Anne-Lise Rousset : interview avant son premier UTMB
Anne-Lise Rousset, championne de France de trail long 2023, est impressionnante : record féminin du GR20 en Corse en juin 2022, 2ème de la Diagonale des Fous quelques mois plus tard, 2ème de la Hardrock en juillet 2023, 2ème du MIUT 115 en avril de cette année, depuis 4 ans, quand elle prend le départ d’une course, elle finit invariablement sur le podium. Cet été, elle relève un nouveau défi en s’attaquant à son premier UTMB. Rencontre avec cette championne du team Scott, avant tout vétérinaire et maman, qui vit à fond et sans pression.
En avril, tu as terminé 2ème du MIUT (115 km et 6850 mD+) à Madère, une course que tu as décrite comme brutale, et où l’on t’a vu perdre ton légendaire sourire. Raconte-nous…
Anne-Lise Rousset : Disons que ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. Cette course m’a marquée car j’ai pris zéro plaisir. Quand on pense Madère, on pense plutôt soleil, mais là, les conditions étaient vraiment difficiles. Faire 40 bornes sous la pluie, ça passe, mais tout un ultra c’était moins rigolo. J’étais complètement à l’ouest, mais il fallait finir. Cela a été compliqué, loin de l’objectif chrono qu’on s’était fixés. C’est toujours déroutant quand on voit tout ce qu’on fait pour s’entraîner et que cela se passe comme ça. Mais cela fait aussi partie du jeu…
Ton gros objectif de l’année, c’est l’UTMB. Tu as déjà gagné la CCC en 2014, et fait 4ème en 2018. Qu’est-ce qui t’a donné envie de revenir à Chamonix ?
A-L R : L’UTMB, c’est le graal de tout coureur, la grosse référence en matière d’ultra. Quand on a la chance de pouvoir courir ces distances-là, faire le tour du mont Blanc, c’est un objectif qu’on a envie de cocher dans sa vie. Cette année, c’était pour moi le moment d’y aller.
À quoi t’attends-tu sur ce sommet mondial du trail ?
A-L R : J’en ai discuté avec Adri (Adrien Séguret, son mari, coach et sélectionneur de l’équipe de France de trail, NDLR), car je ne suis pas vraiment à guetter les start-list. C’est important pour moi de ne pas m’en préoccuper mais bon, je ne suis pas naïve, je sais un peu qui s’y alignera. Je pense qu’en termes de densité chez les femmes, il y a rarement eu autant de filles qui peuvent être très proches et espérer faire de bons chronos. Même s’il n’y aura pas Courtney, cela promet d’être très chouette !
Quel sera ton objectif ?
A-L R : Faire du mieux que je peux ! (Rires.) Après, la place, on verra… La concurrence sera rude. Il y a des filles très costaudes et c’est une course complexe. C’est moins technique que la Corse, qu’une Diagonale des Fous ou même que Madère, mais pas forcément plus facile. Le parcours demande beaucoup de qualités. Il y a des grosses côtes cassantes qui font mal, mais aussi du plat, et il faut pouvoir avancer.
En battant le record du GR 20 en Corse en 2022 (35h50 pour 170 km et 13 000m D+, NDRL) moins d’un an après la naissance de ton petit garçon, tu as épaté tout le monde. Comment analyses-tu cet exploit ?
A-L R : Je ne sais pas vraiment car je ne me rends pas compte. Ce que je sais c’est que la Corse, c’était l’aventure de ma vie. Je ne sais pas si je serai capable de refaire un truc pareil aujourd’hui. C’était tellement chouette, même si cela a aussi été une énorme préparation axée sur cet objectif. Forcément si Courtney s’aligne dessus, elle va dégommer ce chrono mais je suis contente d’avoir réussi à faire ça. Et oui, c’était culotté de le faire 11 mois après la naissance de Faustin, mais cela nous a réussi.
Au fait, comment est né ce défi sur le GR20 ?
A-L R : Nous avons eu un coup de cœur pour le parcours en faisant ce sentier en vacances sur 4 jours, et Adrien a eu l’idée d’un projet off. Cela me paraissait tout simplement impossible de faire 170 bornes non stop mais j’avais envie d’essayer. En même temps, on avait aussi le projet d’avoir un enfant. Le calendrier était incertain, on va dire…
Depuis ce record, tu as pris goût aux 100 miles, avec une 2ème place sur la Diagonale des Fous dans la foulée, et une nouvelle 2ème place sur Hardrock 100 en 2023… Qu’en as-tu retiré ?
A-L R : La Diag’, c’était un peu un pêché de gourmandise car je n’avais pas récupéré suffisamment du GR20. Je ne l’ai pas bien vécue car j’étais cramée, pas vraiment certaine de prendre le départ. Finalement, on y est allés mais cela a été complexe. La Hardrock, ça a été une belle aventure où j’ai appris des choses. Un ultra est toujours une expérience car on ne peut pas le reproduire à l’entraînement et c’est dans l’instant de l’effort que l’on apprend, et c’est assez magique.
Depuis la naissance de ton fils en juillet 2021, rien ne semble te résister. Dirais-tu qu’être maman t’a rendue plus forte, plus endurante ?
A-L R : Difficile de répondre à cette question… D’un point de vue physique, je pense que j’ai passé un cap grâce à ma grossesse. Enceinte, j’ai pu garder beaucoup d’entraînement et faire du renforcement tout en prenant mon poids normalement. Mine de rien, la force que j’ai acquise à ce moment-là m’a énormément servi pour la suite. On va dire qu’à un an post-partum, c’était le top. Depuis j’ai perdu en force. Donc oui, physiquement, être maman m’a donné un plus, et cela donne aussi bien sûr des ailes, mais à côté de cela, mentalement, c’est à double tranchant car je culpabilise de plus en plus de laisser mon fils pendant mes longs entraînements.
D’autant qu’en plus d’être maman, tu es aussi vétérinaire à plein temps, un travail très prenant…
A-L R : Oui, comme j’aime bien les défis un peu compliqués (Rires.), je me suis associée l’année où j’ai eu Faustin car j’ai eu une opportunité et je ne pouvais pas rater le coche. Du coup, je travaille à plein temps comme mes collèges associés, avec des astreintes, une garde fixe toutes les semaines et certains week-ends. C’est chargé, il n’y a pas de place pour l’imprévu, mais cela se fait.
Comment organises-tu ton entraînement ?
A-L R : Je m’entraîne entre midi et deux en semaine, en y mettant la qualité pour optimiser ce petit créneau. Je double souvent le soir avec de la musculation, on a un espace aménagé à la maison pour gagner du temps. Ensuite, je profite des mercredis où je ne travaille pas et des week-ends pour faire mes sorties longues. En semaine, je ne touche pas terre, mais je me ménage des coupures, sans quoi je ne tiendrais pas. J’ai coupé 15 jours après le MIUT, j’en avais besoin. L’hiver, je coupe 3 semaines. Je prends ce temps et je ne mets pas des objectifs tous les week-ends non plus car au quotidien, la récupération est assez brève.
Le fait d’avoir un mari entraîneur et sélectionneur de l’équipe de France de trail, c’est une force ou c’est une source de pression ?
A-L R : Disons qu’en fait, je ne l’envisage tout simplement pas autrement. C’est grâce à Adri que je fais tout ça. C’est lui qui m’a fait découvrir ce sport, qui m’a permis de faire tout ce que j’ai pu faire aujourd’hui, donc pour moi, il est indissociable de ma pratique. Je pense aussi qu’il n’y a que lui qui soit capable de m’entraîner vu mes contraintes professionnelles et familiales, et c’est aussi grâce à lui que je peux tout concilier.
Est-il plus exigeant avec toi qu’avec d’autres athlètes ?
A-L R : Clairement, oui il est exigeant ! Pas forcément plus envers moi qu’avec d’autres, mais disons qu’il a de fortes attentes. Et moi aussi d’ailleurs. Au MIUT, ma plus grosse déception, ce n’est pas forcément de ne pas avoir profité mais d’avoir peur de le décevoir, parce que j’ai toujours envie de faire du mieux que je peux pour lui aussi. Pour l’UTMB c’est pareil, j’ai envie de faire une belle perf aussi pour lui.
Quel est ton point fort ?
A-L R : Difficile de répondre… C’est peut-être un paradoxe car d’un côté, j’aime le très technique qui n’avance pas, les passages où il faut mettre les mains et grimper, et d’un autre côté, j’aime courir aussi et je suis un peu frustrée quand on arrive à 120 km et que cela n’avance plus…
La polyvalence, en quelque sorte ! Ça tombe bien, c’est une qualité requise pour briller sur l’UTMB ! Et ton point faible alors ?
A-L R : Ce qui me manque, c’est ce que j’avais acquis pendant ma grossesse : la puissance sur les longues montées. C’était d’ailleurs assez marqué sur la Hardrock l’an dernier : sur du très technique, très raide, cela allait très bien, par contre quand la pente est à 10-15% et qu’il faut courir longtemps en côte, je suis une quiche. Et pourtant, bizarrement, j’ai beaucoup de cela dans mes entraînements… D’ailleurs, Adrien vient de me dire que j’allais recevoir un cadeau à la clinique : un gilet lesté de 10 kilos. J’ai hâte ! (Rire jaune.)
Passer « pro » en tant qu’athlète de haut niveau, tu y penses ?
A-L R : Non parce que j’ai besoin de mes « trois vies », c’est mon équilibre. Courir pour courir et n’avoir que ce graal-là, ce n’est pas ce que j’envisage. D’abord parce que j’aime mon travail et que cela fait relativiser les choses. La course se passe bien, tant mieux, mais si cela n’était plus le cas, ce ne serait pas grave. Quand tout se concentre sur la course et que cela devient une source de rémunération, la pression n’est pas la même, l’impact n’est pas le même. Clairement, je n’ai pas envie de ça.
Revenons-en au commencement. Comment t’es-tu mise à courir ?
A-L R : J’ai fait mon premier trail en 2010 et on va dire que ma vraie première saison, c’était en 2013. Plus jeune, j’avais fait de l’athlé au collège-lycée en UNSS, j’aimais bien courir sans pour autant vouloir me mettre en club. Plus tard, en rentrant à l’école vétérinaire, j’ai découvert le raid aventure et ai rencontré Adrien, qui en faisait pas mal en Occitanie. C’est comme ça que, de fil en aiguille, j’ai découvert le trail et la montagne.
Aujourd’hui, entre trail court et trail long, ton cœur balance ?
A-L R : C’est sûr qu’avec mon travail et ma vie de famille, du format un poil plus court serait plus adapté. 80 à 100 km, c’est peut-être là que je serai le mieux. D’un côté, plus j’avance, plus je vieillis, plus j’ai du mal à me dire que je ferai ça longtemps. Et d’un autre côté, j’ai encore envie d’en profiter quelques années, de cocher de belles courses, de voir ce que cela donne sur du long avant de lever le pied.
A part l’UTMB, y a-t-il un autre 100 miles te fait rêver ?
A-L R : J’aimerais bien refaire une belle Diagonale des Fous, comme il faut !
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