Benoit Laval (organisateur Chartreuse Terminorum) : « On va durcir la course ! »
Sa signature de mail est un CV qui en dit long : « Président-Fondateur de Raidlight SAS, Président de TRAILtobeALIVE, UltraTrailer passionné ». Il aurait pu rajouter Co-organisteur de la Chartreuse Terminorum (la Barkley made in France), mais ça commençait à faire beaucoup. Rencontre avec Benoit Laval, infatiguable coureur et organisateur de trails et de voyages “pour se sentir vivants”, bien décidé à durcir son épreuve fétiche pour ne pas revivre le cauchemar de 2023, avec pour la première fois 5 finishers au bout des 5 boucles infernales.
ET : Cinq boucles de 60 km pour un total de 25 000 mètres de dénivelé, 16 heures maximum par tour, pas de balisage, pas de GPS, la Chartreuse Terminorum est une des épreuves les plus difficiles au monde, calquée sur la Barkley américaine, avec aucun finisher en 4 éditions. Et cette année, cinq finishers ! Pour une course qui se disait « impossible à finir », c’est un coup dur, non ?
Benoit Laval : La course « impossible à finir », ce n’est pas nous qui le disions, ce sont les journalistes ! Nous, ce qu’on veut, c’est faire la course la plus difficile d’Europe, parce qu’on ne veut pas rentrer en confrontation avec la Barkley aux États-Unis. Notre objectif, c’est avoir 1 % de finishers. Faire une course où il y a zéro finisher, c’est pas compliqué ! Si je te dis le Mont-Blanc en 30 minutes, il n’y aura jamais personne pour le faire. Il faut donc avoir un bon dosage pour qu’il y ait 1 % de finishers. Tant que personne n’avait fini, ça restait un échec. Ça a pris cinq ans, mais on est très content que quelqu’un ait fini.
ET : Sauf que c’est pas un, mais cinq finishers ! Comment expliquer qu’il y en ait eu autant ?
Benoit Laval : Je crois d’abord qu’il y a eu des circonstances météorologiques extrêmement favorables. Il n’y a pas eu de pluie, il n’y a pas eu de grosses chaleurs, il n’y avait pas de boue. Si on regarde les photos des années antérieures, il y avait des passages de boue jusqu’aux genoux pendant plusieurs kilomètres, des orages dantesques. Il est évident que courir dans la boue et sous la pluie pendant 80 heures, ou le faire quand le temps est clément, ça change la donne.
ET : La météo, OK, mais il y avait aussi un spécialiste des raids aventure comme Sébastien Raichon, qui a encore battu cette année le record du Tor des Glaciers 450…
Benoit Laval : C’est le second point, effectivement. Le niveau des coureurs a bien évolué. La première année, il y en a 2 ou 3 qui n’ont fait qu’un seul tour, et celui qui en avait fait deux était un héros. Au fur et à mesure, les coureurs ont appris la course, comment gérer tout ça psychologiquement, physiquement. Après, le parcours est secret, mais ça se passe toujours au même endroit, donc ils commencent à connaître les chemins et à pouvoir se repérer. À force de courir sur un espace donné, la carte se rétrécit. Au début, tu as l’impression d’être au bout du monde. Et puis après, si tu te perds, tu te repères par rapport à une route, tu retrouves ton chemin. Et plus les années passent, plus tu maîtrises l’espace.
ET : Pour Sébastien Raichon, c’était une première participation…
Benoit Laval : Sébastien est hors norme ! Le deuxième, Mickael [Berthon], il a déménagé à Saint-Pierre-de-Chartreuse parce que son projet de vie, c’était de finir la Chartreuse Terminorum. Alberto [Herrero Casas], l’Espagnol, était venu l’année dernière pour reconnaître la course, il a un gros palmarès aussi. Les deux autres, Nicolas [Moyroud] et Benoît [Bachelet] sont des coureurs locaux, mais ils se sont investis depuis longtemps dans ce projet. Ce sont plusieurs années de travail pour en arriver là, au moment où les conditions météo sont favorables.
ET : Tu vas devoir durcir l’épreuve ?
Benoit Laval : Notre vengeance sera terrible ! Plus sérieusement, comme à la Barkley, on va rehausser le niveau, oui. On ne peut pas se permettre d’avoir cinq arrivants tous les ans. Le parcours va donc comporter plus de dénivelé ou plus de distance. La méthode de calcul est assez simple : Sébastien Raichon a fini avec sept heures d’avance, donc il faut rajouter 1h15 de plus par tour en terme de difficulté. On a plein de réserves de difficultés dans ces bois, en descendant un peu plus profond, en montant un peu plus haut, en passant par d’autres chemins plus compliqués. Après, s’il y en a un qui finit l’année prochaine, ça ne sera pas un problème. Ce qui serait dommage, c’est qu’il y en ait 10. Ça voudrait dire qu’on se serait trompés en tant qu’organisateurs.
ET : Tu as à ton actif plus de 200 trails dans 32 pays, dont 65 victoires. La course à pied, tu es tombé dedans quand tu étais petit ?
Benoit Laval : J’en fais depuis l’âge de 10 ans, et j’ai organisé ma première course en 1992, quand j’avais 20 ans, un cross du côté de la citadelle, à Lille. Après, j’ai repris l’organisation du Défi de l’Oisans, une course par étapes sur 6 jours sur le GR54 créée par Laurent Smagghe. C’était un très bon coureur des années 90, il avait battu le record de l’ascension du Mont-Blanc en aller-retour depuis Chamonix en 5h 29mn 30s ! (Le record actuel détenu par Kilian Jornet depuis juillet 2013 est de 4h 57mn 40s, NDLR.)
ET : Une course que tu as gagnée 11 fois, d’ailleurs ! En 1999, tu as fondé la société Raidlight… L’organisation de courses, tu faisais ça en parallèle ?
Benoit Laval : Oui, et en parallèle de la course à pied aussi. Après le Défi de l’Oisans, il y a eu le Raidlight Winter Trail, dans la Loire. Et quand Raidlight s’est installé à Saint-Pierre-de-Chartreuse, j’ai organisé le Raidlight Trail Festival, puis d’autres courses, jusqu’à la Chartreuse Terminorum en 2017, et la Chartreuse Backyard depuis 2 ou 3 ans…
ET : Comment, de président d’une société d’équipements sportifs ultra-légers et organisateur de courses dans les Alpes, t’es-tu retrouvé patron d’une agence de voyages spécialisée dans les trails aux quatre coins du monde ?
Benoit Laval : En 2019, quand j’ai quitté Raidlight suite à son rachat par Rossignol, j’ai pris deux mois de vacances pour faire le tour du monde, puis je me suis demandé ce que j’allais faire dans la vie. J’ai mis sur la table tout ce que je savais et aimais faire : organiser des courses, courir, voyager.
ET : Et tu as donc créé Trail To Be Alive, une agence de voyages qui organise des courses à travers le monde ?
Benoit Laval : Pas exactement. En fait, en reprenant l’agenda des courses pour voir ce qui existait, je suis tombé sur l’agence NED (acronyme de Nature Extrême Développement, NDLR), qui faisait exactement cela. J’ai contacté Serge Morel, le fondateur, pour lui proposer mes services, et il m’a annoncé qu’il voulait céder l’entreprise. La boîte existait depuis 1995, et Serge avait déjà organisé plus de 250 courses dans 40 pays dans le monde. C’était exactement ce que je voulais faire. Comme il était plus simple pour moi de reprendre cette agence et de me faire accompagner par Serge pendant deux ans plutôt que de partir à zéro et faire des erreurs, on s’est mis d’accord, j’ai repris et nous sommes arrivés en 2020.
ET : Le Covid !
Benoit Laval : Et les voyages qui sont tombés à zéro. J’ai continué d’y croire et d’avancer le projet, mais ça l’a fortement ralenti. En comme en même temps s’est présentée l’opportunité de reprendre Raidlight, j’ai décidé de faire les deux…
ET : Quelles sont les spécificités des voyages organisés par Trail To Be Alive ?
Benoit Laval : Le concept de nos événements, c’est le trail d’une part, avec des distances pas trop longues, environ 25 km par jour, sur un parcours balisé, avec des ravitaillements, et en parallèle un parcours rando-marche pour ceux qui ne veulent faire que 15 km, mais toujours avec cette notion d’être chacun à son rythme sur un parcours balisé avec des ravitos. Avec l’inflation des distances, on a l’impression qu’en ne faisant que 25 km par jour on va s’ennuyer mais à la fin, je te garantis que tu as passé une bonne semaine sportive qui peut correspondre un bloc d’entraînement pour une autre course !
ET : Combien y a-t-il de participants en moyenne ?
Benoit Laval : Le format de base est entre 20 et 60 personnes, selon les destinations, avec généralement autant de femmes que d’hommes. On veut rester sur des petits groupes, pour la convivialité. Seul le Raidlight Desert Trophy fait exception, il peut monter jusqu’à 150 personnes car c’est une organisation différente. Autre point important, ce sont des voyages tout inclus, on prend les participants à l’aéroport en France et on les ramène à l’aéroport en France, ils n’ont à s’occuper de rien.
ET : C’est l’heure de nous faire rêver : quelles sont les destinations phares de Trail To Be Alive ?
Benoit Laval : Les piliers, aujourd’hui, sont le Kilimandjaro, avec ascension du sommet et participation au Trail Festival, la Jordanie avec un raid au mois d’octobre qui fait le plein 6 mois à l’avance, l’Égypte qui a été arrêtée pour des raisons politiques il y a une quinzaine d’années et qu’on va redémarrer en 2024, l’Islande, où il y a beaucoup de choses à voir et le Pérou, avec le Macchu Picchu. Après, il y a aussi la Cappadoce, en Turquie, qu’on a lancée l’année dernière, qui est extraordinaire. Et puis l’Ouzbékistan, que je suis allé reconnaître récemment. C’est une destination qui ne parle pas forcément aux gens, mais ce sont les villes de la Route de la soie, comme Samarcande, et c’est grandiose.
Benoit Laval, un palmarès ultra-impressionnant
Plus de 200 trails dans 32 pays, dont 65 victoires.
1 sélection en équipe de France de Trail en 2010
Vice-Champion de France de Trail (2009)
2ème, 4ème et 5ème au Grand Raid de la Réunion
5 Marathons des Sables (meilleur classement : 9e)
5ème à l’Ultra Trail Gobi Race (400 km non-stop) en 2015
3 participations à la Barkley (meilleur résultat, 2 tours)
Champion du monde des Raids d’Orientation IOF
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