Anton Krupicka, légende du trail, de retour à l’UTMB en 2025 ?
Un short noir, un torse nu, velu, bronzé et ruisselant de sueur, des cheveux longs et une barbe fournie, son minimalisme a fait de lui une légende. Krupicka, en tchèque, signifie « petit bâton », et était le nom donné autrefois aux petites personnes, ou à ceux qui maniaient le bâton avec aisance. Anton, du haut de son mètre 83, n’est pas petit. Quant à son aisance, après l’avoir faite fructifier sur les bancs de l’université, avec trois licences obtenues en philosophie, physique et géologie, il l’exprime depuis près de 20 ans baskets aux pieds sur les sentiers, et plus récemment avec un gravel ou sur une paroi rocheuse. Portrait d’une légende surnommée « Le Messie », que l’on espère revoir à Chamonix lors de l’UTMB 2025.
Anton Krupicka, un marathon en 3h50 à 12 ans !
892 kilomètres : c’est la distance parcourue par Anton Krupicka entre Omaha, dans le Nebraska, où il est né en 1983, et Boulder, dans le Colorado, où il s’est établi 20 ans plus tard. Une ultra-distance, mais rien de comparable avec celle parcourue par son arrière-arrière-grand-père, un de ces pionniers venu de l’ancien Empire austro-hongrois au temps des pionniers. « Il a amené sa famille aux États-Unis parce que le gouvernement de l’époque offrait des terres gratuites à toute personne souhaitant s’installer, construire une maison et une ferme. Il a dû y voir une opportunité. J’y pense maintenant, à quel point cela a dû être effrayant et intimidant. »
Coureur depuis 1995 – il a terminé son premier marathon à 12 ans en 3h 50mn 11s -, ultra-runner professionnel depuis 2006 – il remporte alors la Leadville 100 avec le deuxième chrono le plus rapide de tous les temps (17h 01mn 56s), puis revient l’année suivante pour courir encore plus vite (16h 14mn 35s) -, à la question « pourquoi cours-tu ? », sa réponse a évolué au cours des 25 dernières années. De ses débuts au collège, où il courait simplement parce qu’il faisait preuve d’un minimum d’aptitude pour la course de fond par rapport à ses camarades de classe et que cela lui offrait – pour le prix d’une simple paire de chaussures et d’un peu de détermination – un moyen de s’individualiser et de se sentir unique, à la simplicité de l’activité, qui représente aujourd’hui le véhicule le moins compliqué dont il dispose pour se connecter à lui-même et à son environnement, Anton Krupicka est persuadé que toute pratique n’a de réelle valeur que si elle est habituelle.
Sans cela, il n’y a pas de cohérence. Alors il court régulièrement, simplement, comme d’autres lisent ou écrivent, ou s’efforcent de garder leur appartement propre et bien rangé. « Courir est pour moi une activité saine qui est un cadeau, confie-t-il. Ce n’est pas vraiment une béquille ou un mécanisme d’adaptation, même si je suppose qu’il y a eu des périodes dans ma vie où cela a été le cas. »

Anton Krupicka, une curiosité toujours intacte
Mais qu’on ne s’y trompe pas, Anton Krupicka n’est pas un enfant de chœur. D’abord, parce que la course à pied est aussi une façon de prendre la parole pour gagner sa vie – et bien plus agréable à ses yeux que de devoir saisir un micro et s’exprimer en public dans le cadre d’opérations marketing. Ensuite, parce que l’homme apprécie grandement la compétition, et le fait de relever des défis pour voir si il peut être à la hauteur. Or, pour une raison qu’il ne s’explique pas, il a toujours été assez doué pour courir de longues distances en montagne, même s’il ne s’entraîne plus que sur 50 à 80 kilomètres par semaine.
Et puis il y a la curiosité, moteur immuable de sa motivation, toujours intacte. La même qui l’a attiré à Leadville pour la première fois, il y a 18 ans, en 2006 — Puis-je faire ça ? —, qui l’a poussé à recourir un 100 milles en septembre dernier, le Grindstone by UTMB — qu’il termine à la 2ème place -, et qui l’amènera peut-être à Chamonix pour prendre le départ de son 3ème UTMB en août prochain. « Les courses à pied de 100 milles constituent un objectif particulièrement inconfortable et stimulant, elles ont à ce point élargi la portée de mon expérience de vie que si je suis physiquement capable de tenter une telle expérience, je sais que cela en vaudra toujours la peine. »
Être physiquement capable, un leitmotiv après les années de blessures à répétition, entre fracture de stress, douleurs aux chevilles et aux genoux, qui l’ont poussé, en 2015, à partir découvrir ce qui, à part courir, pouvait le soutenir psycho-émotionnellement. « Il existe des mondes entiers en dehors de la course à pied. Je l’ai toujours su, mais soit je n’avais pas l’énergie nécessaire pour les explorer, soit je craignais que leur exploration ait un effet néfaste sur ma pratique. Mais lorsque les blessures ont fait que la course à pied a été involontairement supprimée de l’équation, j’ai soudainement eu beaucoup d’énergie et d’espace. »
C’est ainsi qu’en 2015 Anton enfourche un vélo et décide de faire du gravel, concept naissant de l’industrie outdoor mixant cyclisme sur route et sur chemins, devenu une composante à part entière de sa vie. « Un cadre de vélo peut durer des décennies, s’enthousiasme Anton Krupicka. Cela lui confère une qualité intrinsèquement intemporelle qui, je pense, impose le respect et suscite l’inspiration. Les vélos sont vraiment géniaux. »

Anton Krupicka : “Le premier amour, le restera toujours !”
Et la compétition d’ultra-trail dans tout ça ? Car il suffit de suivre le compte Instagram d’Anton Krupicka pour s’apercevoir qu’il passe plus de temps à faire du gravel et de l’escalade qu’à courir. « C’est fou ! J’ai en quelque sorte vécu une crise de la quarantaine. En grandissant, en vieillissant, j’ai simplement apprécié beaucoup plus l’endroit où j’ai grandi, alors j’y ai passé plus de temps qu’à rouler et grimper qu’à m’entraîner pour courir. J’aime le Nebraska ! »
Mais la course à pied n’a pas pour autant été remisée dans un carton au grenier, loin de là : « J’adore faire du vélo, mais la course à pied sera toujours mon premier amour. Courir reste la chose la plus malade de tous les temps ! J’ai réalisé il y a un certain temps déjà que le résultat final n’avait pas d’importance, que ce qui comptait était la façon dont je me comportais dans la difficulté. La compétition est alors devenue importante en tant qu’expérience transformatrice, et non en tant qu’arène pour vaincre les adversaires. »
Et d’en profiter pour rendre un hommage appuyé à certains coureurs plus âgés que lui qui brillent encore sur les sentiers et sont des moteurs de sa motivation. « Ce serait mentir que de ne pas dire que des gars comme Ludo ou Jason m’inspirent. » Ludo, Pommeret bien sûr, héroïque sur la Hardrock 100 l’été dernier, battant à l’aube de ses 50 ans le record de Kilian Jornet. Jason, Schlarb, 3ème de cette même épreuve, du haut de ses 46 ans.
Puis, lucide, Anton Krupicka de poursuivre : « Je veux toujours courir, bien sûr, mais je reconnais que je ne suis plus au sommet de ce sport après 15 ans. C’est la progression naturelle des choses. Il y a beaucoup d’aventures que j’ai encore envie de vivre. Certainement dans la course à pied, mais aussi dans l’escalade et le vélo. Des projets, des défis personnels. Et je suis toujours ravi de me dépasser dans des contextes plus informels. »
La passion, la curiosité, l’envie, autant de moteurs dans la vie d’Anton Krupicka. Tout comme la montagne, élément essentiel. « Prendre de la hauteur sur une ligne de crête, s’élever sur une paroi rocheuse ou atteindre un sommet représente une objectif incontournable à atteindre. Il y a peut-être quelque chose d’essentiel dans le fait de vouloir arriver quelque part avec une perspective élevée qui offre une vue dégagée. Mais ce n’est pas nouveau, être attiré par le relief topographique semble être une caractéristique humaine universellement innée. »
Bien connaître un paysage complexe et être capable de le parcourir efficacement est également quelque chose d’extrêmement satisfaisant, dont Anton Krupicka ne se cache pas. Pas pour se grandir, mais au contraire pour se sentir minuscule dans l’immensité. « J’apprécie les paysages qui me font me sentir petit. Les montagnes font ça. Mais il en va de même pour les vastes plaines herbeuses avec un ciel immense. Ou les déserts. Ce sont des moments où je peux être seul avec mes pensées, loin du bruit du monde. »
Anton Krupicka et la controverse de l’UTMB
En décrochant sa qualification pour l’UTMB Mont-Blanc 2025, Anton Krupicka a fait naître un immense espoir dans la communauté des traileurs : celui de le revoir sur la ligne de départ à Chamonix au mois d’août prochain. Mais la polémique autour de l’épreuve, avec l’appel au boycott de l’épreuve par Kilian Jornet et Zach Miller début 2024, qu’en pense-t-il ? « Tout cela n’est qu’une controverse fabriquée. Beaucoup de gens veulent simplement vivre l’expérience magique de faire le tour de la montagne et de le faire avec d’autres, car il y a un fort sentiment de communauté lorsque vous le faites. Toutes les autres conneries, personne ne s’en soucie vraiment… »
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