Ultra Run Raramuri : Julien Chorier met fin à un mythe

RARAMURI_CHORIER COURSE © instagram Julien Chorier

Ils étaient une quinzaine d’Occidentaux à venir défier les Indiens Raramuri chez eux, dans les canyons de Barrancas Del Cobre, au Mexique. Le cadre : la quatrième édition de l’Ultra Run Raramuri, le 25 avril dernier. L’objectif : mettre fin à leur légendaire invincibilité. En terminant premier et en battant le record de l’épreuve, Julien Chorier a mis fin à un mythe. Mais le mythe n’était-il pas déjà un peu mort ?

Copper Canyon, ton univers impitoyable

On aurait pu ne jamais entendre parler des Raramuri, tant ils sont peu nombreux et très discrets. Leur territoire ? Des montagnes inaccessibles, au nord de Mexico, là où personne ne va traîner. Dans cette région de la Sierra Madre, les hauts plateaux sont entrecoupés de canyons vertigineux, écrasés par un soleil de plomb. C’est dans cet univers hostile que les Tarahumara (leur autre dénomination) se sont repliés il y a plus de 5 siècles, après avoir compris qu’au contact des peuples de l’autre monde, en l’occurence les conquistadors espagnols, rien de bon ne pourrait leur arriver. Il vaut parfois mieux fuir le plus loin possible – en courant vite – qu’affronter ses agresseurs. Et vivre simplement que chercher à accumuler des richesses. Le dénuement n’attire personne.

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Les Barrancas del Cobre, univers hostile, entre hauts plateaux et canyons. © DR

Coup de foudre à Barrancas Del Cobre

Personne, sauf Michael Randall Hickman, un Américain né en 1953 (et mort en 2012) à Boulder, dans le Colorado. La Mecque du running US. Car Hickman, après avoir été boxeur, court. Dans les années 80 et 90, il est tout le temps fourré en Amérique centrale, où il passe le plus clair de son temps à galoper. En raison de sa peau claire et de ses cheveux blonds, les locaux lui donnent le surnom de Caballo Blanco. En 1993, alors qu’il traîne ses baskets au nord du Mexique, Hickman rencontre les Tarahumara, dans l’État de Chihuahua. Le déclic est immédiat. À partir de cette année-là, il décide d’y passer tous ses hivers. Installé dans une modeste cabane, il se lie peu à peu d’amitié avec les locaux.

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Michael Hickman dans les années 1990, surnommé Caballo Blanco en raison de sa peau blanche et de ses cheveux blonds. © DR

Des ultra-runneurs dans l’âme

Ce qui séduisit tout de suite à Hickman, c’est la passion des Tarahumara pour la course à pied. Pas comme une compétition, mais comme les conséquences d’une façon de vivre. Dispersés dans toute la région, obligés, dès leur plus jeune âge, à parcourir de grandes distances et avaler des dénivelés très importants, les Raramuri courent comme d’autres respirent, quotidiennement. Et, forcément, affichent une résistance corporelle bien au-dessus de la moyenne. Longtemps cantonnés à leurs sentiers, les plus rapides d’entre eux font quelques apparitions dans des courses américaines au début des années 90, sous la houlette d’un photographe fanatique qui les avait découverts et voulait les propulser en haut de l’affiche. Avec leurs fameuses sandales aux pieds et leur tenue traditionnelle, ils attisent alors la curiosité. Mais préfèrent bien vite rejoindre le calme de leur canyon, loin des folies occidentales.

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Chez les Tarahumara, la course est un mode de vie et de jeu qui s’apprend dès le plus jeune âge. © DR

Un ultra marathon pour la bonne cause

Fasciné par ces Indiens capables d’avaler des dénivelés phénoménaux chaussés de huaraches, de simples sandales fabriquées à partir de pneus usagés, Hickman se met en tête d’organiser une épreuve. Son objectif : les aider à préserver leur culture et tradition de la course à pied. C’est ainsi qu’a lieu en mars 2003 le premier Copper Canyon Ultra Marathon, une boucle de 80 kilomètres à partir de la petite localité d’Urique. Les prix remis aux 10 premiers, ainsi que les bons à échanger contre de la nourriture distribués à tous les participants, ont vite fait de convaincre les Raramuri du bienfondé de la course. L’événement devient un rendez-vous annuel.

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Caballo Blanco, tee-shirt blanco, faisant la promo de son Copper Canyon Ultra Marathon. © DR

Il était une fois l’Amérique

Partageant son temps entre le Copper Canyon et Boulder, Hickman propose à quelques-uns des ultra-marathoniens américains les plus en vue de venir affronter les meilleurs Tarahumara sur leurs terres. De grands noms de l’époque, comme Scott Jurek, acceptent d’y participer (il remportera l’édition 2007). Dans le même temps, Hickman publie un article dans le magazine Men’s Health où il raconte son cheminement personnel, la tradition de la course à pied des Tarahumara et surtout tout ce qu’il a pu apprendre d’eux. Un article qui piquera la curiosité d’un écrivain, journaliste et ultra-fondeur, Christopher McDougall.

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Christopher McDougall lors d’une compétition aux Etats-Unis. © DR

Born to run, ou la naissance d’un mythe

Séduit par le projet, McDougall décide de participer à la course. Mais pas uniquement pour courir. Il a un objectif en tête : faire un livre de cette aventure. Ou plutôt, faire un livre dont le personnage principal serait ce mystérieux Caballo Blanco, dont il n’hésitera pas à faire un individu excentrique et romanesque. Un type « né pour courir », en quelque sorte. De là naîtra un ouvrage vendu à des millions d’exemplaires. C’est ce livre, Born to Run, publié en 2009 (et traduit en français en 2012) qui révélera au monde entier les incroyables facultés des Tarahumara.

COUVERTURE BORN TO RUN RARAMURIS

L’Ultra Run Ramaruri, toujours plus grand

En avril 2016 a lieu la première édition de l’Ultra Run Raramuri. Une épreuve au format XXL, avec environ 190 kilomètres et 10000m de D+ à parcourir en un maximum de 4 jours. À chacun de gérer son temps de course et de repos, seuls des points de contrôle, situés tous les 30 kilomètres environ, permettent de se ravitailler. Trois éditions plus tard, les Raramuri, confrontés à chaque édition à quelques concurrents venus du monde entier, sont invaincus. Juan Contreras a même établi un impressionnant record de l’épreuve, en 25h 24mn. Jusqu’à cette édition d’avril 2022, où 3 équipes européennes sont engagées. Dont, pour la première fois, une équipe capable de sérieusement challenger les locaux. Cette équipe est emmenée par un athlète élite, Julien Chorier.

RARAMURI ULTRA RUN 2022

Et ce qui devait arriver arriva…

Double vainqueur du Grand Raid de la Réunion en 2009 et 2011, 6e du tout dernier Marathon des Sables, Julien Chorier est un adepte de l’effort long. Après avoir lu Born to run, il rêvait de venir vivre une telle expérience au Mexique, où il n’avait jamais mis les pieds. Il n’a pas laissé passer sa chance de marquer l’histoire, en devenant le premier étranger à s’imposer sur l’Ultra Run Ramaruri. Après avoir fait la majeure partie de la course en tête, il a, par la même occasion, battu le record de l’épreuve, en signant un chrono de 25h 01mn 15s. Loin derrière lui, deux coureurs Raramuri ont offert aux spectateurs un sprint hallucinant (au bout de 190 km !) pour se départager à la seconde près, Pedro Parra terminant en 26h 37mn 06s devant Reyes Satevo Sarabeachi. Mais Julien était devant. Ils étaient vaincus.

RARAMURI_JULIEN CHORIER © instagram Julien Chorier
Dossard 507, qui n’a rien à voir avec le nombre de participants de l’épreuve. © instagram Julien Chorier

Baskets contre sandales, la fin d’un autre mythe

S’il a apprécié l’aventure hors normes qu’il vient de vivre, Julien Chorier reste néanmoins lucide sur le mythe des “coureurs aux pieds qui volent”. D’abord, parce qu’il a pu constater que le port des sandales se perdait peu à peu. Ainsi, parmi les 15 Raramuri ayant participé à la course, pratiquement tous sont arrivés sur la ligne de départ vêtus d’un short, d’un tee-shirt, de baskets et avec un sac à dos de trail. Seulement deux portaient les huaraches, ces fameuses sandales qui ont fait leur réputation. Une énorme différence par rapport à la dernière édition d’avant la pandémie, en 2018, où ils étaient quasiment tous en sandales. Et à l’arrivée, outre une absence totale de communication, Chorier s’est étonné de voir que les Indiens n’exprimaient rien. Ni joie, ni peine sur leurs visages fermés, figés.

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Une famille de coureurs Raramuri au départ d’une course en Europe, équipés comme des pros. Adieu les sandales… © DR

Born to… be paid

Au-delà de cette histoire d’équipement, Julien Chorier s’interroge également sur la trajectoire que semblent suivre aujourd’hui les Raramuri. Il constate que, pris en main par des agents, courir est désormais un boulot pour lequel ils attendent d’être payés. Adieu la course plaisir. Mais comment s’en étonner, quand ils affrontent des athlètes professionnels, semi-professionnels ou sponsorisés ? Quand des courses de Tarahumara sont organisées dans les Barrancas avec des sponsors ? Quand on les paye, telles des attractions, pour les voir s’aligner sur des courses à l’étranger ? L’argent ne fait pas le bonheur, mais il attire toujours ceux qui n’en ont pas beaucoup. Ne s’agit-il pas là, finalement, de la conséquence du processus de mise en lumière des Tarahumara involontairement débuté par Caballo Blanco il y a 30 ans ? En mettant fin à leur mythe d’invincibilité, Julien Chorier leur permettra peut-être de retrouver un certain anonymat, et leur vie traditionnelle qui va avec…

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