Ultra-trail : comment gérer la privation de sommeil ?
La gestion d’un ultra-trail implique de prendre en considération un certain nombre de paramètres que l’on ne peut guère tester avant le jour J. Parmi eux, le sommeil. S’engager sur une épreuve qui va durer pour certains plus de 40h d’effort en continu impliquera une dette de sommeil très sévère. Quel est alors l’effet de cette privation de sommeil sur la performance de l’ultra-traileur ? Comment bien l’appréhender ? Éléments de réponses avec Guillaume Millet, Professeur de Physiologie de l’Exercice à l’Université de Saint-Etienne et spécialiste de l’effet de la fatigue dans les sports d’endurance.
Le sommeil, à quoi ça sert ?
Selon la définition de l’Inserm, le sommeil correspond à une « baisse de l’état de conscience qui sépare deux périodes d’éveil. Il est caractérisé par une perte de la vigilance, une diminution du tonus musculaire et une conservation partielle de la perception sensitive. » Essentiel à notre santé, le sommeil possède de multiples vertus. « Cela permet de renforcer notre système immunitaire, de récupérer musculairement, notamment grâce à la première partie de la nuit. Le sommeil sert aussi à “nettoyer le cerveau” », explique Guillaume Millet, Professeur en Physiologie et expert du sujet.
Ultra-trail, privation de sommeil et perception de l’effort
Forcément, la privation de sommeil, largement étudiée depuis plusieurs dizaine d’années, ne sera pas sans conséquence. Elle provoque une fatigue plus ou moins conséquente selon chaque individu. Cet état de fatigue engendre des troubles cognitifs bien connus : irritabilité, perte de réflexe, capacité cognitive réduite, etc. Mais qu’en est-il au niveau de la performance ? « On sait que l’effet d’une dette de sommeil n’est pas le même pour un effort court et intense par rapport à un effort d’endurance, rappelle d’emblée Guillaume Millet. Si on mesure la VO2Max ou la force maximale, l’effet est minime. Après une nuit blanche, je serai capable de courir un 100m ou de faire un squat avec la même force. En revanche, la performance se détériora à partir d’un effort répété », souligne le Professeur.
La conséquence d’une dette de sommeil a un impact avant tout sur la perception de l’effort. La privation de sommeil va engendrer une fatigue qui peut se définir par le fait « de percevoir une tâche plus difficile qu’elle ne l’est. On a alors l’impression que tout est plus pénible. » Cette perception se cumule à l’effort en lui-même, ce qui aura fatalement pour conséquence d’amener le coureur à ralentir, « alors même que, physiologiquement, il pourrait être capable d’aller aussi vite, voire plus vite ».

Ultra-trail, privation de sommeil, hallucinations et état de veille
Au-delà de cette perte irrémédiable de performance, le manque de sommeil peut avoir des conséquences bien plus « insolites » ou « effrayantes » selon les individus. Mais surtout plus dangereuses. Les hallucinations et les pertes de repères peuvent ainsi parfois s’inviter sur une épreuve au long cours. Même si Guillaume Millet estime qu’elles ne peuvent rarement arriver au bout de seulement une nuit blanche. « Pour que ce soit le cas, il faudrait alors s’engager sur un ultra avec déjà un fort déficit en sommeil », considère-t-il.
Quoiqu’il en soit, les hallucinations sont bien réelles, même si personne ne les comprend vraiment. « Ce que l’on sait, c’est que le sommeil permet de ‘’nettoyer’’ le cerveau. Or la privation de sommeil fait que l’on continue à accumuler des substances comme l’adénosine. » Ces hallucinations sont diverses et variées et dépendent de chacun. Elles peuvent être visuelles, comme ce fameux rocher qui prend soudainement les apparences d’une personne réelle, ou bien sonores, quand on a l’impression d’entendre des voix.
Hallucinations : l’expérience de Guillaume Millet
D’autres phénomènes peuvent apparaître, comme l’a lui-même expérimenté Guillaume Millet. « En 2010, lorsque je participe à la première édition du Tor des Géants (330km/24000m D+ qu’il bouclera à la troisième place en 87h), j’ai connu la sensation de ne plus savoir si je courrais ou si je rêvais. Cela a duré entre 30min et 1h, il y avait un vrai décalage entre ce que je ressentais et ce que je vivais. Certains ont rapporté des faits où un coureur dormait sur l’épaule d’un coéquipier tout en marchant. On peut en tout cas être dans un état de semi-veille, cet état dans lequel nous sommes en début de nuit, quand on s’endort, où l’on est ni réveillé, ni endormi… »
Hallucination ou pas, une chose est certaine selon Guillaume Millet : la fatigue diminue le niveau de vigilance. Les réflexes sont moins bons et l’on a tendance à moins prendre conscience du risque. Donc a en prendre davantage. Pas forcément rassurant quand un traileur se retrouve seul en pleine nuit sur un sentier escarpé en pleine montagne…

Ultra-trail et sommeil : pas tous égaux face à l’envie de dormir
Autre problématique largement étudiée par la science : la disparité des athlètes face à cette privation de sommeil. Ce que l’on appelle le trotype. « C’est le fait que certains personnes sont plus ou moins résistantes face à la privation de sommeil, éclaire le chercheur. Si cette capacité à mieux résister à ce manque de sommeil ne sera pas la qualité prioritaire d’un ultra-traileur, elle peut en revanche éviter de vous faire abandonner. Un peu comme pour l’alimentation. Une personne capable d’avaler tout et n’importe quoi sans connaître de problèmes digestifs aura plus de chance d’aller au bout. »
Mais comment mieux résister à cette privation ? Est-ce une qualité innée, génétique ou liée à l’habitude, à une sorte d’entraînement ? La science n’a pas encore la réponse à cette question. En tout cas, Guillaume Millet l’assure : « S’habituer en amont d’une épreuve à ne pas dormir est une erreur. La plupart des études ont montré que ça ne changeait rien. Au contraire, cela faisait prendre plus de risques que d’engendrer des bienfaits. »
Privilégiez « l’extension de sommeil » en amont
Quelle est la meilleure stratégie pour accepter au mieux cette privation de sommeil durant un effort au long cours ? La solution se situe finalement en amont de l’épreuve. « Il faut accumuler, stocker du sommeil dans les jours qui précèdent. Dans une étude, on a fait dormir des personnes 2 heures plus tôt que leur habitude de coucher durant 6 jours. Cela leur a permis de dormir une heure de plus par nuit. À l’arrivée, cela a permis de démontrer qu’ils arrivaient à mieux à résister à la privation de sommeil et à mieux performer. C’est ce qu’on appelle de l’extension de sommeil. »

Séquencez les phases de sommeil lors d’un ultra
Si Guillaume Millet est convaincu que l’on peut aisément enchaîner une nuit sur les sentiers sans dormir, ce n’est pas le cas de tous. Et encore moins si l’on doit s’engager sur une seconde nuit. Mais alors comment gérer ces phases de sommeil qui viendront indubitablement ? La solution sera alors de séquencer ces phases de sommeil. « Il est tout a fait possible de se ‘requinquer’ avec seulement deux périodes de sommeil de 20 minutes durant un 100 miles », affirme Guillaume Millet. Qui conseille au demeurant de ne pas excéder cette durée, au risque d’entrer dans une phase de sommeil profond est d’être « dans le gaz » après un réveil imposé.
Pour lui, il convient aussi de dormir « au bon moment ». « On sait par exemple que la pression du sommeil est plus importante au moment du lever du jour, vers 5h/6h du matin. L’idéal est donc de choisir le moment où l’on pourra dormir. Mais aussi le bon endroit, en privilégiant les zones de ravitaillements où des personnes pourront vous réveiller. » Il est ainsi déconseillé de s’endormir seul sur un chemin, d’autant plus que le risque de baisse de température peut être plus important. Il convient donc d’anticiper si possible les moments où l’on va choisir de dormir, même s’il est inutile de persister à vouloir dormir si le sommeil ne vient pas au bout de 5 minutes.
Ultra-trail et privation de sommeil: quelles conséquences sur le long terme ?
Guillaume Millet l’assure, les conséquences d’une nuit blanche sur les sentiers après un effort d’endurance sont limitées sur le long terme. Elles sont en tout cas moins importantes que de vivre cette situation de manière chronique, comme c’est le cas de certains travailleurs de nuit. « Les risques sont finalement plus accrus juste après la course si l’on prend sa voiture par exemple. Mais sinon, l’essentiel est de retrouver son rythme de sommeil rapidement et de dormir d’une traite, sans mettre de réveil. »
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !