Récit : « Le jour où j’ai failli abandonner dans l’UltraDolomites. »

DOLOMITES OPEN

Il vous est probablement déjà arrivé d’avoir une défaillance en course. Problèmes gastriques, blessure, manque d’énergie, barrière horaire trop serrée. Résultat : l’abandon. Et puis des fois, alors que vous êtes à deux doigts de dire stop, vous réussissez à aller chercher « quelque part » le regain d’énergie qui vous permet d’aller au bout, au-delà de toute logique physique. Alors que dans 2 mois se tiendra le Lavaredo Ultra-Trail 2022, dans les Dolomites, voici le récit d’un UltraDolomites 2021 hors du commun. Une aventure « dolomystique »…

Voir les Tre Cime et… improviser

C’est fin 2019 que j’avais coché l’UltraDolomites comme objectif de mon printemps 2020. 80 km et 4600 m D+, un beau morceau de bravoure dans une région d’Italie qui me fascine, dans le cadre du Lavaredo Ultra Trail. Mais, comme pour vous tous, une certaine pandémie est passée par là, qui a bousculé tous nos calendriers. Reporté d’un an, l’UD s’est retrouvé au programme de mon mois de juin 2021. Hélas, côté préparation, ce n’était pas du tout ça. Je n’avais pas pu m’entraîner sérieusement durant l’hiver et le printemps, et j’arrivais sur place avec un potentiel d’une cinquantaine de kilomètres dans les jambes, guère plus. Mais les fameuses Tre Cime de Lavaredo, ces trois sommets magiques que je rêvais de voir, étant situés au 10e kilomètre de course environ, j’étais sûr d’atteindre cet objectif. Après, il faudrait improviser.

DOLOMITES LAVAREDO DEPART © Thierry Grollier
Avant le départ, c’est toujours plus facile. Devant les Tre Cime, symbole des Dolomites, le V de la victoire. © Thierry Grollier

Jusqu’ici, tout va bien

Après un départ raisonnable sur un chemin large et roulant, nous partons à l’assaut de la montagne via un single plutôt raide qui mène au refuge Auronzo, proche des Tre Cime. Il fait déjà chaud, mais l’altitude rend la température agréable. Et le panorama est exceptionnel. Me retrouver face à ces trois dents qui symbolisent les Dolomites me file des frissons, même si le temps n’est pas à la contemplation. Quelques photos, et j’entame la descente, très technique d’abord, plus roulante ensuite, pour atteindre le second ravito, dans la vallée. Jusqu’ici, tout va bien, je fais bien gaffe à boire régulièrement et à manger un bout de barre énergétique toutes les demi-heures, histoire de ne pas me faire piéger. La nutrition est mon principal ennemi, je le sais et je me suis promis d’être vigilant sur ce point. J’ai même fait en sorte de suivre (plus ou moins bien, certes) les conseils de spécialistes de la nutrition pour mieux performer dans les semaines qui ont précédé la course.

TRE CIME © Patrick Guérinet
Passage devant les Tre Cime, au 11e kilomètre. La satisfaction est intense, le moral au beau fixe… © Patrick Guérinet
PROFIL LAVAREDO
C’est au 10e kilomètre qu’apparaissent les majestueuses Tre Cime. Mais après, il reste encore 70 km pour rejoindre Cortina !!!

Défaillance sous un soleil de plomb

C’est après la seconde ascension du jour que les choses commencent à se gâter. Bien sûr, je n’étais pas préparé à parcourir 80 bornes dans les montagnes, mais là, dès le 32e kilomètre, ça coince. Impossible de manger, rien ne passe. Mes barres, mes gels : immondes. Evidemment, lorsque j’entame la troisième ascension, qui va nous emmener pendant plus de 20 bornes au-dessus de 2000 mètres, c’est la défaillance. Le terrain exige d’enchaîner des efforts, alors que mon énergie décline. J’essaie de m’accrocher, j’admire le décor de cette sublime et immense vallée glaciaire totalement sauvage, mais je suis obligé de m’arrêter pour récupérer, épuisé. Des concurrents me doublent, m’encouragent, essaient de m’entraîner dans leur sillage, mais je ne peux pas suivre.

VALLEE MORT © Patrick Guérinet
La longue et lente montée vers le Col Dei Bos, au fond de cette vallée sauvage, m’épuise totalement. © Patrick Guérinet

Vertiges et vomissements

La longue montée jusqu’au Col Dei Bos, qui culmine à près de 2400m d’altitude, ressemble à un chemin de croix. Dans l’ascension finale, pourtant peu raide, je dois m’arrêter tous les 100 mètres pour souffler. Je m’accroche comme je peux, je n’ai plus qu’un objectif en tête : basculer sur l’autre versant en rallier comme je peux le point de passage du 56e kilomètre. Alors que je franchis la crête, un haut le cœur me fige. Etourdi, je m’allonge quelques instants dans l’herbe pour reprendre mon souffle, respirer profondément. Je sens mon estomac qui crie, c’est la guerre là-dedans. Les 3 derniers kilomètres pour rejoindre le ravito du col Gallina sont un calvaire. Lorsque j’arrive enfin devant les tables remplies de nourriture, je me fais violence. Je DOIS manger pour tenir. Pas le choix. Mais je sais que le solide ne passera pas. J’essaie des fruits, en mode compote. 2 minutes après les avoir avalés, je vomis tout entre mes pieds, impuissant, les larmes aux yeux tellement les convulsions me retournent l’estomac. Je ne peux même plus me lever. Je regarde les concurrents partir un par un. L’organisation va bientôt éteindre la lumière. Je commence à décrocher mon dossard. Je n’ai plus d’autre choix que d’abandonner.

DOLOMITES NUIT TOMBANTE © Patrick Guérinet
A la nuit tombante, je suis totalement à plat, incapable de manger, et même de bouger. L’abandon est imminent… © Patrick Guérinet

L’énergie venue d’ailleurs

Et puis je fais quelque chose que je n’avais jamais fait auparavant : je m’allonge dans l’herbe, à l’agonie, et j’invoque les énergies. Celles de la Terre que je sens dans mon dos. Celle du Vent que j’entends souffler. Celle de l’Orage qui s’annonce au loin. Celle, aussi, fabuleuse, de mes Proches, toutes celles et ceux qui m’ont encouragé avant le départ, par leurs messages, leurs pensées. Et le miracle a lieu ! Je me relève, réajuste mon dossard et je repars dans la nuit tombante affronter les pentes raides, l’obscurité, la tempête de grêle, puis la pluie glaciale. L’estomac vide, j’avale les 25 derniers kilomètres à la lueur de ma frontale, sans plus ressentir de gêne. Comme habité. Je cours même à belle allure dans les 10 derniers kilomètres, une longue descente pour rejoindre Cortina d’Ampezzo, dépassant des concurrents qui m’avaient déposé en fin d’après-midi. Et c’est en pleine nuit, vers 1 heure du matin, que je franchis la ligne d’arrivée, un grand sourire aux lèvres.

DOLOMITES NUIT TOMBANTE © Patrick Guérinet
Dans la nuit noire déchirée par des éclairs, les lueurs des frontales de ceux qui me suivent. Bientôt, la grêle nous cueillera… © Patrick Guérinet

Le mental, sinon rien

J’avais lu il y a quelque temps dans un article sur la motivation que se répéter un mantra (une courte phrase qui a du sens pour vous) peut vous aider à garder le rythme quand vous sentez que vous allez flancher. Les exemples qui étaient donnés en illustration, si je me souviens bien, étaient des phrases du genre « N’abandonne pas !», « Grâce. Force. Pouvoir. » ou « Je ne crains plus rien. ». Il y en avait même un qui m’avait amusé : MAMI, pour « Marche en Avant de Manière Implacable. » Faire appel à une « MAMI » pour avancer, ça ne s’invente pas ! Je n’avais en revanche jamais lu de témoignage sur des captations d’énergies de la nature pour se rebooster. Et je n’avais rien imaginé à l’avance. Ça s’est imposé ce jour-là, naturellement. Et ça a marché. Chacun pourra y aller de son interprétation, mais je pense que cette anecdote valait la peine d’être racontée. Et rassurez-vous : je ne vais pas tout miser désormais sur les énergies extérieures pour pallier mes problèmes de nutrition. Promis, je vais bosser ce domaine !

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