Tout ce que vous ne savez pas sur Alpine Connections, l’exploit de Kilian Jornet sur les 4000 des Alpes
« Petite Balade Alpine » est le nom du groupe de WhatsApp que Kilian Jornet avait créé avec les amis qui l’ont aidé au cours d’Alpine Connections, son voyage dans les Alpes, où il a relié en 19 jours les 82 sommets de plus de 4000 mètres d’altitude. Si Esprit Trail a pu vous faire vivre au jour le jour l’incroyable performance du Patron, de nombreux points de cette aventure n’ont pas été abordés, faute d’information. En publiant son carnet de route complet, Kilian Jornet en a révélé certains. Voici la compilation de tout ce que vous ne saviez pas encore – ou partiellement seulement – sur Alpine Conections.
Alpine Conections : qui composait l’équipe de Kilian Jornet
Même s’il a fait le voyage de façon autonome, Kilian Jornet a reçu de l’assistance. Aina, qui l’a accompagné dans de nombreux projets, de l’Himalaya aux Pyrénées, dirigeait l’équipe, s’assurant de lui fournir des aliments et un endroit où dormir, et gérant l’équipe de tournage. Nuria, sa mère, était également là. La première semaine, elle est restée avec Emelie et les filles de Kilian dans le Valais, puis elle a suivi Aina. David Ariño, Joel Badia et Nick Danielson s’occupaient de filmer la traversée. Finalement, Noa Barrau, un ami de Mathéo Jacquemoud, a rejoint Kilian Jornet pour les dernières étapes et filmer aussi dans les montagnes.
Pendant les 10 premiers jours, Jesús Alvarez-Herms et Sergi Cinca ont pris des mesures physiologiques et cognitives quand Kilian descendait entre les montagnes pour étudier les effets de ces événements extrêmes. Ensuite, des personnes telles que Anouchka, Sofia, Joan, Andreu, sont venues aider Kilian Jornet certains jours. Il a également appelé quelques amis pour voir s’ils voulaient se joindre à lui et partager une partie du voyage, comme Michel Lanne ou Benjamin Védrines pour l’ultime étape dans les Écrins.
Alpine Conections : quelques données physiologiques sur Kilian Jornet
Physiquement, Kilian Jornet considère avoir très bien géré cette traversée. Son poids est resté stable tout le temps. Alors que lors de son aventure de 8 jours dans les Pyrénées son poids avait diminué et sa dégradation avait été constante, dans les Alpes il n’a perdu que quelques kilos sur une longue étape mais il les a récupérés rapidement sur les étapes plus faciles. Ainsi, lors de Sierre-Zinal Kilian Jornet pesait 54 kg, et après la dernière étape aux Écrins il pesait 54 kg.
En dehors des considérations de poids, et même si il reconnaît avoir perdu de la puissance et de la vitesse, Kilian Jornet précise qu’il a pu maintenir un rythme de descente constant. Les 2 derniers jours au Grand Paradis et aux Écrins lui ont même démontré qu’il n’avait pas beaucoup perdu au niveau métabolique. Quant aux douleurs et autres, les mains étaient selon lui plutôt OK.
Il considère ce résultat comme étant sans doute dû à son très bon état de santé/forme au début du projet et à sa stratégie alimentaire pendant la traversée, basée sur le suivi des rythmes circadiens, mangeant peu de fois dans la journée mais en grande quantité et, en bas entre les montagnes, prenant des aliments faciles à absorber (anti-inflammatoires, gestion de l’acidité, augmentation des protéines, des graisses…) et s’hydratant bien, car en haute montagne il ne pouvait pas boire beaucoup (environ 1 litre par jour quand il grimpait).
Kilian Jornet considère que Jesús Alvarez-Herms et Sergi Cinca ont été d’une grande aide car ils lui ont donné des conseils sur les nutriments (macro et micro) nécessaires pour récupérer au jour le jour, et pour absorber la quantité de nutriments et d’énergie dont il avait besoin. Or la gestion de l’alimentation, non seulement les calories ingérées/dépensées, mais aussi les nutriments nécessaires pour absorber ces calories et restituer les fonctions systémiques, est essentielle pendant ces projets à long terme. Après l’analyse de toutes les données collectées pendant le projet, l’équipe de suivi de Kilian Jornet pourra certainement tirer des conclusions plus claires sur les processus internes qui se produisent pendant ce type d’efforts.
Alpine Conections : blessures, douleurs et regain d’énergie
Kilian Jornet a effectué les ascensions le plus souvent avec des gants et cela a épargné la plupart de sa peau. Il précise que les 4 paires de gants utilisées pendant la traversée étaient toutes complètement usées à la fin, avec des trous dans tous les doigts.Ses pieds étaient ok, même si des durillons se sont formés sur la voûte plantaire ou au niveau des crampons.
Une de ses côtes et son ligament extenseur gauche étaient douloureux, mais à cause d’accidents. Kilian Jornet a d’ailleurs constaté que sa côte a été assez douloureuse pendant les 2-3 jours, surtout lors de certains mouvements d’opposition en grimpant, mais qu’ensuite la douleur s’est complètement estompée jusqu’à la fin. Mais dès son retour chez lui, en Norvège, la douleur est revenue avec une haute intensité pendant 2 semaines. Kilian Jornet explique que cela est sans doute dû à la gestion/élimination du signal neuronal pendant une période où sa routine impliquait de nombreuses heures et mouvements où la côte était mobilisée.
Passionné par les informations scientifiques et les observations sur le fonctionnement du corps humain, Kilian Jornet souligne que cette aventure a été un apprentissage intéressant sur la façon dont, dans différentes situations, l’homme peut s’adapter au niveau hormonal et neuronal pour gérer différentes situations, à la fois à court terme (par exemple, lors d’une chute, d’une avalanche ou d’un éboulement, les niveaux d’adrénaline procurent un regain d’énergie), à moyen terme (par exemple, en cas d’indisponibilité d’apport énergétique dans une situation de risque, le corps humain est capable de continuer à différentes intensités pendant un jour ou deux jusqu’à atteindre une situation de sécurité) ou à long terme (comment le signal neuronal de la douleur d’un os fracturé est éliminé pendant plusieurs semaines dans une situation où l’os est mobilisé en permanence, jusqu’à ce que la situation s’achève).
Kilian Jornet ajoute qu’il est également très intéressant de voir comment la réponse hormonale à des situations dangereuses peut entraîner un regain d’énergie en intensité et en durée. La libération d’hormones telles que l’adrénaline, le cortisol, etc., dans des situations où il devait continuer sans manger, aller plus vite qu’au cours des minutes/heures précédentes ou faire un mouvement qui exigeait plus de force que celle qu’il croyait avoir, était très perceptible.
Alpine Conections : un effort émotionnel intense
Pour Kilian Jornet, le plus difficile dans une traversée de ce genre a été de rester vigilant et concentré pendant si longtemps, sachant que les conditions étaient parfois difficiles. Si le coût physique est élevé (ce que les données collectées pourront permettre de mesurer dans un second temps), c’est la fatigue émotionnelle et cognitive qui est, à son sens, plus importante.
Comparant les efforts déployés dans le projet Alpine Connections par rapport à d’autres projets entrepris, Kilian Jornet estime que la plus grande différence a été la continuité de la concentration. Lors du projet des Pyrénées de 2023, le Patron avait terminé beaucoup plus fatigué physiquement, mais, explique-t-il, sans doute à cause d’une mauvaise approche en matière de ravitaillement et de « repos ». En revanche, il souligne que le fardeau mental était moindre car le seul danger était sa possible erreur technique.
Autre exemple de comparaison : dans une expédition dans l’Himalaya, où l’on tente une voie difficile, le niveau de stress mental est élevé, mais souvent concentré sur les quelques jours ou heures de poussée, car il y a beaucoup de repos entre les poussées. Dans la traversée Alpine Connections, comme l’itinéraire consistait principalement à rester jour et nuit sur les crêtes pour relier les sommets, Kilian Jornet a dû rester attentif aux dangers la plupart du temps, qu’ils soient internes (erreur technique, fatigue neuromusculaire…) ou externes (crevasses, séracs, chutes de pierres, effondrements de rochers…). Un effort de concentration d’une durée qu’il n’avait jamais connu auparavant !
Alpine Conections : quelles chaussures a utilisé Kilian Jornet ?
Créateur de NNormal en collaboration avec l’équipementier espagnol Camper, Kilian Jornet a bien entendu utilisé du matériel de trail – chaussures et textile – de sa propre marque. Concernant les chaussures, durant les 19 jours de son périple, il a utilisé de 3 paires de chaussures du modèle Tomir 2. Il précise avoir utilisé des Tomir 2 imperméables à partir du premier jour, pour faire face aux conditions climatiques humides. Il a également utilisé une paire de Tomir 2 non imperméables sur le Nadelgrat, une des plus belles arêtes du Valais, pour que les imperméables puissent sécher. Au refuge de Turin, sur le versant italien du massif du Mont-Blanc, il a changé pour une autre paire de Tomir 2 non imperméables qu’il a utilisées pour les 4 derniers jours.
Kilian Jornet reconnaît que ses Tomir 2 imperméables étaient pratiquement hors d’usage, avec une semelle plate et quelques coupures dans la tige dues aux crampons et aux rochers. « Ce sont des chaussures souples qui sont bonnes pour courir, marcher et grimper en technique d’adhérence mais qui requièrent une bonne cheville et une technique de « 10 pointes » lors de l’escalade sur glace avec des crampons, ainsi qu’une technique différente lors de l’escalade sur rocher par rapport aux chaussures de montagne », précise le Patron.
Alpine Conections : quels vêtements ont équipé Kilian Jornet ?
Tout comme pour les chaussures, c’est chez NNormal que Kilian Jornet a logiquement pris son équipement. De bas en haut, il a utilisé des chaussettes NNormal Race Socks et des chaussettes imperméables selon les étapes, et une paire de collants Men’s Active Tight ou un pantalon de sport selon les jours. Il avait aussi un pantalon imperméable au cas où. Pour le haut, il portait un tee-shirt en mérinos, avec selon la météo et la période de la journée ou nuit une seconde couche intermédiaire, un coupe-vent, une veste de pluie et une doudoune, le tout griffé NNormal.
Pour la tête, un buff et un bonnet. Il a également utilisé pendant le voyage 4 paires de gants d’escalade – type faux cuir –, la plupart du temps pour protéger ses mains de l’abrasion des rochers plus que pour se protéger du froid. Il avait aussi une paire de guêtres qu’il a utilisées lors de l’étape 3, une longue étape de 99 kilomètres avec 7890 mètres de dénivelé dans l’Oberland.
Alpine Conections : quelle protection et quels accessoires ?
Pour la protection solaire, Kilian Jornet a utilisé des lunettes de soleil (il avait 2 paires de lunettes de catégorie 4) et de la crème solaire pour les lèvres et le visage. Pour sa protection et sa progression, le Patron avait un casque, un harnais léger, une broche à glace, 2 piolets (il n’en utilisait qu’un seul à la fois, précise-t-il, mais selon les étapes il prenait un en carbone pour glace et roche ou un Ghost Tech de Grivel). Il avait également une paire de bâtons de trail.
Concernant les crampons, pour bien s’adapter aux chaussures, il a utilisé une base Petzl Lynx avec une fixation avant Grivel Soft, une fixation arrière Edelrid Soft et une cordelette Petzl. Pour certaines étapes, Kilian Jornet a utilisé des « chaînes à picots » à la place des crampons (sur les étapes de Piz Bernina et Grand Paradis), 1 mousqueton de sécurité, 1 cordelette et 1 mousqueton, des cordelettes, des cordes (il avait une Pure Dynema 5 mm de 40 mètres et une Beal Rad Line de 60 mètres de 5 mm selon les étapes), 1 broche à glace (Blue Ice 10 cm) et un mousqueton Avalakov, 2 cames (BD 0,4 et 1).
Pour les parcours de nuit, Kilian Jornet a utilisé une lampe frontale Moonlight 2000, avec toujours une batterie de rechange sur lui. Niveau suivi et communication, il avait un téléphone contenant les cartes, une montre Coros Vertix, un appareil de suivi, une GoPro, une Powerbank avec un câble, et de l’argent liquide pour les cabanes. Pour la nourriture et l’hydratation, il progressait avec 2 bidons souples et emportait de la nourriture pour chacune des étapes. Pour tout transporter, Kilian Jornet a utilisé un prototype de sac à dos de 25 à 30 litres.
Enfin, pour les transitions en vélo, Kilian Jornet a utilisé un vélo de route (Wilier Vertical), des chaussures, un casque, des vêtements de vélo et un compteur vélo Coros Dura.
Alpine Conections : Kilian Jornet et la question de « l’alpinisme »
Cette aventure est-elle de l’alpinisme ? C’est une question récurrente, à laquelle Kilian Jornet donne une réponse singulière : « Il y a longtemps, lors de ma première expérience dans l’Himalaya, à l’intérieur du gîte, buvant du thé pendant que la neige recouvrait de plus en plus les montagnes que nous voulions escalader, j’écoutais avec attention mes compagnons, tous deux avec une grande expérience de l’alpinisme technique et de la haute altitude. Je me souviens que Coro disait que « l’alpinisme » était ce jour où tu rentres chez toi et tu ne peux pas décrire ce que tu as fait. « J’ai vraiment escaladé ? Oui, mais ce n’est pas ce qui a rendu ça spécial… J’ai dormi dehors dans la neige ? Oui, mais ce n’est pas ça… J’ai marché sur des terrains exposés en m’épuisant physiquement ? Oui, mais n’est-ce pas ça non plus… »
Peut-être, seulement peut-être, l’alpinisme consiste à utiliser les outils et les connaissances acquises au fil des années pour résoudre les problèmes que la montagne nous présente sous différentes formes. Dans ce projet (Alpine Connections, NDLR), les chiffres ne représentent rien. La voie la plus technique de la traversée était un 5c, mais là c’était du bon rocher, une voie courante où la navigation n’entrait pas dans l’équation. De nombreuses voies plus faciles semblent beaucoup plus techniques, une cotation IV dans le sable ou sous une tempête de neige peut facilement devenir bien plus compliquée. Pendant cette traversée, je n’ai fait aucune nouvelle voie, je n’ai pas fait d’escalade difficile, mais à la fin, c’est compliqué de décrire ce que c’était. Après tout, la beauté réside dans le fait de ressentir ce que c’est sans la capacité de le décrire car il n’y a pas de mesures et d’étiquettes pouvant expliquer les émotions les plus profondes. »
Alpine Conections : quelques données supplémentaires, et purement aléatoires
– La plupart du temps en montagne, le sac de Kilian Jornet pesait entre 4 et 7 kg.
– Kilian Jornet a gravi 34 sommets accompagné et 48 seul.
– Son sommeil le plus court a duré 15 minutes, et le plus long 7 heures.
– Mathéo Jacquemoud est celui qui a le plus suivi Kilian Jornet, réalisant lui-même 30 sommets.
– La nourriture la plus courante pour Kilian Jornet dans les montagnes a été des sandwichs avec de l’avocat, de l’huile et du fromage frais ou avec une « crème de cacao » maison avec des fèves, du cacao, des noix et de l’huile de coco.
– Kilian Jornet a dépensé en moyenne 8300 cal/jour (analyse précise effectuée durant les 7 premiers jours).
– Il a profité de 12 magnifiques couchers de soleil et de 11 levers de soleil incroyables pendant l’escalade.
– Kilian Jornet n’a vu personne pendant 2 jours d’affilée.
– Les sommets où il a rencontré le plus de monde étaient l’Aletschhorn, le Mont Rose, le Cervin et le Grand Paradis.
– Le moment le plus « éclairant » a été l’ascension du Weisshorn, avec le coucher du soleil, le spectre brisé et la sensation de flotter vers le haut.
– Pour récupérer, ce que Kilian Jornet a le plus bu a été des infusions d’origan avec de l’huile de coco et des smoothies à la betterave, au gingembre et au curcuma.
– La nuit où il a le mieux dormi, c’était au bivouac d’Eccles, sur le versant italien du massif du Mont-Blanc. Seulement 3 heures, mais très profondément.
– Kilian Jornet a fait plus de 160 itinéraires différents durant le voyage. Certains étaient beaux, d’autres très beaux et d’autres moins. Ceux qu’il a le plus appréciés, pour la qualité du rocher, l’ambiance et/ou l’esthétique, étaient la traversée Lauteraarhorn-Schreckhorn, Dom-Täschhorn, Rimpfischhorn, l’arête Est de la Dent d’Hérens, l’Arbengrat à Ober Gabelhorn, le Rothorngrat à Zinalrothorn, Schaligrat à Weisshorn, Jorasses-Rochefort, Aiguilles du Diable et l’Arête du Brouillard.
Lire le journal complet de l’aventure Alpine Connections de Kilian Jornet ICI
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !