Amandine Ferrato, l’hypersensibilité à fleur de trail
Vice-championne du monde de trail 2017, Amandine Ferrato a fait de son hypersensibilité une force, à la fois pour être alignée dans sa propre vie et permettre à celles et ceux qu’elle coache de prendre la mesure de leur potentiel. Entretien cartes sur table !
Vice-championne du monde en 2017 à Badia Prataglia, en Italie, à seulement 3 secondes de ta coéquipière Adeline Roche. C’était une arrivée arrangée ?
Amandine Ferrato : Oh, ça commence fort ! Alors oui, je termine deuxième à trois secondes du titre, et ces trois secondes sont dues à un moment où j’ai pris un drapeau français. On est arrivées ensemble et j’ai voulu célébrer ça avec le drapeau. En fait, j’étais tiraillée entre la possibilité de passer devant Adeline dans le final et la peur d’être rejetée par l’équipe de France, car c’était ma première sélection et Adeline était la favorite (Adeline Roche venait de remporter le titre de championne de France de course en montagne quelques jours plus tôt, NDLR). J’avais surtout couru pour assurer le titre par équipe, et je ne pensais pas que j’aurais été si proche de la première place.

Tu n’étais pas prête, psychologiquement, à gagner ?
Amandine Ferrato : Non, pas du tout. À l’époque, je n’avais pas la maturité que j’ai aujourd’hui. Mon histoire personnelle faisait que l’équipe de France était un peu comme une deuxième famille, et je ne voulais pas revivre un rejet similaire à ce que j’avais vécu dans ma vie personnelle.
Le rejet, c’est une blessure que tu as vécue dans ton enfance ?
Amandine Ferrato : Oui, ça a été une blessure importante pour moi. J’étais sensible – on ne parlait pas d’« hypersensibilité » à l’époque – et je ne savais pas comment gérer ça. Avec le temps, j’ai appris à faire de cette sensibilité une force, mais à l’époque, c’était compliqué, surtout avec la pression des autres qui ne comprenaient pas ce que je vivais. J’étais très intuitive et perspicace, ce qui a créé des incompréhensions. Je pense que mes parents ne savaient pas comment gérer cette sensibilité. J’ai grandi vite, j’ai dû apprendre à me débrouiller seule dès mes 12 ans, et ça forge un caractère. Cela se ressent dans mon côté combatif et compétitif aujourd’hui, qui fait que certains peuvent penser que je suis une machine…
Quand as-tu commencé à courir ?
Amandine Ferrato : J’ai commencé la course à pied vers 22 ans, pendant mes études. Avant ça, je marchais beaucoup. Ensuite, je me suis mise à courir, mais plutôt sur piste et sur 10 kilomètres. J’ai fait quelques résultats au niveau régional du côté de Montélimar.
Comment es-tu venue au trail ?
Amandine Ferrato : J’ai commencé à courir dans la nature un peu par hasard. Après un tour du monde, en rentrant, je me suis sentie oppressée par la société de consommation, et j’ai ressenti le besoin de me reconnecter à la nature. J’ai eu la chance d’avoir des potes qui m’ont hébergée, le temps de trouver un boulot pour la crédibilité, pour pouvoir venir en circuit traditionnel du logement. J’ai pris le premier truc qui venait, en intérim, et j’ai donc bossé dans le nucléaire. Et à côté de là où j’habitais, il y avait une colline. C’est là que j’ai commencé à courir.
De fil en aiguille, je me suis inscrite à quelques courses en Ardèche, et j’ai fini par gagner une course, le Trail des Gorges de l’Ardèche. C’est là que j’ai été repérée puis sélectionnée par Philippe Propage en équipe de France. J’ai découvert les stages, et pour moi qui m’entraînais seule, j’ai adoré cette ambiance de groupe. C’était incroyable de porter le maillot bleu, de ressentir cette fierté et cette responsabilité. La première fois que tu mets ton tee-shirt Équipe de France, tu as l’impression d’être investie de super-pouvoirs !
On sent que tu aimes la compétition. Tu parles beaucoup de performance, mais aussi de maîtrise. Peux-tu nous en dire plus ?
Amandine Ferrato : Oui, j’aime la compétition, et j’avoue que j’aime bien aller taquiner les mecs en course. (Rires.) Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est repousser mes limites et savoir de quoi je suis capable. La maîtrise de l’effort, des émotions, c’est très important pour moi. Gagner une course, c’est bien, mais si tu n’as pas bien géré ta course, ça n’a pas la même saveur. C’est la gestion intelligente de la course qui est satisfaisante.
Révéler son propre potentiel, c’est ça qui t’a incitée à te lancer dans le coaching ?
Amandine Ferrato : Ce n’est pas exactement comme ça que ça s’est passé. Après mes succès en trail, j’ai commencé à avoir un peu une crise d’identité parce que la course, je faisais ça pour le plaisir d’être dans la nature, de partager, et là, je me retrouvais propulsée sur le devant d’une scène à laquelle je n’avais pas été préparée. Je ne savais même pas qui j’étais, et les gens imaginaient de moi quelque chose que je n’étais pas, ce côté machine performance. Et en même temps, j’avais des partenaires, donc il fallait aussi jouer le jeu.
Cette année-là (2017, NDLR), après les championnats du monde, je fais 3ème féminine à Sierre-Zinal, 3ème aussi à l’OCC, à Chamonix, et je gagne la Mascareignes, à La Réunion. Ça a été génial, mais ça a été trop ! Il y avait trop à gérer, accueillir les émotions, gérer l’aspect media, gérer les sponsors, gérer les courses, rester performante… Et j’ai explosé. Ça a été la traversée du désert. C’est là que j’ai ressenti ce besoin de trouver du sens à ma vie. La compétition, c’est bien, mais avant tout, pour moi, c’est l’humain qui prime.
Alors j’ai commencé une formation en coaching de vie, et ça a été une révélation. J’ai validé mes diplômes, et aujourd’hui, je combine mon expérience de la haute performance avec le développement personnel. Je propose un accompagnement sur la gestion des émotions, la confiance en soi et la performance, aussi bien en course qu’au travail. Je travaille principalement avec des entrepreneurs, des dirigeants, des managers, mais aussi avec des sportifs, et je aide à mieux gérer leur stress, leurs émotions et à trouver un équilibre dans leur vie.

Concrètement, par rapport à du coaching « classique » à distance, comment gères- tu le côté « personnalisation » ?
Amandine Ferrato : Je travaille aussi à distance, je fais du coaching aux quatre coins du monde, en Afrique du Sud, en Belgique, au Luxembourg, à Paris comme à Marseille ou à La Réunion. J’ai une écoute très active, et l’avantage de travailler avec la visio, c’est que ça me permet de toucher un public plus large, qui est demandeur de ce contact vidéo. Il faut juste savoir gérer les décalages horaires.
Parmi les mots-clés de Côte à Côte Coaching, ton site, on trouve « émotions », « blessures », « équilibre », « quête de soi », « accomplissement », « performance ». Tu es coach, psychologue, ou les deux ?
Amandine Ferrato : (Rires.) Non non, je ne suis pas psy ! Je m’adresse à tous les publics, tous niveaux, et en plus de mon expérience du haut niveau en course à pied, j’amène également cet aspect développement personnel en bonus. Celles et ceux que j’accompagne, ce sont des personnes qui sont stressées, qui n’ont pas confiance en elles, qui ont peur de rater et de ne pas être à la hauteur. Elles ont peur du regard des autres aussi, ne savent pas vraiment faire une stratégie de course et ne comprennent pas pourquoi ça ne marche pas, même quand elles ont l’impression d’être bien préparées. Et généralement, c’est ce qu’elles vivent aussi dans leur quotidien.
J’ai l’avantage, de par mon potentiel émotionnel, de savoir activer les leviers que les gens ne voient pas. Je sais capter exactement où il faut aller, en respectant le rythme de chacun évidemment. Des fois, il y a des séances qui sont plus ou moins dures, avec quelques larmes, mais c’est aussi parce qu’il faut que les choses sortent. Du coup, ça donne des résultats très rapides et c’est super satisfaisant de voir les personnes lâcher leurs freins et s’épanouir. C’est là que je me sens le plus utile. Même si aujourd’hui, mon objectif est de me concentrer davantage sur les dirigeants et les managers, ceux qui ont des problèmes de légitimité ; c’est là où je pense avoir le plus de valeur ajoutée.
Cet article a été publié dans le n°140 d’Esprit Trail
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