Jean-Michel Faure-Vincent : Au revoir Salomon, bonjour New Balance !
Avec Salomon, Jean-Michel Faure-Vincent a créé le premier team de trail en 2003. L’historique, celui qui « ébouriffa » le monde de la course à pied pour aller vers le trail fun, jeune et populaire. Après avoir porté cette équipe, détecté, accueilli et accompagné vers le sommet mondial Kilian Jornet et François D’Haene, l’aventure Salomon se termine pour Jean-Michel Faure-Vincent, et une page se tourne. Depuis le 1er janvier 2024, il a pris en charge le redéploiement des teams de trail chez New Balance pour la France, l’Italie et l’Espagne. Son départ, le chemin parcouru, Kilian Jornet, l’avenir : il s’est confié à Serge Moro.
Esprit Trail : Tu te souviens de ton premier contact avec Salomon ?
Jean-Michel Faure-Vincent : Il remonte à 28 ans en arrière ! J’avais à gérer le snowboard pour la France, l’Italie et l’Espagne, et devais travailler avec les athlètes de ces nations. Je suis passé ensuite au ski free style. Puis en 2003, on a commencé à rêver et à penser trail running ! Chez Salomon, c’était une décision stratégique et collégiale, car on avait besoin d’impulser une autre économie que celle de l’hiver et du ski, qui représentait alors 98% du chiffre d’affaires. Il fallait rééquilibrer et tenir compte des difficultés pressenties pour les sports d’hiver. Et comme chez Salomon, nous avons une culture du sport « pro » structuré avec des teams, il était naturel de dupliquer ce modèle dans le trail running.
Et donc en 2003, ce fut la création du team !
Jean-Michel Faure-Vincent : Effectivement, autour de Samuel Bonaudo et Thomas Véricel, le premier team de l’histoire du trail se déployait sur les courses. Au départ, les gens ne comprenaient pas ce que l’on était. Ils ne connaissaient que les clubs d’athlétisme. On a surpris le microcosme en programmant des reconnaissances de parcours et des conceptions de produits à Nant, sur le site même de départ et d’arrivée des Templiers. On est passé de seul team en 2003 à plus de 50 en 2023 ! À l’époque, Salomon souhaitait décloisonner ce sport, développer de nouveaux produits innovants et attractifs, et bien sûr ainsi asseoir la notoriété et la crédibilité de la marque dans ce nouvel univers.
Se déplacer en montagne existe de toute éternité, on y court depuis bien longtemps… Salomon s’est investi pour créer des codes inédits et « ébouriffants », pour créer une tribu qui se reconnaît. On a inventé des shorts plus amples, des tenues en compressions blanches, avec toujours cette envie de différenciation. Le but, c’était que les coureurs adoptent ces codes nouveaux, s’y retrouvent, et attirent de nouveaux pratiquants. Même ces dernières années, on a cassé les habitudes en proposant, par exemple, un large bob technique pour les ultra-traileurs, on a vu Courtney Dauwalter courir avec un short très long et très ample… Là encore on innove. Et on est vite copié ! Nous avons toujours voulu apporter de la nouveauté, de la créativité, avec une vision à 10 ans.

Quel rôle a joué Kilian Jornet chez Salomon ?
Jean-Michel Faure-Vincent : Il fut un sacré accélérateur d’innovation ! Il est arrivé chez nous à 16 ans, tout frais. Sur les premiers stages, ce gamin interpella les « idoles » du moment, Jonathan Wyatt ou Thomas Lorblanchet, en courant avec beaucoup moins d’eau, et demandant une chaussure plus légère… Il y avait comme une certaine tension sur place, car on était encore dans une logique des gros sacs et des poches à eau ! On a vraiment grandi avec Kilian.
C’est la même chose avec François D’Haene et avec les traileuses féminines qui sont arrivées avec des besoins spécifiques, et qui nous ont fait avancer. Et le trail running a grandi au fil des années, les produits n’ont pas cessé d’évoluer. Quand Thomas Lorblanchet gagne ses premiers Templiers, il porte une chaussure de 400 grammes. Et pourtant, on avait fait des stages sur place avec des bureaux d’études ! Kilian a gagné son premier UTMB avec des Speed Cross de 310 grammes. Maintenant l’élite du trail court avec des chaussures de moins de 200 grammes ! J’ajoute que les athlètes jeunes sont précieux car ils ne sont pas façonnés : il faut les écouter pour savoir faire évoluer les produits.

Comment constitue-t-on un team ?
Jean-Michel Faure-Vincent : Je regarde beaucoup, j’écoute énormément, et je passe beaucoup de temps sur le terrain. Le terrain a raison. Je regarde sur plusieurs courses et sur quelques mois les résultats de untel ou untel. C’est à la fois de l’observation factuelle et du feeling, c’est difficilement explicable. Pour choisir un nouveau membre du team, je jauge son attitude générale, son comportement en course et en dehors, les valeurs qu’il véhicule, ce qu’il transmet sur ses réseaux sociaux, par-delà le nombre de followers qui n’est pas une priorité.
Pour moi, en tant que Team Manager, être influent c’est bien sûr un facteur important, mais dans un second temps, une fois solidement établies des bases crédibles de performance. Les premières années, nos athlètes sont là pour performer, construire une crédibilité sportive. Une fois cette étape franchie, on devient très vite crédible dans les médias et sur les réseaux.
Le trail peut-il être un métier ?
Jean-Michel Faure-Vincent : Non, pas au début d’une carrière. Je répète souvent aux jeunes athlètes prometteurs que le trail n’est pas un métier et qu’ils doivent parallèlement à leur carrière sportive construire une vie professionnelle dans l’univers de leur choix. La devise de Noël Tamini, le créateur de Spiridon, est un bon résumé de ma vision : “Le trail n’est que la principale des choses secondaires” ! Quand un jeune champion a un boulot, des amis et une famille, la pratique sportive est facilitée. Quand tous les paramètres de vie sont ainsi bien alignés, la performance arrive. À l’opposé, si on veut gagner sa vie en courant, la pression est trop lourde. Être pro, c’est un métier ! Cela s’apprend : à côté du sport, il fait savoir gérer de la compta, l’URSSAF, des déclarations diverses, des relations avec les médias, suivre ses partenaires, gérer ses contraintes avec discernement, dire oui ou non à bon escient !

Tu as quitté Salomon pour New Balance. Pourquoi ce choix ?
Jean-Michel Faure-Vincent : C’était le bon moment pour moi d’aller ailleurs. Je pourrais être encore là, car tout fonctionne, tout est structuré, avec des athlètes motivés et des bons produits. Il y a 20 ans, on était 10 à travailler sur un projet fou… Aujourd’hui son ampleur est extraordinaire. L’histoire est belle, c’est à moi désormais de me challenger et d’aller construire autre chose ailleurs. La décision a été difficile à prendre : quand on a passé la moitié de sa vie à un endroit où on est encore bien, le quitter n’est pas chose aisée… Mais il me fallait le faire.
Quand j’ai décidé de partir, j’avais des pistes, mais aucune certitude ! Entre temps, j’ai reçu une proposition séduisante et très motivante pour la suite de ma carrière. Une proposition respectueuse du sport, humble, où on me donne le temps de construire. Chez New Balance, je pars d’une feuille blanche pour structurer le sport marketing autour d’athlètes espagnols, italiens et français. Je deviens un peu une sorte de vigie, un garant des valeurs trail pour New Balance.
New Balance est une grande marque, avec une longue histoire dans le running…
Jean-Michel Faure-Vincent : Et déjà une première aventure sur le trail avec entre autres Anton Krupicka. Le challenge sera de revenir sérieusement dans le trail, d’y prendre notre place. Je vais embarquer des jeunes athlètes pour construire ensemble cette aventure et aller le plus haut possible. Je veux inventer une autre histoire, différente de celle écrite avec Salomon. Chez New Balance, il y un vrai potentiel, avec des responsables qui écoutent. Et sur le terrain, ce sont des traileurs expérimentés qui vont staffer des traileurs en devenir.
Quels seront ces athlètes ?
Jean-Michel Faure-Vincent : En Italie, c’est Andréa Callera, le Team Manager Salomon Italie depuis 20 ans qui me suit avec des jeunes comme Andrea Rota. En France, il y aura entre autres Damien Humbert ou Theo Détienne. Et pour l’Espagne ce sera Manuel Merillas. Notre logique, c’est la proximité : on va concevoir et fabriquer des produits et des services en Europe pour les traileurs européens. On va innover et proposer des nouveaux codes. Et à partir de 2025, nous soutiendrons des événements, avec une sélection d’épreuves historiques et des événement innovants… mais en gardant toujours les pieds sur terre et en écoutant les pratiquants.


































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