Ultra-trail et fatigue : comment gérer la privation de sommeil ?
Doctorant affilié au Laboratoire VERTEX UR7480 de l’Université de Caen Normandie, spécialisé dans les sports d’ultra-endurance, Corentin Hingrand a notamment participé aux études liées au Trail Scientifique de Clécy, un ultra de 156 km réalisé en novembre 2021 durant lequel 56 ultra-traileurs observaient des arrêts d’une heure après chaque boucle de 26 km pour mesurer de nombreux paramètres afin de mieux comprendre un certain nombre de variables du corps humain. Dont celles liées à la privation de sommeil. Entretien.
Avant de parler d’ultra-trail, que tu pratiques d’ailleurs, que penses-tu de la sieste ?
Corentin Hingrand : La sieste est mal vue dans notre société mais c’est un besoin physiologique. L’après-manger est ce que l’on appelle une « sleep gate », une porte de sommeil en français, qui ne doit pas être négligée car elle peut être utile. Une sieste de 20-30 minutes, ce n’est pas du sommeil profond, mais ça permet de récupérer.
En fait, il faut d’abord comprendre qu’il y a deux processus qui régulent le sommeil : un processus circadien, qui fait que quand il fait noir, on a tendance à s’endormir, et quand il fait jour, à être éveillé, et un processus homéostasique. Lui, c’est comme une cocotte-minute : à partir du moment où vous êtes éveillé, toute la journée vous accumulez de la pression de sommeil. Et dès que vous dormez, la pression redescend. Donc si vous dormez suffisamment, la pression redescend à zéro, mais si vous ne dormez pas assez, vous allez commencer à accumuler une dette de sommeil. C’est là que la sieste va jouer sur ce petit processus, en faisant redescendre un peu la pression de la cocotte.
Et un ultra-trail, c’est comme une cocotte ?
CH : On va prendre une autre image, celle d’un téléphone portable. Si vous n’avez plus de batterie, vous tombez à 0%. Si vous rechargez 10 à 15 minutes, c’est-à-dire une charge rapide, elle va remonter aux alentours de 50%. Dans un ultra, c’est pareil : en arrivant à placer une sieste de 10/15 minutes au moment où vous en avez besoin – signes physiologiques d’endormissement, de baisse de la vigilance…-, vous allez pouvoir remonter à 30 ou 40% de vos capacités physiques.
Les élites ne dorment pas sur un ultra !
CH : Parce que ce n’est pas sur les 24 premières heures que cela se joue. Pour le gros du peloton d’un ultra type UTMB, le passage délicat, c’est la 2ème nuit, un peu après minuit. C’est souvent à ce moment-là que le besoin de dormir se fait le plus ressentir, même si ça dépend bien entendu de comment on est parti, si on était bien reposé ou déjà en dette de sommeil… S’arrêter est alors beaucoup plus profitable que de lutter et d’essayer d’avancer coûte que coûte en refusant de dormir. Le temps que l’on perd, on le rattrape après.
Qu’entends-tu par « partir en dette de sommeil » ?
CH : Bien dormir avant la course est une donnée essentielle. C’est comme l’entraînement, le sommeil se travaille. Une à deux semaines avant un ultra, il faut essayer d’avoir zéro charge mentale et bien dormir, au moins 8 heures par nuit. Chez les sportifs de haut niveau, on estime même les besoins en moyenne entre 9 et 10 heures, ce qui est énorme. Donc 8 heures, c’est le minimum. Et je ne parle que des nuits, sans compter les siestes. Ce n’est que dans ces conditions que l’on peut prendre le départ d’un ultra sans avoir accumulé une dette de sommeil, qui sera forcément préjudiciable à la performance.
Et parfois, il ne faut pas hésiter à faire appel à des techniques de respiration ventrale, ou de sophrologie, pour éviter le stress et bien dormir… Après, il y a des situations complexes, comme par exemple les ultras qui ont des départs à minuit, ou même 2 ou 3 heures du matin, et où vous partez déjà en privation de sommeil, avec une nuit tronquée, voire pas de nuit du tout. La deuxième nuit est alors très compliquée, et pour certains le début d’une troisième !
Dormir un peu, oui, mais où ?
CH : Dans un monde idéal, c’est la base vie, même si il peut y avoir beaucoup de bruit. Après, tout dépend des conditions. Si vous avez sommeil et que vous êtes à 15 km de la base de vie, donc environ 2 heures de temps, et si la météo est bonne, autant s’allonger dans l’herbe, ce n’est pas choquant. Après, c’est 15/20 minutes maximum, pour ne pas tomber dans du sommeil profond !
Après la course, réussir à dormir est compliqué. Que faire ?
CH : Les deux ou trois premières nuits sont en effet très compliquées, car il y a tout un tas d’inflammations dans le corps, qui est généralement très chaud. Ce sont des phénomènes normaux, mais cela fait que vous n’arrivez pas vraiment à dormir, ni la première, ni la deuxième nuit. Ça commence généralement à aller mieux au bout de la troisième nuit. Mais malgré ça, il faut essayer de respecter une régularité de sommeil, à heures fixes, sans tout décaler. Et ce même si vous n’arrivez pas trop à dormir, quitte à rattraper un peu après. Et bien sûr, à côté, ne pas oublier les petits conseils de base, genre bien mettre des jambes en l’air, les automassages, bien s’hydrater…
3 conseils avant de passer 2 nuits dehors sur un ultra-trail
1/ Se coucher à heure fixe et garder une régularité dans la vie de tous les jours. La régularité compte plus que la quantité, tout en respectant les besoins, c’est-à-dire entre 8 et 9 heures de sommeil.
2/ Essayer d’avoir 0 charge mentale, personnelle ou professionnelle, juste avant la course pour avoir un bon environnement de sommeil.
3/ Écouter ses besoins pendant la course. Ne pas lutter contre.
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