscrit en marcheur, parce qu’il y avait une catégorie marcheur… En fait, c’était surtout le défi de faire de grandes courses qui ne paraissaient pas réalisables quand on n’a pas l’entraînement qui m’animait. Et d’ailleurs, je n’ai pas réalisé ce défi…
120 bornes, pour une première course, même en marcheur, c’était un peu n’importe quoi…
Ludovic Pommeret : Ben oui ! Et je n’ai pas terminé bien sûr. J’en ai fait 60 et puis j’ai arrêté. Mais c”était vraiment cet aspect défi qui m’attirait, ces courses dites infaisables.
C’est la raison pour laquelle tu t’es inscrit à l’UTMB en 2004 ?
Ludovic Pommeret : Oui, et en 2005 aussi. C’est ce côté défi d’arriver à faire un truc qui paraît compliqué. Et ça l’était vraiment, parce qu’en 2004 et en 2005, je n’ai pas terminé. En 2004, j’ai eu une tendinite des releveurs assez tôt, à Courmayeur, et en 2005, j’ai fait 40 bornes avec une contracture et j’ai fini par abandonner. Clairement, c’était le manque d’expérience…

Mais tu es revenu. C’est quoi ? De la persévérance ? De l’obstination ?
Ludovic Pommeret : Ça a été un peu différent. Après ça, je me suis orienté sur des formats un peu plus courts, et c’est là que ça a commencé à marcher au niveau performance. Ce qui fait que finalement, je suis revenu assez tard sur des formats de plus de 80 kilomètres. En 2009. Mais oui, j’y suis revenu pour ne pas rester sur des échecs.
Et ça t’a plutôt réussi ! Cette année-là, tu fais 3ème sur la CCC et 2ème sur la Diagonale des Fous. C’est à ce moment-là que tu as un premier contact avec Philippe Propage, qui était alors entraîneur de l’équipe de France…
Ludovic Pommeret : Oui, il était venu me voir parce que j’avais terminé deuxième sur la course des championnats du monde qui avaient eu lieu à Serre-Chevalier, alors que j’étais sur le format open. (Il s’agit de la 11ème édition de la Merrell Sky Race – 68 km, 3500 m D+ -, où Thomas Lorblanchet avait été le premier Français à être sacré Champion du monde. Ludovic Pommeret avait terminé 1er du format open, sur le même parcours, dans le même temps que le Népalais Dawa Sherpa, classé 2ème des championnats du monde, NDLR).
Il était venu me voir en me disant « il faudrait peut-être que tu t’entraînes un peu correctement » et tout ça, mais à l’époque je n’avais pas voulu sauter le pas. Et puis en 2015, comme par hasard, j’ai été sélectionné en équipe de France juste un mois avant les Mondiaux qui se tenaient à Annecy, lors de la MaXi-Race. C’était un peu tard, mais le fait d’être sélectionné alors que je ne l’avais pas trop cherché, fait que j’ai repris contact avec Philippe et lui ai demandé de m’entraîner pour essayer d’être un peu mieux sur ces Mondiaux.
Où tu as fini 5ème sur un format long de 82km et 5100mD+. Mais revenons en 2009 : pourquoi est-ce que tu n’as pas eu envie de t’entraîner sérieusement à cette époque, alors que tu as déjà des résultats très prometteurs et de belles victoires à ton actif ? Trop de contraintes de devoir suivre des plans ?
Ludovic Pommeret : Oui, tout à fait. À l’époque, je faisais beaucoup de courses, je courais pratiquement toutes les deux semaines, mais au final ça ne me laissait pas beaucoup de temps pour l’entraînement. Mais ça m’allait, parce que je concentrais la course à pied sur les week-ends et ça me laissait du temps pour mes autres occupations à côté. Surtout qu’en 2010, on a commencé à construire. Donc oui, c’était trop de contraintes et je n’en avais pas envie. Attention, je ne dis pas que je n’avais pas envie d’être plus performant, parce que parfois, quand j’allais sur des courses, j’étais un peu déçu du résultat, mais disons qu’il y avait un équilibre l’un dans l’autre et que je m’y retrouvais.
C’est donc le maillot tricolore qui t’a motivé à franchir le cap !
Ludovic Pommeret : Oui, le fait d’avoir ce maillot, de ne pas avoir envie d’être ridicule, de ne pas être le dernier de l’équipe, enfin des petits trucs comme ça…
Depuis ta victoire légendaire en 2016, tu n’as raté aucune édition de l’UTMB. Que ce soit sur l’UTMB, la CCC, la TDS, tu es toujours à Chamonix fin août. C’est un passage obligatoire pour toi ?
Ludovic Pommeret : Pas forcément obligatoire, mais disons que 2016 a été un tournant pour moi. Après mes premiers échecs, et même si ça avait bien marché sur la CCC en 2009, j’étais revenu sur l’UTMB en 2010 et en 2012, mais la première fois la course a été arrêtée (les conditions météo avaient contraint les organisateurs à annuler la course presque 3 heures après le départ, et juste avant de d’attaquer la zone très montagneuse du col du Bonhomme, NDLR.) et la seconde fois c’était un parcours de repli (un UTMB réduit à 105km et 5900mD+ remporté par François D’Haene, et où Ludovic a terminé 21ème, NDLR.). L’UTMB, c’était devenu ma bête noire, donc je voulais revenir une dernière fois en 2016, et ne plus revenir après !

Et on connaît la suite. Une victoire, et depuis, chaque année, tu es là…
Ludovic Pommeret : Voilà. C’est vrai qu’il y a un peu d’attachement à l’événement. Et puis il y a aussi les partenaires qui nous demandent d’être présents sur cette semaine, même si ce n’est pas forcément pour courir. Après, tant qu’à faire d’être là, autant courir, oui. Et puis l’UTMB, je l’ai refait pour différentes raisons… En 2023 c’était pour les 20 ans de l’épreuve, en 2024 pour les 20 ans de ma première participation…
Et en 2025, ce sera pour quelle occasion ?
Ludovic Pommeret : Ma nouvelle vie, maintenant que je suis professionnel ! (Rires.)
Parlons-en de cette nouvelle vie de pro. Jusque-là, tu étais ingénieur aéronautique, et tu étais passé à temps partiel, à 60% si je ne me trompe. Et là, tu as donc basculé en professionnel à plein temps ?
Ludovic Pommeret : Oui, depuis le 1er avril 2025, je n’ai plus de travail. Mais le fait d’arrêter à mes 50 ans était prévu depuis longtemps. En fait, depuis qu’on a commencé à travailler, avant même que je fasse du trail, on avait prévu, Céline et moi, d’arrêter à 50 ans notre travail respectif. On a donc travaillé pour ça, on a investi aussi, et cette année, ce sont mes 50 ans, donc voilà ! Après, le fait que le trail me rapporte aussi de l’argent aujourd’hui, ça n’était pas prévu, donc ça tombe bien, c’est le petit bonus qui accompagne agréablement le prévisionnel.
Ta deuxième course de cœur après l’UTMB est la Diagonale des Fous, que tu gagnes en 2021 après avoir fait 3 fois second, en 2009, 2014 et 2019. Tu l’as aussi faite en 2022 avec ta femme, qui a dû abandonner, puis de nouveau en 2023, où vous êtes finishers. L’UTMB en duo avec Céline, c’est pour quand ?
Ludovic Pommeret : Ça devait être cette année, mais malheureusement depuis l’OCC l’année dernière elle ne peut plus courir, elle a un problème au genou et a priori ça nécessite une prothèse. Du coup, on verra quand elle aura la prothèse si ça peut le faire ou pas, mais oui, c’est dans les tuyaux…
Tu vas donc refaire un enchaînement Hardrock / UTMB en solo cette année ?
Ludovic Pommeret : Je sais pas, je verrai après la Hardrock. J’ai mon dossard, puisque je devais la faire avec Céline, mais ce qui est sûr, c’est que je retourne à la Diag’, donc faire les trois, pour moi, c’est un peu compliqué. Si je fais l’UTMB à fond, a priori, je serai quand même bien cramé pour la Diag’. Donc je n’en sais rien, je verrai au dernier moment… (Depuis cette interview, Ludovic a tranché : oui à l’UTMB ! NDLR)
Et puis il y a ta fille, Léa, qui s’y est mise également…
Ludovic Pommeret : Oui, elle commence. Pour l’instant elle n’est encore pas très assidue, mais elle aimerait courir aussi. Après, il ne faut pas trop lui mettre la pression. Elle aimerait faire le Métis Trail à La Réunion (50 km et 2600m D+), donc on va aller là-bas ensemble, moi pour courir la Diagonale et elle le Métis. Je pense qu’elle a des capacités, même si elle ne s’entraîne pas beaucoup et qu’elle a une petite faiblesse sur une cheville qu’il faut travailler. Mais si elle est motivée, je pense qu’il y a moyen que ça ne soit pas trop mal.
L’an dernier, tu as fini 5ème de l’UTMB, avec ton meilleur chrono jamais réalisé sur la boucle, en moins de 21 heures. En 2016, tu avais gagné en 22 heures. Tu as donc gagné plus d’une heure. Comment expliques-tu ce gain de performance ? C’est lié à ta forme ? La nutrition ? La concurrence qui te tire vers le haut ? La technologie avec les plaques carbone ? Un peu tout ?
Ludovic Pommeret : Les plaques carbone, je suis pas sûr que ça fasse 1 heure ! Mais c’est vrai que sur le parcours il y a des parties qui sont assez roulantes et qu’on peut avoir le bénéfice de ce matériel. Après, pour expliquer tout ça, il y a diverses choses. D’abord, il y a l’expérience, ça compte un petit peu quand même, dans la gestion de course. Il y a l’entraînement aussi qui a changé.
En 2016, je n’étais pas vraiment spécialisé dans l’ultra, alors que maintenant je ne vais presque plus sur des courses plus courtes, car ça devient compliqué pour moi d’être performant, donc clairement mon entraînement s’est un petit peu adapté. Et ma nutrition aussi. Et également le fait que depuis deux ans j’avais diminué mon temps de travail, donc j’avais plus de temps pour m’entraîner. Je pense que ce facteur est encore plus important sur un ultra, car quand tu dois faire des préparations avec deux semaines de volume, c’est quand même mieux de ne pas travailler.
Parlons entraînement justement. Philippe Propage, qui te coache depuis 10 ans, il te produit toujours des plans ? Et est-ce que tu les suis ?
Ludovic Pommeret : Oui, il me produit des plans d’entraînement, et en principe, oui, je les suis. Sauf pendant l’hiver, quand je fais ma saison d’alpinisme. Là, il ne me produit pas du tout de plans, je lui note ce que je fais, des fois il me met des petites séances de course à pied, mais c’est tout. Sinon, pendant la saison, oui, j’ai mes plans, mais c’est variable. L’année dernière par exemple, sur la Hardrock, il m’a laissé beaucoup plus de liberté par rapport à l’entraînement classique.
C’était aussi dû au fait qu’il y avait ce phénomène d’acclimatation à altitude, et qu’à 4000 mètres, aller faire une séance d’intensité de bonne quantité, c’est compliqué. Du coup, mon entraînement n’était pas vraiment structuré, c’était plus au feeling et en fonction de l’endroit où je me trouvais.
Cette année, on a fonctionné un petit peu de la même manière que l’an dernier, donc il m’a mis des séances et j’ai vu si je pouvais les faire ou pas, sachant qu’avec Céline on a beaucoup bougé, on a fait pas mal de rando, on dormait dans la voiture, on en a bien profité… Et j’ai fait comme l’an dernier, deux soft rock, c’est-à-dire le parcours en entier en 4 jours, dont une fois avec Mathieu Blanchard.

Quel est ton regard sur ces jeunes qui arrivent aujourd’hui sur l’UTMB, dont les départs sont extrêmement rapides et qui explosent en vol ?
Ludovic Pommeret : Je pense que c’est lié à l’évolution du trail en général. L’UTMB est devenu une course tellement importante pour un coureur professionnel qui a besoin de visibilité et de résultat, parce que performer sur l’UTMB peut changer la donne, que ça met indirectement beaucoup de stress, et qu’il faut savoir gérer ce stress. Ces coureurs qui viennent uniquement pour performer, si ils ne voient qu’ils ne peuvent pas monter sur le podium, ils jettent l’éponge.
C’est une autre façon d’aborder la course, et je pense que c’est pour ça qu’il y a beaucoup de déchet. Ce n’est pas trop ma façon de voir les choses, car pour moi, la première performance, c’est déjà de terminer la boucle, mais je peux comprendre le fait que quand on est professionnel, si ça coince un peu, on préfère abandonner et garder les cartouches pour autre chose, pour pouvoir briller ailleurs. Moi, je me satisfais d’une 5ème place !
Ludovic Pommeret, où l’histoire de la remontada de 2016
Devenue légendaire, la remontada de Ludovic Pommeret date de 2016. Alors qu’il pointe en 48ème position au ravitaillement des Chapieux (km 50,9), à près de 45 minutes du leader suite à des problèmes gastriques, il effectue une remontée spectaculaire dans la deuxième partie de course pour prendre la tête dans la descente vers Trient (km 141) et filer la la victoire, qu’il obtient en 22h00 pile, avec 26 minutes d’avance sur le Lituanien Gediminas Grinius et 30 sur l’Américain Timo Tollefson.
Depuis, Ludovic a fait du dépassement de ses adversaires un véritable art. En 2024, il passe ainsi de la 45ème position à La Balme (km 40) à la 34ème au Col de la Seigne (km 63) puis 16ème à Courmayeur (km 83) pour finalement terminer 5ème en 20h 57mn 48s.
Pour célébrer cette stratégie atypique, l’équipementier Compressport a créé cette année une collection capsule au message sans ambigüité : « Stay Behind! » (« Reste derrière ! »), composée d’un tee-shirt Racing et d’un tee-shirt Podium (modèles homme ou femme), d’une paire de manchons de compression, d’une paire de chaussettes, d’une ceinture de course et d’une casquette. Si vous voulez envoyer un message clair à vos adversaires, c’est pour vous. Mais encore faut-il être capable de doubler tout le monde !
Cette interview est parue dans le n°144 d’Esprit Trail, daté août-septembre 2025.
Vous pouvez le commander en version papier ou numérique ICI

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