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Antoine Guillon : les secrets d’entraînement de « Monsieur Diagonale des Fous »

Antoine Guillon Photo Jean-Benoît Roubinet

Surnommé « Monsieur Diagonale des Fous », dont il a pris 16 fois le départ, sur le podium de laquelle il est monté 7 fois et qu’il a remportée une fois en 2015, Antoine Guillon a débuté la course à pied à l’âge de 12 ans. Plus de 40 ans plus tard, à l’âge de 54 ans, il continue de briller. Pourtant, il n’est pas tombé dans la potion magique quand il était petit. Son secret ? Chi va piano, va sano.

Esprit Trail : Ce qui te caractérise, pour ceux qui te connaissent, c’est que tu ne fais jamais de vitesse à l’entraînement.

Antoine Guillon : C’est ça, donc on ne verra jamais sur une piste ni faire des 30/30 ou des 2 minutes en côte en intensité maximale. Sur la puissance maximale, ou la fréquence cardiaque maximale si tu préfères, à l’entraînement, je ne dépasse jamais 85%. Ça correspond au premier seuil, un peu au-delà de l’endurance, à peine au-dessus. Mais ça ne m’empêche pas, sur une course, d’être à 90% pendant 3 heures. Aucun souci !

D’où te vient cette façon de t’entraîner « sans vitesse », et pourquoi ce choix ?

Antoine Guillon : Ça provient de mes tout débuts en course à pied, quand j’avais 12 ans. J’ai commencé à courir sur route avec mon père et pour bien faire les choses, il a suivi la méthode de Serge Cottereau, qui préconisait de s’entraîner quasiment exclusivement en endurance fondamentale, en dessous de 80% de sa fréquence max, avec 15% sur un seuil intermédiaire, genre 83% de fréquence max, et 3 à 5% réservé à de la vitesse. Mon père suivait cette méthode et calculait tout. Et moi, je courais avec lui quasiment tous ses entraînements, sauf la partie vitesse parce que je n’aimais pas ça.

Antoine Guillon Photo Jean-Benoît Roubinet
Photo Jean-Benoît Roubinet

Comment ça, tu n’aimais pas ça ?

Antoine Guillon : Je n’aimais pas aller vite et avoir la sensation d’être essoufflé. Moi je préférais être tranquille mais durer. C’est curieux, mais j’avais déjà cette attirance pour durer. Du coup, après les entraînements, je n’étais pas spécialement fatigué, et en tout cas jamais lassé. Et je pense que c’est peut-être ce qui fait ma force encore aujourd’hui : je suis toujours présent parce que mes entraînements ne me coûtent pas. Même si j’en fais beaucoup, ils ne sont pas fatigants.

Ni physiquement, ni psychologiquement ?

Antoine Guillon : Non plus. Je ne me dis jamais « Oh là là, il faut encore y retourner, il faut faire ci, il faut faire ça ! » Je ne le vois pas comme des exercices imposés : je fais des sorties sans même imaginer que je vais m’entraîner. Et je ne vais pas me malmener, me dire « Là, maintenant, il va falloir que je fasse 5 minutes de ça, ou 10 minutes de ça ! » Pas du tout. Je pars, je reste tranquille et ma fréquence cardiaque va évoluer en rythme par rapport au relief, sans plus.

Tu ne varies jamais tes entraînements en fonction de tes objectifs ? Sur l’Ultra Sierra Nevada que tu as couru début avril et où tu as fini 2ème derrière Cédric Chavet, course qui ne faisait « que » 100 km, tu t’étais entraîné comme pour un 100 miles ?

Antoine Guillon : Pratiquement, oui. J’apporte juste quelques petites touches un peu différentes. Pour reprendre l’exemple de l’Ultra Sierra Nevada, pour 100 km en général ça part un peu vite, donc sur les 15 derniers jours j’ai réduit un peu la durée de mes entraînements et j’ai mis un petit peu de rythme de temps en temps en sur 3 à 5 minutes, genre 85% grand maximum de ma fréquence cardiaque. Mais c’était surtout pour retrouver de la gestuelle, de l’aisance et de la souplesse musculaire.

Fin septembre, tu vas disputer pour la première fois le Spartathlon, une course mythique de 246 km qui se déroule sur route en Grèce. Tu vas travailler ta vitesse pour l’occasion ?

Antoine Guillon : Bah non, pourquoi, puisque je vais courir 246 km ? Je vais partir tranquille à 11 à l’heure, peut-être 12 par moments si c’est du faux plat descendant, donc aucun intérêt de faire de la vitesse. Par contre j’ai intérêt à travailler ma puissance de manière à avoir des appuis qui soient hyper stables. Donc plutôt que de courir sur route comme quasiment tout le monde va le faire, moi je vais courir surtout en montagne sur de belles sorties avec du gros dénivelé de manière à faire travailler tous les muscles périphériques.

En travaillant la pose de pied autrement que simplement dans l’axe, comme sur la route, ça me permet ensuite d’économiser énormément mon énergie pour rectifier les trajectoires. Et c’est ça qui va faire la différence parce qu’en économisant quelques calories par heure, à la fin, ces calories, je les aurai pour accélérer et monter à 13 ou 14km/h si besoin.

Antoine Guillon Photo Jean-Benoît Roubinet
Photo Jean-Benoît Roubinet

Comme l’an dernier à Minorque où tu rattrapes le leader et le doubles à 200 mètres de la ligne en ayant fait les 20 derniers kilomètres quasiment en sprint ?

Antoine Guillon : Exactement ! J’ai pu finir à 17 km/h, à fond, et ça jamais je n’aurais pu le faire si j’avais travaillé sur ma vitesse, parce que ça aurait été au détriment de la puissance et du volume général d’entraînement.

Tu fais aussi pas mal de vélo ?

Antoine Guillon : Oui, pour faire tricoter les pattes. Ça m’évite de me fatiguer à faire ça en courant et surtout le but, c’est de ne pas me faire mal, de ne pas me blesser. Avec une alternance de vélo et de marche en côte, ça me permet de ne pas avoir un temps de course proprement dit trop élevé par mois.

Ça ressemble à quoi, une semaine type d’Antoine Guillon ?

Antoine Guillon : 20 heures, partagées entre le trail et le vélo. En général, c’est plus de trail, mais de temps en temps c’est l’inverse, quand je veux alléger l’effort général. Ça peut être 2/3 de vélo et 1/3 de trail. En volume, j’aurai toujours grosso modo mes 20 heures, mais je serai plus à l’économie parce que le vélo est moins énergivore.

Pas de séances spécifiques, pas de vitesse… Tu fais quand même un peu de renforcement musculaire en salle ou autre ?

Antoine Guillon : Non, absolument pas, parce que je suis en général sur des terrains qui sont très accidentés. (Antoine Guillon s’entraîne dans le Massif du Caroux, à côté de Montpellier, sur des terrains très techniques et sauvages, NDLR.) En choisissant d’orienter ma séance sur un terrain spécifique, je peux travailler ce dont j’ai besoin et le faire sur des obstacles naturels que je ne rencontrerai jamais en salle.

C’est cette philosophie que tu enseignes dans les stages de trail que tu organises dans le Caroux ?

Antoine Guillon : Tout à fait, mais pas que ! J’essaye aussi de transmettre des astuces de déplacement pour être en économie d’énergie, parce que les gens font rarement attention à ça. Si tu n’as que 8 heures d’entraînement par semaine, en étant attentif à ta pose de pied, ta position, la trajectoire, et cetera, tu vas quand même progresser. Il y a des tas de façons de jouer avec les obstacles naturels pour moins faire monter les pulsations et moins dépenser d’énergie.

La façon de poser le pied, la façon de le déplacer, la façon de soulager la chaîne postérieure en prenant des appuis un petit peu différents, la façon de grimper une pente sans obstacles, avec des obstacles, une paroi… Est-ce qu’on monte sur le rocher, ou est-ce qu’on passe à côté ? C’est plein de choses, plein d’observations que je transmets au cours de mes stages, qui permettent de progresser mais aussi de durer.

Je pense que si aujourd’hui je continue à faire des ultras avec de belles performances, c’est parce que je me suis économisé pendant longtemps et que j’ai toujours cette envie de continuer !

Cet entretien a été publié dans ESPRIT TRAIL N°144, juin-juillet 2025

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