Barkley Marathons 2025 : pourquoi il était impossible de la finir
Un carnage. Une boucherie. Une hécatombe. Tous les médias sans exception ont employé ces mots de fin du monde pour décrire l’édition 2025 de la Barkley Marathons, 38ème du nom, organisée par Lazarus Lake dans le Frozen Head State Park, une forêt lugubre bourrée de ronces du Tennessee. Avec des abandons en cascade dès la première boucle, aucun concurrent dans les temps pour entamer la 4ème boucle et un seul finisher sur la Fun Run, le verdict est lourd.
Pourtant, des coureurs expérimentés étaient au départ, dont John Kelly, finisher en 2017, 2023 et 2024, Aurélien Sanchez, premier vainqueur français en 2023, ou encore Sébastien Raichon, qui avait bouclé 4 tours et échoué de peu l’an dernier. Alors, pourquoi tant de dégâts ? Dans un texte en forme de déclaration d’amour à la Barklet publié sur les réseaux sociaux, Aurélien Sanchez l’explique admirablement.
Barkley Marathon : être « infaisable »
L’esprit de la Barkley a toujours été le même, depuis le début : organiser une course avec 40 candidats maximum au départ (la première édition, en 1986, en comptait 13), que personne ne serait capable de terminer, et qui deviendrait une obsession dans l’esprit de ceux qui s’y aventurent.
Si le format a pu varier au fil des ans, sans jamais connaître de finisher, il est établi depuis 1995 pour la 10ème édition à 100 miles (160,9 km très précisément) et un dénivelé de 60000 pieds (18288m) à réaliser sous forme de 5 boucles dans un temps imparti très strict de 12 heures par boucle, avec un certain nombre de pages de livres à dénicher sur chacune des boucles, comme autant de check points obligatoires. La Barkley Marathons telle qu’on la connaît aujourd’hui était née.
Dès la première année de ce nouveau format, le Britannique Mark Williams débarque et réussit à terminer 5 tours, qui se faisaient alors tous dans le même sens. Immédiatement, Laz réagit et décide d’obliger les coureurs à alterner sur les 4 premiers tours, deux étant réalisés dans un sens, les deux autres dans le sens inverse, l’ordre pouvant changer selon les éditions. Il n’y a que lors du cinquième tour que le coureur peut choisir le sens dans lequel il courra. Et encore, uniquement s’il est seul, car s’il y a 2 concurrents, chacun doit partir dans un sens différent. Tout est fait pour que cette course reste impossible à finir. Lot de consolation pour ceux qui n’iraient pas au bout, la possibilité de faire une Fun Run, c’est-à-dire 3 tours complétés en moins de 40 heures.

Barkley Marathon : le « cauchemar » de 2024
Si de 1996 à 2000 aucun concurrent n’a réussi à boucler les 5 tours, les 3 éditions entre 2001 et 2004 (celle de 2002 sera annulée, le Parc de Frozen Head étant fermé) connaissent toutes 1 ou 2 finishers. Mais au fil des éditions, de plus en plus de concurrents parfaitement entraînés réussissent à finir les 5 boucles, dont 3 en 2012 et en 2023. Jusqu’à la « catastrophique » édition 2024, où 5 coureurs sont finishers, dont pour la première fois une femme, Jasmin Paris, à 99 secondes du gong final, dans un finish resté dans les mémoires.
5 finishers dans une course censée être impossible à finir, il était évident que Lazarus Lake devait réagir ! Et il n’allait pas rater l’occasion.

Barkley Marathon 2025 : la course fascinante et infaisable vue par Aurélien Sanchez
Le 23 mars 2025, Aurélien Sanchez, finisher et surtout vainqueur de l’édition 2023 dans un chrono de 58 heures 23mn 12s, c’est-à-dire avec plus 1h36 d’avance sur la barrière horaire des 60 heures, a publié un texte édifiant sur les réseaux sociaux, où il parle à la fois de sa fascination pour l’épreuve, de l’engagement qu’elle demande et du fait qu’au moment où ils ont découvert le parcours, quelques heures avant le départ de la course, tous les concurrents ont compris qu’il ne pourrait y avoir de finisher : Laz avait rajouté 2 côtes terribles d’environ 300m D+ sur le parcours de chaque boucle, soit 1h00 à 1h30 d’effort supplémentaire. En finir une serait compliqué, 2très compliqué, 3 quasi infaisable…
Aurélien Sanchez :
« Ce qui m’a fasciné dès le début dans cette course, cette aventure, c’est l’inconnu et la curiosité, de cette épreuve atteignable mais quasi inaccessible. De 1986 à 1994, la Barkley, celle que nous connaissons aujourd’hui (5 boucles en 60 heures), n’avait jamais été terminée. Elle était dite impossible par la communauté. Et puis Mark Williams, venu d’Angleterre ne sachant pas qu’elle était inatteignable, est devenu le 1er finisseur des 5 boucles. Elle n’a cessé d’évoluer depuis, pour être à la limite du possible, et maintenir ce taux de 1% de réussite qui la rend si sublime.
La Barkley se renforce en même temps que les méthodes d’entraînement sont approfondies, en même temps que le matériel de course se perfectionne. Ainsi, chaque année, nous nous demandons si elle est vraiment finissable ou si elle n’est pas allée trop loin, hors de portée.En 2023 j’ai eu le privilège de résoudre cette énigme, de trouver la recette. Une recette qui nécessite un engagement total, pour laquelle je n’avais pas suffisamment faim en 2024 lors de ma deuxième tentative, avortée après deux boucles.
En 2025, l’appétit était revenu, j’étais décidément prêt, avec ma recette de 2023 entre les mains. J’étais cette fois-ci déterminé à aller chercher au plus profond de moi-même une nouvelle fois, pour revivre ces émotions rares et uniques.
Lundi 17 mars, nous découvrons les changements et le parcours de cette nouvelle Barkley 2025.Il y avait certes 8 Finisseurs sur les deux dernières années, mais tous avec au mieux 1h37min de marge, profitant tous aussi d’une météo parfaite, et enfin étant chacun des personnes d’expérience et entièrement engagées.
J’avais donc anticipé au pire un changement qui rajouterait 15 ou 20min par boucle, ce qui aurait énormément compliqué la tâche (soit une heure de marge en moins sur la totalité), tout en restant dans le spectre du possible.
Ce lundi, le changement est devant nos yeux : ça sera minimum entre 1h00 et 1h30 de plus par boucle.
La course démarre, avec le départ le plus tardif de l’histoire à 11h37. J’ai à cœur de tout tenter tout de même, et je pars devant avec la précieuse compagnie de mes amis Maxime (Gauduin, NDLR) et Sébastien (Raichon, NDLR). Nous avançons très bien, trouvons les deux premiers nouveaux livres, et continuons jusqu’à avoir 30min de retard sur le prévisionnel de l’an dernier à la mi-boucle.
Au bout de 5h la chaleur me grignote, et je ralentis, me retrouvant seul désormais. L’énergie baisse. L’alimentation se complique. Les crampes arrivent.Je suis à la tour en 7h15, avec 1h30 de retard, le moral est au plus bas. La descente de RatJaw est un enfer, chaque geste pour éviter les ronces ou pour essayer de ne pas tomber dans la pente me provoque des spasmes musculaires difficilement tolérables.
Et puis la nuit arrive, je ne peux plus monter sans m’allonger au sol toutes les 5 minutes, en état de capitulation, écrasé par la douleur et le désespoir. Mes pieds crampent, je m’assois et c’est au tour de mes hanches…, je me mets sur le côté et ce sont mes cuisses, mes mollets… Ma mâchoire crampe, je ne savais même pas que c’était possible.
Je m’empêche d’abandonner avant les 2 derniers livres, et je pousse pour malgré tout finir cette boucle. Ce que je fais dans la douleur, en 12h, au lieu des 8h45 que j’espérais avant de découvrir ce nouveau parcours.
Je touche la barrière, je donne mes pages, et je m’assois avec Lucille et Guillaume qui tentent tant bien que mal de me faire repartir, mais je n’ai ni la force ni l’état pour le faire. Ma Barkley est déjà terminée.
Des regrets ? Aucun, zéro, j’ai tenté, j’ai joué, j’ai tout donné et j’ai explosé.Reste ceci dit une énorme déception, celle d’avoir permis, sans sagesse ni expérience, de m’amener dans cet état de déshydratation, en cumulant deux erreurs principales: celle d’une mauvaise allure et gestion de course, et celle d’une mauvaise hydratation.
La Barkley m’a fait grandir en révélant mes faiblesses ces 8 dernières années, c’est une opportunité de plus pour accepter mes erreurs , mes faiblesses, et apprendre.Cette année la Barkley est redevenue le mythe, celle qu’on dit impossible à finir. Et pourtant, un jour, je sais qu’elle sera vaincue à nouveau. »
Tout est dit. Lazarus a gagné. Mais les aventuriers reviendront. Et vaincront un jour.
Barkley Marathons 2025 : le silence imposé par Lazarus Lake
Née à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas, la Barkley est longtemps restée une course confidentielle, jusqu’à ce que la fascination qu’elle exerce sur les athlètes qui s’y frottent contamine les médias. Ces deux dernières années, nous avons ainsi pu vous faire vivre la course tour après tour, en fonction des informations communiquées par les journalistes envoyés spéciaux sur l’événement, ou par les membres des “crews” soutenant les concurrents. Mais Laz, sans doute échaudé par le battage médiatique autour des 5 finishers de l’an dernier, avait décidé de durcir non seulement la course, mais les conditions de communication. Ou plutôt, de les interdire, carrément.
Mais comment interdire à des médias de communiquer ? La réponse a été trouvée par Laz : en menaçant les concurrents eux-mêmes ! Ainsi, tout concurrent dont l’équipe d’assistance aurait communiqué des informations reprises sur les réseaux, scrutés minute par minute par les équipes de Laz, risquait de ne plus jamais avoir le droit de participer à la course. Les coureurs n’avaient même pas le droit de révéler aux médias qu’ils participaient à la course ! Pour mieux contrôler la communication, Laz a tout de même désigné une personne, Keith Dunn, pour informer la « planète » du déroulement de la course via son compte X (ex-Twitter), qui allait nourrir d’infos données au compte-goutte les médias du monde entier, sans jamais dévoiler de nom tant que Laz ne l’y aurait pas autorisé. La dictature à l’état pur.
C’est ainsi qu’il a fallu attendre le 3ème tour pour être autorisé à divulguer les noms du Japonais Tomokazu Ihara, de l’Américain John Kelly et des Français Sébastien Raichon et Maxime Gauduin, les seuls à avoir été cités.
Bien sûr, Esprit Trail était informé de la présence au départ de Sébastien Raichon, Claire Bannwarth, Maxime Gauduin ou encore Aurélien Sanchez, mais par respect envers les coureurs, nous avons accepté de ne pas divulguer leurs noms ni aucune information à leur sujet durant la course. Mais la dictature de la parano qui a régné sur place durant plusieurs jours est-elle digne de la beauté de cette course ?
Esprit Trail supprimé du groupe confidentiel de suivi de la Barkley
Comment informer sur une course passionnante sur laquelle tout le monde attend des informations, quand l’organisation impose un silence rigoureusement contrôlé?
Notre envoyée spéciale sur place, notre amie Cécile Bertin, qui faisait partie de l’assistance de Claire Bannwarth, nous avait prévenu plusieurs jours avant : il ne faut pas citer les noms des concurrents, ils ont été menacés de sanctions si ils donnaient des informations sur leur participation ! Pauvre Cécile, perdue dans cette forêt du Tennessee, avec un silence imposé. Les rares fois où elle a pu accéder au Media Center (drôle, un Media Center quand il est interdit de communiquer !) pour avoir du réseau et envoyer des messages par WhatsApp, c’était pour dire : je ne peux rien dire !
L’équipe d’assistance de Sébastien Raichon, de son côté, nous avait gentiment inclus dans le groupe de suivi confidentiel WhatsApp, envoyant des photos et des informations sur la préparation de la course, l’attente interminable, illustrant tout cela par quelques petites photos de groupe, Sébastien et les autres Français… Avec toujours ce rappel : ne publiez rien, ne dites rien !
Il a donc fallu se résoudre à attendre les informations délivrées par Keith Dunn pour pouvoir vous informer en live. Pas grand-chose en fait : l’heure à laquelle Laz a donné le départ en allumant sa cigarette, et puis attendre, meubler, raconter quelques histoires sur le passé… Et illustrer avec quelques photos, parce qu’un post Facebook sans photo, c’est triste à mourir.
Et par malheur, nous avons fauté ! Nous avons fait l’erreur de publier sur nos posts 4 photos qui avaient été envoyées dans le groupe confidentiel. Oh, rien de bien méchant, il y avait 2 photos de forêt, sans personne dessus, une photo de l’antenne métallique, sans personne dessus, et une photo de la chaise de Lazarus, sans personne dessus. Il n’en a pas fallu plus pour que nous soyons supprimés illico de ce groupe confidentiel. Nous en avions trop montré. Nous n’avions rien montré, mais nous en avions trop montré !
Dès que la demande nous a été faite de supprimer les photos « litigieuses », nous nous sommes exécutés, les remplaçant par des photos d’archives. Mais une photo de forêt, franchement ! Elle aurait pu dater de 2024, de 2023, de 1995…
Nous n’en voulons bien sûr pas à l’équipe de Sébastien, très sympa au demeurant, et certainement mise sous pression par les équipes de Laz, qui répétaient sans cesse qu’il y aurait des sanctions si des informations fuitaient.
Mais on peut se poser la question de savoir pourquoi Laz a fait début 2025 une tournée en France, apparaissant sur divers évènements, faisant la promotion de sa Barkley, si au final c’était pour terroriser tout le monde et interdire la diffusion d’informations de cette façon. Il y a quelque chose qui nous échappe…
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !