Exploit de Claire Bannwarth, l’ultra-traileuse de l’extrême

Claire Bannwarth winner Photo DR

Claire Bannwarth n’est pas une traileuse comme les autres. Elle, ce qu’elle aime avant tout, ce sont les aventures au long cours, au très long cours même ! À 34 ans, elle enchaîne les épreuves d’ultra, du « simple » 100 miles aux courses les plus folles de plus de 300km. Le 15 juillet, elle a fini 5e féminine de la Hardrock 100, la mythique épreuve d’ultra-endurance américaine, dans le Colorado, remportée par Courtney Dauwalter. Une semaine plus tard, elle vient de s’imposer sur la Tahoe 200 Miles Endurance Run, devenant la première femme à remporter le classement général de cette course, en 62h et 24 minutes. Un exploit colossal pour celle qui enchaînera avec l’UTMB début septembre, puis prendra également part en fin d’année au championnat du monde de 24h, une discipline qu’elle apprécie tout particulièrement. Il y a quelques semaines, Simon Chrétien a rencontré l’insuable championne. Rencontre avec un ultra-phénomène.

Pendant 6 ans, Claire Bannwarth a couru 40 km par jour pour aller au boulot !

Boulimique de travail ! Claire Bannwarth est un profil atypique dans le monde du trail. Alors que pour certains, l’épreuve de l’ultra-trail et ses 100 miles sont l’objectif d’une vie, elle, elle s’en coltine quasiment une chaque semaine ! Son agenda déborde. « Pour moi, accrocher un dossard, c’est une source de motivation. Une raison de me rentrer dedans, une façon de m’entraîner en quelque sorte », raconte- elle. Même si le sport fait partie de sa vie depuis toujours, rien ne la prédestinait pour autant à performer au plus niveau sur les épreuves de course à pied. Originaire de Châlons-en-Champagne, place forte de l’escrime en France, c’est naturellement au fleuret que Claire découvre dans un premier temps les joies du sport. « J’ai découvert la pratique en école maternelle et j’ai continué jusqu’à mes 23 ans. »

Malgré son haut niveau, marqué entre autre par une place dans le Top 16 mondial et un titre de championne du monde junior, la jeune prodige est contrainte de mettre sa passion de côté, faute de temps. « Quand j’ai commencé à travailler, je faisais des horaires à rallonge. Le fleuret étant un sport d’équipe, se pratiquant en club, je me suis vite rendue compte que ce n’était plus possible. » Ne lui reste donc plus qu’une solution pour continuer à se dépenser : la course à pied.

Et c’est à Paris, après des études à l’École des Mines de Saint-Etienne puis à Lyon, que Claire s’investit à fond dans le running. Si elle ne sait pas à quelle heure elle termine ses journées de travail, elle connaît l’heure où elle doit être au bureau. Elle décide donc naturellement de s’y rendre en courant. Quasi quotidiennement, pendant six ans, celle qui est actuaire dans les assurances cumule leS bornes, et pas qu’un peu : une quarantaine chaque jour. « Il faut bien avouer que j’ai toujours aimé courir, ne serait-ce que pour m’entretenir physiquement ou pour me déplacer car je n’ai pas le permis de conduire. »

Claire Bannwarth Photo DR
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Les dossards, une succession de concours de circonstances

C’est en 2017 seulement que Claire Bannwarth épingle son premier dossard, « un peu par hasard ». Sur route d’abord, à l’occasion du marathon de Rouen. C’est son mari qui l’entraîne dans cette aventure. Elle s’y engage donc sans la moindre prétention et pas vraiment d’entraînement spécifique. Malgré tout, elle termine l’épreuve en 3h15 et remporte la course chez les femmes. Le trail et les longs périples en montagnes viendront un peu plus tard, toujours par le fait du hasard.

« Nous étions à un mariage près de Grenoble et nous avons découvert, au fond d’une réserve, les panneaux de signalisation de l’Ut4M, une épreuve de 100 miles qui se dispute sur les massifs qui entourent Grenoble. Mes amis m’incitent alors à participer à la version Challenge, qui consiste à enchaîner quatre courses de format marathon en quatre étapes. Je me suis dit que ça ne devrait pas être pire que ce que je fais au quotidien. »

Celle qui n’avait jusqu’alors presque jamais mis un pied en montagne découvre un nouvel univers. « J’y suis vraiment allée en touriste. La preuve, la première étape, je l’ai faite avec des chaussures de running et un pantalon car j’avais mal interprété le règlement ! » Même si elle y prendra beaucoup de plaisir, elle se rend très rapidement compte que la course en montagne est bien différente de ce qu’elle pratique au quotidien à Paris. « J’ai vite compris que les descentes, c’était compliqué. Mon objectif lors de cette première expérience était donc simple : survivre ! En évitant la chute ! »

La « cadeau » de la Diagonale des Fous

Si l’expérience Ut4M Challenge lui plaît, Claire Bannwarth n’attrape pas le virus dans l’immédiat. Il faudra une énième fois un concours de circonstance pour que la machine s’enclenche pour de bon. Elle remporte ainsi, grâce à un jeu concours, un précieux sésame pour participer au Grand Raid de la Réunion, l’une des courses d’endurance les plus exigeantes au monde. « Je n’avais pas vraiment conscience de ce que c’était. Pour moi, c’était un 160km avec un peu de dénivelé… C’est sans doute ce qui m’a permis de m’y engager, sinon, je me serais mis des limites et je ne m’y serais pas mise aussi vite. »

Claire Bannwarth a moins d’un an pour se préparer. Pour être prête, elle n’a pas d’autre choix, il faut se tester en situation. Donc s’engager sur les courses. Elle commence avec le 80km de l’EcoTrail Paris, puis allonge la distance, afin de valider les étapes, les unes après les autres. Jusqu’à découvrir son premier ultra de 100 miles, quelques mois avant le Grand Raid. Ces expériences lui permettent d’apprendre de ses erreurs mais surtout de confirmer une chose : l’ultra-trail lui plaît 

Octobre 2018. Un peu plus d’un an après sa découverte du trail, la voici sur la ligne de départ de la course la plus bouillonnante de l’année. Au cœur d’un terrain aussi beau que technique, Claire Bannwarth s’engage pour la traversée de l’île intense de la Réunion. Et ça va mal. Dès le 50ème kilomètre, elle ne peut plus avancer. « J’étais à 1km/h dans les montées, se souvient-elle en riant. Ça a été très long. Je la termine tout de même en 49h. » Si la souffrance domine après-coup, la jeune femme tente avant tout d’analyser sa course. « Je me suis dit : “bon, comment je peux faire pour ça se passe mieux à l’avenir’’ ? »

Claire Bannwarth Ultra-Trail do Marao
Claire Bannwarth à l’arrivée de l’Ultra-Trail do Marao, au Nord du Portugal. Photo DR

Toujours plus de kilomètres

Depuis ce jour, Claire Bannwarth ne s’est jamais arrêtée. Trans Gran Canaria, MIUT, Lavaredo, Endurance Trail des Templiers, celle qui s’est depuis installée en Alsace enchaîne les ultras à un rythme effréné. Jusqu’à ce qu’un nouvel événement lui fasse découvrir un univers encore plus redoutable : celui de l’ultra-endurance, où les distances dépassent les 100 miles !

En 2020, la situation sanitaire liée au Covid l’empêche de participer à l’UTMB, annulé pour l’occasion. « À cette époque, la seule façon d’accrocher un dossard était d’aller courir en Suisse. Je me suis donc naturellement rapprochée de la Swiss Peak, et tant qu’à faire, je me suis inscrite sur l’épreuve la plus longue. » Celle de 320km et ses 22500m de D+ ! « C’est là que j’ai vraiment commencé l’ultra-distance, alors que je ne maîtrisais même pas encore le format des 100 miles. Mais c’est mon côté “on verra bien’’ qui a pris le dessus. » Elle boucle l’épreuve en 86h et termine deuxième chez les femmes. « Tout s’était vraiment bien passé, j’ai adoré. »

Claire se découvre de nouvelles qualités. « Je me suis rendue compte que j’étais plus forte sur le long car je suis capable de passer trois jours sans dormir. Finalement, après avoir couru six ou sept ultras, j’avais déjà envie de voir plus. Sur le très long, il y a davantage de facteurs de gestion à prendre en compte et on peut plus prendre son temps. Je préfère finalement ce côté aventure et ce doute de savoir si je vais être capable de terminer l’épreuve ou pas. »

Les 245km de la TransGranCanaria, les 345km du Tor des Géants puis la course XXL de la Volvic Volcanic Experience suivront. Jusqu’à ce début d’année 2023 et sa victoire sur la Spin Race au Royaume -Uni, un méga-ultra de 429km remporté dans des conditions météo extrêmes. Car Claire Bannwarth n’est pas simplement amoureuse de cet effort au long cours, elle en est aussi l’une des meilleures athlètes.

Claire Bannwarth et Luca Papi, autre fou d'ultra-distance. Photo DR
Claire Bannwarth et Luca Papi, autre fou d’ultra-distance. Photo DR

Claire Bannwarth, une compétitrice

« Quand je m’engage sur ce genre de course, ce n’est pas une balade, je viens pour tout défoncer ! » L’ultra-traileuse ne se présente en effet pas sur la ligne de départ sans objectif. Terminer, elle sait déjà faire. Ce qu’elle veut, c’est performer. Et gagner ! Et pour cela, elle s’en donne les moyens. Capable de peu dormir, Lapin Duduracell, comme la surnomme son mari, n’est en effet jamais à court de batterie. En témoigne ses journées dantesques. Car après son travail dans les assurances à temps complet, Claire Bannwarth enchaîne généralement sur un gros bloc d’entraînement. Elle file à la salle pour d’intenses séances de musculation. Spinning, vélo elliptique et montées de marche, voilà son programme. Sans compter la vingtaine de kilomètres quotidiens pour se rendre sur son lieu de travail.

Malgré tout cela, elle concède ne pas avoir vraiment l’impression de s’entraîner. « Si je fais 6h de sport par jour, c’est que j’aime ça. Je le sais, je suis une vraie droguée, je suis quelqu’un qui ne tient pas en place, qui a besoin de se vider la tête. » Mais pour performer à un tel niveau sur des distances aussi longues, il n’y a pas de secret : il lui faut emmagasiner du volume, du dénivelé. Et pour cela, elle n’a pas trouvé de meilleure solution que de s’engager sur les courses. Une façon aussi de « se rentrer dedans, de trouver la motivation et courir avec des gens… ».

Bosser 40 heures par jour, et courir en plus !

Il n’empêche, après toutes ces années à haut niveau, Claire Bannwarth n’a toujours pas accédé au professionnalisme. À son plus grand regret. « Je n’ai rien à faire assise derrière un bureau à remplir des fichiers Excel », sourit-elle. Malheureusement pour elle, « les ultra-distances ne sont pas encore très démocratisées. Globalement, les gens ne se rendent pas compte de ce que représentent ces courses-aventures, en autonomie bien souvent. Et les sponsors ne sont pas encore là. Parfois, sur des courses, je me retrouve à lutter contre des athlètes professionnels. C’est rageant de se dire que eux ne font rien d’autre que de courir quand toi tu travailles 40h par semaine. Mais c’est le jeu, et c’est finalement d’autant plus méritant. »

Mais alors combien de temps va-t-elle pouvoir tenir ce rythme de vie marqué par 10 000 à 12 000 kilomètres par an ? « Moi, je me vois durer jusqu’à ce que je ne puisse plus marcher ! » Plus sérieusement, la traileuse ne se pose pas la question. « Ça fait 20 ans que je cours et que j’enchaîne les gros volumes, c’est juste qu’à l’époque, je ne mettais pas de dossard. À ceux qui me disent que je vais me cramer, j’ai envie de leur demander de fermer leur bouche ! À la base, on est fait pour courir et certains font encore plus que moi. En tout cas je ne suis pas inquiète pour la suite. Si un moment le corps ou le mental ne suivent plus, alors j’arrêterai, mais tant que je ne me blesse pas, que je prends du plaisir, alors pourquoi se priver ? On n’a qu’une seule vie, et il faut la vivre ! »

Claire Bannwarth Cami de Cavalls 2023
Claire Bannwarth à l’arrivée du 185km du Cami de Cavalls 2023, sur l’île de Minorque, qu’elle a remporté. Photo DR

Claire Bannwarth à propos de sa 5ème place à la Hardrock 100 2023

23ème au scratch et 5eme féminine, Claire Bannwarth a mis 34h 51mn pour boucler la boucle de la Hardrock 100. Un résultat loin de ses attentes. Elle s’en est expliquée sur ses réseaux sociaux.

« Bon, je ne vais pas le cacher… je suis hyper déçue. Il y avait moyen de choper le podium. J’étais très en forme, je prenais un plaisir fou sur ces magnifiques sentiers du Colorado, me faisais bichonner comme pas possible à chaque ravito… Je gérais super bien ma course et j’étais partie pour finir en 32h, mais à la sortie de la base de vie d’Ouray, au km 90, en route vers Kroger’s Cantine, je me rends compte que quelque chose cloche : je n’arrive pas à courir les faux-plats montants qui normalement ne devraient pas me poser problème. Je trouve vite pourquoi : j’ai la gorge complètement prise. Et c’est le début d’un rhume de l’espace. J’ai certainement pris froid à Handies Peak avec le vent malgré, les 30 degrés de la journée… (Passage à plus de 4200 mètres d’altitude, point culminant de la course, NDLR).

Avoir un rhume à 2000m ça passe, à 4000, c’est la mort… Au ravito suivant, à Telluride, au km 115, on me prend ma saturation en O2 : je suis à 82 ! Pas grand chose à faire à part espérer qu’avec le retour du jour et de la chaleur j’aurai la gorge moins contrainte… Raté ! Ce furent les 45km les plus longs de toute ma vie. Je m’étouffais à chaque montée, je me suis vraiment demandée si j’allais réussir à finir. Heureusement, je pouvais quand même trottiner un peu en descente sans cracher mes poumons. Ça m’a permis de limiter la casse et de ne perdre que trois heures. Bref… faudra revenir du coup ! »

Depuis, Claire Bannwarth s’est vengée. En devenant la première femme à s’imposer au classement général de la Tahoe 200 Miles Endurance Run, elle rentre dans l’histoire.

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