Temps d’arrêt aux ravitaillements sur l’UTMB : le débat lancé par Mathieu Blanchard

Photo Jannyka

Ce sont des données précieuses récupérées et communiquées par Mathieu Blanchard après l’UTMB : le temps d’arrêt sur les ravitaillements des athlètes élites a considérablement baissé entre 2022 et 2023, et les hommes y passent moins de temps que les femmes. Causes, conséquences, l’athlète du team Salomon a ouvert le débat. On fait le point.

Temps d’arrêt aux ravitaillements : la curiosité de Mathieu Blanchard

On ne se refait pas, même lorsqu’on a décidé de s’inventer une nouvelle vie, à 30 ans, pour la dédier à la course à pied et l’aventure. Mathieu Blanchard a une formation d’ingénieur, un esprit d’analyse et une envie de compréhension qui ne le lâche pas. Lors d’une interview qu’il nous a accordée en début d’année, il expliquait : « Il y a d’autres critères que j’ai pu explorer, comme la résistance au sommeil, ou la perturbation du système nutritionnel basé sur trois repas par jour, avec un certain nombre de calories à ingérer, ou encore la gestion de l’énergie. Et au milieu de tout ça, il y avait aussi une histoire de performance, aller d’un point A à un point B le plus vite possible. Toucher du doigt tous ces paramètres et tenter de les maîtriser et les optimiser est quelque chose qui me passionne. »

Lire l’interview de Mathieu Blanchard ICI

Parmi les fameux paramètres à prendre en compte pour aller d’un point A à un point B le plus vite possible, il y a les temps de course, mais aussi les arrêts aux ravitaillements. Mathieu Blanchard s’est donc attelé à réunir quelques données et les partager, pour essayer de comprendre cette évolution.

Temps d’arrêt aux ravitaillements sur l’UTMB : les données communiquées par Mathieu Blanchard

Ainsi, il publiait le 8 septembre sur son compte Facebook ce texte accompagné de ces chiffres :

« Je viens de m’amuser à faire des comparatifs du temps passé aux ravitos UTMB en 2022 et 2023 pour le TOP10 femmes et hommes. Les chiffres viennent de “LiveTrail”, 6 ravitaillements sont pris en compte sur un total de 13 (Chapieux, Courmayeur, La Fouly, Champex, Trient, Vallorcine). 2 ravitaillements sur les 6 ne sont pas assistés (Chapieux et La Fouly). »

Et le champion français de partager ses constatations sur la durée des ravitos et les différences hommes/femmes :

Durée totale ravitos 2023 VS 2022
Les hommes sont 1,37 fois plus rapides en 2023 qu’en 2022
Les femmes sont 1,41 fois plus rapides en 2023 qu’en 2022

Durée totale ravitos 2023 Hommes VS Femmes
Les hommes sont 1,76 fois plus rapides

Durée totale ravitos 2022 Hommes VS Femmes
Les hommes sont 1,8 fois plus rapides

En 2022 et 2023, femmes et hommes, 4 du Top 5 des plus rapides aux ravitos finissent dans le Top 5 classement final.

En 2022 et 2023, le plus rapide sur les ravitos ne gagne pas la course chez les hommes, mais la plus rapide sur les ravitos gagne la course chez les femmes.

temps de pause ravitos
Les tableaux comparatifs 2022 / 2023 publiés par Mathieu Blanchard sur son compte Facebook.

Temps d’arrêt aux ravitaillements sur l’UTMB : le débat ouvert par Mathieu Blanchard

À la suite de ces constatations, Mathieu Blanchard a donc ouvert le débat, afin de recueillir différents avis, coureurs, spécialistes. 3 interrogations étaient au menu :

1/ Pourquoi les durées totales aux ravitaillements baissent drastiquement entre 2023 et 2022 ? (Sachant que si on compare avec les années précédentes, l’écart est encore plus énorme.)

2/ Pourquoi les hommes sont beaucoup plus rapides que les femmes aux ravitaillements ?

3/ Être rapide aux ravitaillements est-il gage de performance pour le classement final ?

Temps d’arrêt aux ravitaillements : Mathieu Blanchard après Xavier Thévenard

Avant d’analyser la pertinence des différentes réponses apportées, la plupart des intervenants soulignent un point précis : c’est en 2022 que Mathieu Blanchard a lui-même montré que le ravitaillement était un point technique à travailler, notamment lors de sa confrontation avec Kilian Jornet. Le Français, avec ses ravitos express orchestrés par sa compagne Alix, semble avoir été l’élément déclencheur de ce fait de course qui n’était pas utilisé et pris en compte par le passé par le top niveau. Ses ravitaillements cette année, que l’on a pu suivre précisément grâce aux retransmissions, ont même été comparés aux ravitaillements pneus/essence que l’on peut voir en Formule 1, avec des gestes précis, millimétrés. Et qui, forcément, font des émules.

Si Mathieu Blanchard a attiré l’attention sur ce fait de course, il faut cependant rendre à César ce qui lui appartient. En l’occurence à Xavier Thévenard. En effet, le record sur les 6 ravitaillements (4 avec staff/2 solos) de l’UTMB, malgré une année ou les athlètes ont dû changer de vêtements avant la nuit aux Contamines, est détenu par le Jurassien avec 9mn 36s en 2017, souligne Jean-Michel Faure-Vincent, le “Monsieur Trail” de Salomon. Ainsi, en 2017, le classement s’établissait ainsi :
Xavier Thévenard : 9mn 36s
Tim Tollefson : 12mn 22s
François D’Haene : 13mn 50s 
Pau Capell : 14mn27s
Kilian Jornet : 16mn11s
Jim Walmsley : 55mn24 (dont plus de 37mn sur Fouly et Champex)

L’évolution du trail de haut niveau explique certainement ce phénomène, soulignent d’autres intervenants : plus un sport évolue, plus les gains marginaux (matériel, ravitos, nutrition, etc…) prennent de l’ampleur puisque les athlètes sont de plus en plus professionnels et que les écarts de niveau se resserrent. Et ce d’autant plus qu’il y a de la densité, donc de la concurrence directe. C’est une évolution que l’on a pu voir sur les triathlons par exemple, où les transitions peuvent jouer d’une manière importante sur le classement d’une course. Certains athlètes s’entraînent d’ailleurs spécifiquement sur les transitions, pour gagner quelques précieuses secondes.

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A l’orchestration des ravitaillements de Mathieu Blanchard, sa compagne Alix. Photo Jannyka

Temps d’arrêt aux ravitaillements : faire monter la pression

Être rapide peut aussi faire partie d’une stratégie, une manière de mettre la pression sur ses adversaires. Lors de l’UTMB 2022, le dernier ravitaillement à Vallorcine entre Kilian Jornet et Mathieu Blanchard avait été un grand moment de bras de fer. Entrés dans la même seconde sous le chapiteau, les deux hommes se s’étaient pas quittés des yeux et étaient ressortis au coude à coude, aucun athlète ne voulant céder le moindre mètre sur cet épisode.

Plus près de nous, lors de l’UTMB 2023, Germain Grangier, arrivé en même temps que Jim Walmsley au ravitaillement de Champex-Lac, s’interroge sur l’état de forme de l’Américain, qu’il vient de rejoindre et qui semble avoir un coup de moins bien. Le Français décide donc d’écourter son ravitaillement pour partir avant lui, et lui mettre un coup de pression supplémentaire, à la fois pour faire monter son stress, mais aussi pour l’empêcher de faire son ravitaillement complet, donc potentiellement l’affaiblir quelques kilomètres plus loin. Si Jim Walmsley a effectivement écourté son ravito pour repartir juste derrière le Français, il a néanmoins su parfaitement gérer ce coup de pression.

Lire aussi “J’ai pensé pouvoir gagner !” L’UTMB raconté par Germain Grangier

Ravitaillements : les « perfs » de l’assistance

Il faut également noter que ce gain de temps aux ravitaillements est grandement dépendant de la « performance » de la personne réalisant l’assistance. Une fois de plus, la précision des gestes d’Alix lors de ses interventions sur les ravitaillements de Mathieu Blanchard est bluffante, comme si le « ballet » avait été répété une multitude de fois. L’athlète n’a qu’à se laisser faire, tout est défini à l’avance. C’est donc une meilleure définition en amont des besoins des athlètes lors des ravitaillements qui permet aujourd’hui de savoir précisément quels gestes effectuer, et dans quel ordre.

Voir aussi L’UTMB 2023 de Mathieu Blanchard en 10 photos

De plus, le décryptage des ravitos des courses précédentes permet de corriger les erreurs, les petits détails. Sans oublier les progrès « technologiques » des équipements, principalement des sacs, qui autorisent une organisation plus rythmée, sans tergiversations. Finies les flasques qui ne rentrent pas dans les poches prévues à cet effet, aujourd’hui, l’élasticité des matières permet de les enfiler avec rapidité, évitant bien des énervements et pertes de temps.

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Des plannings de ravitaillement très précis, l’amour en prime. Photo Stéphane Demard.

Temps d’arrêt aux ravitaillements : à propos de l’écart hommes / femmes

Le premier critère qui se détache dans le débat est la moindre densité d’athlètes aux performances comparables chez les femmes, qui se traduit dans les faits par des écarts plus importants entre les premières places. Moins nombreuses et donc moins dans l’esprit de compétition que les hommes, moins pressées par les adversaires, les leaders féminines s’autoriseraient à prendre un peu plus de temps aux ravitaillements.

Seconde explication, purement physiologique : les femmes ont « quelques trucs à faire en plus que les hommes », genre le passage aux toilettes obligatoire en toute intimité, qui se fait moins facilement dans la nature, surtout quand pour certaines c’est en pleine période de règles !

On a pu également voir des choses surprenantes lors de cet UTMB 2023, comme par exemple Courtney Dauwalter qui prend le temps de se mettre des gouttes dans les yeux et de se brosser les dents (elle l’a fait 4 fois lors de l’épreuve!). Quant à la Chinoise Fuzhao Xiang, elle s’est pratiquement fait une pédicure à Courmayeur ! Et certaines de rajouter avec humour que le ratio de différence de temps homme/femme sur les ravitos est probablement le même que le ratio de différence de temps passé sous la douche…

Enfin, une dernière explication qui revient de façon récurrente : le travail des accompagnateurs de l’ombre, en l’occurence des femmes, qui font l’assistance des hommes, et qui seraient plus méticuleuses et organisées, capables de prendre les choses en mains avec autorité. À voir l’orchestration des ravitaillements de Mathieu Blanchard par Alix, cela ne fait aucun doute.

Temps d’arrêt aux ravitaillements : performance et classement final

Un point de vue semble faire l’unanimité : la rapidité aux ravitaillements est cruciale seulement dans les duels qui se jouent au coude à coude, comme en 2022 entre Kilian Jornet et Mathieu Blanchard, ou cette année entre Germain Grangier et Jim Walmsley. Sinon, chercher à grappiller des secondes reste accessoire, même si à l’arrivée, oui, le temps est précieux. Avoir pris 5 minutes de plus que Mathieu Blanchard n’a pas empêché Kilian Jornet de s’imposer en 2022. Et avoir le 6ème temps de pause en 2023 n’a pas empêché Jim Walmsley de s’octroyer sa première victoire avec une confortable avance.

Il est d’ailleurs important de souligner que dans les deux exemples cités ci-dessus, c’est sur le terrain de la course à pied que les victoires se sont dessinées. En 2022, c’est en accélérant dans la dernière montée que Kilian Jornet prend 8 minutes à Mathieu Blanchard, et en conserve suffisamment pour finir raisonnablement. Et en 2023, c’est en accélérant à la sortie de Champex-Lac que Jim Walmsley décroche Germain Grangier, malgré le coup de pression que le Français lui a mis au ravitaillement.

Laisser le corps en action

Néanmoins, des ravitaillements rapides peuvent avoir des répercussions indirectes sur la performance. En laissant le corps « en route », sans qu’il ait le temps de se poser, certains athlètes évitent d’avoir envie de prolonger la pause et de sortir de leur course. Mathieu Blanchard était très fatigué et avait de grosses douleurs aux cuisses lors de son arrivée à Courmayeur en 2023, mais son arrêt express ne lui a pas laissé le temps de penser à ces douleurs, ou de les verbaliser trop longtemps. À ce titre, des ravitaillements rapides peuvent donc jouer un rôle crucial dans la performance. D’ailleurs, le Top 10 des ravitos les plus rapides et Top 10 du résultat de la course sont clairement corrélés : les 10 plus rapides aux ravitos ont fini aux 10 premières places chez les hommes comme chez les femmes, en 2022 comme en 2023.

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Le petit coup de boost d’Alix à Mathieu Blanchard. Photo UTMB 2023 / DR

Temps d’arrêt aux ravitaillements : que retenir pour les coureurs « normaux »

Il est évident que les analyses ci-dessus ne concernent que les athlètes élites, et que les coureurs « normaux » ont tout intérêt à ne pas raccourcir leur temps de pause aux ravitaillement pour imiter la tendance. Si on ne peut pas gagner une course en sautant les ravitos, on peut la perdre.

Lorsque l’on est dans une dynamique de course et que l’on se sent bien, l’objectif au ravitaillement sera de prendre l’essentiel et de ne pas traîner. Mais lorsqu’on commence à être dans le dur, le ravitaillement devient un moment de ressources essentiel, qu’il convient de ne pas négliger pour trouver du réconfort autour d’un repas et de ses proches.

Attention cependant, dans plus de 50% des cas, les abandons surviennent justement aux ravitaillements, avec ce que l’on appelle l’ « effet de groupe ». En voyant des coureurs épuisés rendre leur dossard, on peut avoir tendance à se démotiver et relativiser son propre abandon du fait du nombre. Cet effet « Je ne suis pas le seul » risquerait de vous faire abandonner, alors qu’en restant concentré dans votre effort, vous auriez pu rester mobilisé moralement et continuer.

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