Claire Bannwarth 1ère féminine sur la Crossing Switzerland : récit d’une folle traversée
Impressionnante ! Lorsqu’on regarde le carnet de courses de Claire Bannwarth ces trois derniers mois, on est pris d’une irrésistible envie de se coucher. Entre Minorque, la tentative de FKT sur le Long Trail aux USA, le passage par la Guadeloupe, le Québec Mega Trail et la Hardrock 100, ce sont des milliers de kilomètres au compteur. Là où tout athlète « normal » aurait besoin de repos, une semaine après avoir terminé le mythique ultra dans les montagnes du Colorado (31ème au scratch, 8ème féminine), Claire Bannwarth est allée se frotter au terrible Crossing Switzerland, une traversée intégrale de la Suisse de 390 km et 25000m D+. 93 heures et 47 minutes plus tard, elle déboulait à Montreux, terminant 8ème au scratch et première féminine. Moins de 4 jours pour traverser tout le pays par ses sommets ! Une aventure qu’elle a raconté sur les réseaux sociaux, et que nous ne pouvons résister au plaisir de vous partager. Car Claire Bannwarth, au-delà des performances, c’est aussi une plume à déguster. Récit d’une « petite balade pas très dure », dixit l’intéressée.
Le Crossing Switzerland de Claire Bannwarth en quelques chiffres
94 heures
8ème scratch
1ère femme
7 jours après la Hardrock 100
2 paires de Topo MTN Racer 3,
10 paires de chaussettes Decathlon à 3 euros
2 tee-shirts Raidlight Ultralight
Un short et un pantacourt Raidlight défoncés,
20 gaufres Näak
6 paquets de crakers
5 cafés
Des litres de coca
Des litres de Rivella (miam !) (boisson suisse à base de lactosérum, NDLR)
Une bande de strapping
Un paquet de pansements
Un pot de vaseline
Une paire de Léki qui n’a miraculeusement pas pété, pour une fois !
Crossing Switzerland Section 1 : 78 km, 5500 D+ – Vaduz – Linthal
Départ 22h dans la rue principale de Vaduz. On est quand même plus de 300 (trois fois plus qu’il y a deux ans !), ce qui pour un 200 miles est plutôt beaucoup. (Punaise, je ne m’imaginais pas qu’autant de monde voulait faire cette connerie !). Les 20 premiers kilomètres sont très roulants, faut courir, je les torche tranquilou en 2h. Ce sera ma section la plus rapide de la course ! Peu après, je me fais dépasser par Denise, puis Anita. Bon, c’est pas très étonnant, il y a du niveau chez les femmes cette année et les « usual suspectes » ont l’air en forme.
Quelques jardinages, en partie de ma faute, et en partie en voulant suivre d’autres coureurs, me font perdre un peu de temps, mais bon, vu qu’on est parti pour 4 jours ce n’est pas bien grave. Cela finit par monter un peu. Cool, la marche bâtons, c’est la vie ! Le jour finit par se lever, et je peux profiter des paysages magnifiques, et des vaches, meuhhh ! Première bosse passée, il en reste une deuxième, les jambes commencent à couiner un peu, mais j’ai tendance à rattraper des gens plutôt qu’à me faire rattraper donc cela me rassure.
Il y a un peu de neige au sommet. Je ne trouve pas le ravito (je suis certainement passée devant sans le voir…) et devrai faire les 27 derniers km sans manger, et sous une pluie de m***e… Après une trèèèèsss longue descente où je dois bien jouer des bâtons (sans les casser cette fois !) et où je dois me retenir de ne pas croquer dans le cul des vaches, j’arrive à la base vie, au bout d’environ 12h30 de course, ce qui ne me paraît pas si mal surtout avec ma jambe en mousse ! (Claire Bannwarth souffre d’un
Bien entendu je défonce le ravito et j’engloutis deux assiettes de pâtes. Puis je me maudis d’avoir autant chargé mon sac d’allègement quand je dois aller le récupérer. Je croise Denise, puis Anita arrive, puis Céline… Damn, on est encore si proches ! Je croise également Fabien qui n’a pas l’air bien… Changement de chaussures et chaussettes car les pieds ont bien douillé avec toute cette flotte ! MTN Racer 3 pas neuves vs MTN Racer 3 neuves, et c’est reparti mon kiki !
Crossing Switzerland Section 2 : 76 km, 4500 D+ – Linthal – Trübsee
On commence fort par une belle montée de bâtard… et après on redescend tout tout tout au fond de la vallée. Une partie un peu plate le long de la rivière permet de délier les jambes. Je fais le yoyo avec un gars qui court très bien le plat mais que je retrouve assez souvent en PLS sur un rocher dans les montées. Il se met à pleuvoir à fond, je suis trempée, mes pieds aussi. Un ravito bienvenu me permet de me changer et de refaire mes bandages. J’y retrouve Denise, que je pensais super loin devant… Cela me rassure. Je me rends compte aussi que ma balise était éteinte depuis mon départ de la base vie ! Je la rallume dare-dare, et je comprends pourquoi mon téléphone vibrait toute les demi-heures depuis mon départ de la base vie !
Puis on se retape une autre montée de la mort, toujours sous la pluie, mais cette fois la nuit tombe, et on finit par devoir chercher son chemin dans le brouillard et au milieu des névés… Heureusement, je ne suis pas seule et me retrouve dans un petit groupe, ce qui aide à ne pas se perdre. Peu avant la fin de la montée, je rattrape une frontale : c’était Denise, visiblement zombifiée. Je ne fais pas trop la maligne, je suis dans le même état !
Cela fait plaisir de basculer en descente et d’enfin avoir l’impression d’avancer. Une dernière remontée bien raide, où je me fais rattraper par Denise, et c’est enfin la base vie, en 29h environ. Je suis contente d’y voir Wouter, il est sur le point de partir, mais je peux le saluer. Il y a aussi un Japonais et deux trois autres gars, mais globalement c’est calme. Les écarts sont enfin là !
Je décide d’aller m’allonger 15 minutes, pas parce que j’en ai particulièrement besoin, mais parce que je viens de passer 17h avec les pieds mouillés par la pluie, la neige, la boue et les rivières et que j’ai besoin que cela sèche un peu… Je suis surprise de ne pas trouver Denise dans le dortoir femmes… J’apprendrai plus tard qu’elle a raté la base vie, glups ! Je me refais un bandage, change de chaussettes et repars rapidos, après avoir inondé tout le ravito en remplissant ma flasque d’eau dans un beau epic fail !
Crossing Switzerland Section 3 : 76 km, 4500 D+ – Trübsee – Lauterbrunnen
Je m’endors dans la montée qui suit. Je tente plusieurs micro-siestes, mais rien n’y fait, j’ai du mal à garder les yeux ouverts. Heureusement, le jour arrive vite, et un premier ravito au pied d’un joli lac (le Tannensee). Autant dire que je défonce le stock de coca et passerai les kilomètres suivants à roter. Je me fais rattraper dans la montée suivante par un mec. J’arrive à m’accrocher dans la descente et à rester avec lui jusqu’en bas (une dizaine de km cette descente, lonnnnggggg). Je retrouve Denise au ravito de Meiringen. Heureusement pour elle, il était en dur et avec tout ce qui fallait pour dormir et elle a pu s’y reposer. Je m’occupe de mon côté encore et toujours de mes pieds et repars un peu avant elle.
J’ai à peine fait 1km qu’elle me rattrape déjà… Bon, de toute manière, je m’en fiche, je fais ma course. Mais j’avoue pour l’instant avoir passé une grande partie de la course à me faire déposer par elle en montée, en essayant de trouver pourquoi elle avançait deux fois plus vite que moi (où est caché le moteur bordel ? ;-).
La suite m’est familière: c’est les sentiers de l’Eiger. C’est lonnnnnng, et c’est la mud fest. On traverse quelques torrents et c’est un peu le casse-tête pour gardert les pieds secs, puis pour traverser tout court…Ensuite, au lieu de remonter vers le Maennliche comme sur l’Eiger, on redescend sur Lauterbrunnen. Une des bénévoles, qui a aussi fait le balisage, nous dit d’être vigilants au niveau de la gare… C’est bien sûr le moment où la batterie de ma montre me lâche et où je dois naviguer au téléphone. Et donc j’arrive bien sûr à me planter et dois tirer tout droit dans le pentu et traverser les voies de chemin de fer et des arbustes pour retrouver le bon sentier.
Je ne suis alors pas encore rendue, il reste encore 6km avant Lauterbrunnen et la navigation sur gpx viewer me file des boutons. Je réussis à arriver à la base vie sans avoir à ressortir la frontale – il est 22h et quelque ! Là encore, Wouter est sur le départ alors que je m’installe pour manger la première de mes trois assiettes de quiches. Et Denise est également là, elle est visiblement arrivée quelques instants avant moi.
Je ne sais pas trop quoi faire. J’ai encore les pieds défoncés, et comme on est à la mi-course et qu’on attaque le début de la troisième nuit – et d’une section de maboule, cf le D+ – je sais que c’est le moment idéal pour faire un bon cycle de sommeil. Problème : je n’ai pas particulièrement envie de roupiller. Je décide quand même de me poser 1h15 dans la salle de repos. Au bout d’une demi-heure à faire la crêpe, je comprends que c’est mort, je n’arriverai jamais à dormir. J’arrête donc de perdre mon temps et change totalement de plan : ce sera opération caféine et zéro sommeil jusqu’à la fin de course. Quatre jours sans dormir ne me font pas peur, je l’ai déjà fait sur la Spine sans (trop de) problèmes. Je me demande juste si cela va passer avec les montées… On verra !
Crossing Switzerland Section 4 : 81 km, 7500 D+ – Lauterbrunnen – Lenk (et non, il n’y a pas d’erreur, c’est bien le bon D+ !)
Ça grimpe secos d’entrée, puis c’est un peu plus roulant et je me surprends à courir (heu, courotter disons !), puis on se prend un beau mur dans la tronche. Que je reconnais d’ailleurs, je l’avais fait en rando avec mon mari. Je suis surprise de rattraper Denise dans la montée, c’est la première fois que je vais plus vite qu’elle dans une partie ascendante… Il fait nuit et il y a du brouillard, et comme je navigue toujours au téléphone, au chou total, c’est un peu la galère pour rester sur le bon sentier. Mais j’arrive néanmoins vers la fin de la montée : une série de marches bien raides pour bien t’achever !
Je sais qu’on doit normalement descendre. Seulement après quelques minutes, j’arrive dans un pierrier dégueulasse, et ne vois plus aucune marque. Mon téléphone me met hors trace, et le « chemin » devient carrément dangereux. Je me demande alors si il ne fallait pas continuer encore un peu plus haut (il y avait un sentier marqué blanc et rouge qui remontait encore un peu) et décide de faire demi-tour. Je retrouve Denise qui venait juste de finir l’ascension des marches. Je lui dis que je ne sais pas trop où il faut passer, et qu’en bas c’est vraiment dégueulasse…
On remonte un peu en suivant le sentier balisé, mais on s’éloigne de la trace… J’appelle alors le PC course, histoire juste d’être sûre du bon chemin. Cela ne me dérange pas de faire mumuse dans un pierrier hyper raide à 4h du mat’ (ça me rappelle la Hardrock), à condition d’être sûre que ce soit bien par là qu’il faille aller ! On me confirme que c’est bien par là. Bon, bah c’est reparti pour 20 minutes de glissades non contrôlées dans la pierraille.
On ne voit absolument rien dans la nuit et le brouillard. Aucune trace, aucune voie qui ressemble à un sentier… Je passe sur les fesses, complètement hors sentier, et finis par retomber sur la trace. Denise retrouve également un vrai sentier et je suis soulagée. Je me taille dans la descente (enfin, cela roule, youpi !). Je n’ai surtout plus d’eau et plus de bouffe et il me tarde d’arriver au ravito refaire le stock. Je ne peux d’ailleurs pas attendre pour la flotte : je remplis ma flasque dans un ruisseau en espérant que pas trop de vaches n’aient pissé dedans.
Le jour se lève, et j’arrive enfin au ravito. J’y soigne mes pieds pour la énième fois et repars juste quand Denise arrive. Elle me demande ce que je fous encore là, et lui explique que mes pieds sont en charpie. Allez, encore une bonne grosse bobosse, et surtout une descente bien foireuse sur des sentiers qui n’en étaient pas, et Kandersteg et son ravito est en vue !
Pareil, je dois une nouvelle fois changer de chaussettes. J’en profite pour engloutir trois assiettes de croziflette (ultimeeeeee !) et me barre fissa. Une nouvelle bobosse m’attend. J’y passe une paire d’heures et suis de nouveau affamée, j’attends avec impatience le ravito d’Adelboden. Je traverse toute la ville sans rien voir… Bon, cela doit être un peu plus loin… Je sors littéralement de la civilisation pour commencer à grimper et comprends que je l’ai raté… Je mange mon ultime gaufre Näak. Il reste encore 20 km avant Lenk, avec certainement une longue descente. Je devrais survivre…
J’arrive à Lenk vers 21h avec une faim de loup et des pieds de biche (ie défonce). La base vie est énorme et remplie de gamins qui crient et courent partout… Le plan est simple : engloutir un max de calories et un max de caféine dans le moins de temps possible. J’hésite à changer de chaussures mais bon, on ne change pas une équipe qui marche (moyen). Je profite de l’écran où le live tracking est affiché pour checker ma position et les écarts pour la première fois de la course : je suis 8ème scratch et 1ère femme. Denise est dans la descente et ne devrait pas tarder à arriver. Le 5ème est très loin, et le 6ème, mon ami Wouter, et le 7ème sont également à la base vie, certainement en train de roupiller. Raison de plus pour ne pas trop traîner ! Un dernier café et je bouge mes miches, prête à torcher cette (normalement) dernière nuit de course. Il est 22h passées. La nuit va donc être longue.
Crossing Switzerland Section 5 : 30 km, 1500 D+ – Lenk – Rossinière
J’ai un peu de mal à repartir, ma foulée ressemble plus à celle de Terminator que celle de Bip Bip le Coyote, mais ça revient vite et tant mieux car il y a une bonne section de plat, avant d’entamer l’une des dernières grosses montées de la course. Je profite d’être seule pour chanter à tue-tête histoire de rester éveillée – pauvres vaches ! Puis je suis complètement paumée pendant une bonne demie-heure (je pense que quelqu’un de mal intentionné à volontairement changé le balisage pour faire une boucle et perdre les coureurs…). Ismaël, le 7ème, me rattrape et me remet sur le bon chemin et je peux voir à quel endroit ça a merdé. On fera une grande partie de la montée ensemble, mais il finira par me dépasser et me distancer.
Dans la descente, Wouter me rattrape également, il semble voler ! On discute brièvement, mais il est beaucoup plus rapide que moi et me laisse rapidement à mes pensées. Je le retrouve, ainsi qu’Ismaël, au ravito de Turbach. Ils repartent ensemble, et je choisis de prendre mon temps pour bien manger. Je sais que je ne les reverrai pas. Il reste alors 11 km de faux plat descendant jusqu’à la base vie, et il est 4h du mat’.
Je jette un coup d’œil au live tracking pour voir où est Denise. Elle vient juste de partir de Lenk, je dois donc avoir environ 2h d’avance. Je repars donc gaiement, cependant je me rends compte rapidement que je n’arrive pas à garder les yeux ouverts. Je tente une première micro sieste, puis une seconde, mais rien à faire, je suis un vrai zombie. Je passe une bonne heure à faire je ne sais pas trop quoi, toujours est-il que vers 5h15 du mat’ j’ai la mauvaise surprise de me retrouver… au ravito de Turbach ! Je m’excuse auprès de la pauvre bénévole que j’ai dû affoler : voir un zombie marmonner « oups, la boulette, je me suis trompée de sens » à 5h du mat’ doit être assez traumatisant. Cela a au moins l’avantage de me réveiller entièrement et de me faire galoper jusqu’à la base vie. Je passe les 11km suivants à me maudire et essayer de me rappeler à quel moment j’ai bien pu merder et me tromper de sens… En vain.
Crossing Switzerland Section 6 : 50 km, 3000 D+ – Rossinière – Montreux
À la base vie, je regarde le live tracking pour voir à quel point c’est la cata. Wouter et Ismaël sont maintenant à 2h et 1h30 respectivement, et je dois toujours avoir 1h d’avance sur Denise. Bon, c’est pas si grave. Il fait jour maintenant, je devrais moins m’endormir… J’engloutis mon cheese burger frites, vide tous les trucs inutiles de mon sac et repars pour les 50 derniers km… Si proche et à la fois si loin !
La première section est bien chiante, faut courir ! Mais la section d’après est carrément horrible : je passe une heure à enjamber des racines puis à barboter dans la boue…. On redescend un peu pour regrimper ensuite… Heureusement que la vue est belle car les sentiers sont bien pourris. Bref, c’est interminable, et je commence à me demander combien de temps je vais mettre pour finir.
J’entends ensuite un gros bourdonnement : c’est un drone. Les photographes de la course sont en train de bien faire mumuse, et je suppose qu’ils me filment en train de descendre avec la grâce et l’agilité d’un pachyderme vers le dernier ravito… J’y mange un raclette (une course en suisse sans raclette, ça aurait été un scandale!), et rechecke le tracking pour voir si je peux finir en moonwalk… Je peux !
Je finirai donc la dernière montée vers les rochers de Nayes et la dernière descente vers Montreux tranquilou, non sans manquer de me péter la gueule trois fois car c’est une vraie diablerie.
Et voilou, binz bouclé en un peu moins de 94h – tant mieux, car je n’avais pris que trois jours de congés ! Des bonnes sensations tout du long, sauf durant mon moment d’absence de la dernière nuit. Toujours une jambe en mousse, mais qui peut tenir 390km. On a un mois pour corriger tout ça avant l’UTMB Mont-Blanc ! Un grand merci à l’orga pour cette course de ouf parfaitement bien organisée (quoique, les ravitos étaient trop bons, moi qui voulais sécher avant l’UTMB, c’est raté… Scandaleux !)
Comme d’hab, merci les sponsors trop forts: Topo Athletic, Raidlight, Go’Lum, Näak
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