La tête et les jambes, épisode 3 – Sissi Cussot, entre trail et joie de vivre

Sissi Cussot Open Photo Franck Oddoux

En terminant 5e féminine de son deuxième Grand Raid de La Réunion, Sylvaine Cussot a bouclé sur cette île qui l’a accueillie les bras ouverts il y a 3 ans une très belle saison 2022. 24 heures après qu’elle ait franchi la ligne d’arrivée dans la fournaise du stade de la Redoute, Serge Moro l’a retrouvée sur la plage ensoleillée de la Pointe au Sel. La Diag’, la vie sur l’île, le trail, la vie tout court, Sissi Cussot se dévoile, plus attachante que jamais.

ESPRIT TRAIL : En 2021, tu avais couru en tête ton premier Grand Raid de La Réunion pendant la première moitié de course. Mais une chute au bilan douloureux (côte cassée et péroné fissuré) t’avait contrainte à finir péniblement dans la souffrance…

Sissi Cussot : Effectivement, et il m’a fallu encaisser cette course où durant la première partie tout allait au mieux : un départ prudent avec tous les voyants au vert, la sensation d’être au bon rythme tout en prenant la tête de course sur presque 80km… Et puis le reste : cette chute, violente, et le chrono qui devient secondaire car il ne s’agit plus que de finir. Marcher, piétiner, avec une fissure osseuse.

J’étais tombée après la Plaine des Merles, sur une portion de relance très caillouteuse. J’avais déjà une fracture – ça c’était fait – à la main, et je courais avec ! Mais vu que j’avais interdiction formelle de retomber dessus, non guérie, j’ai chuté vers l’avant de tout mon poids sans me retenir avec les mains… Donc tout a pris, hanche, coudes, côte brisée. C’est la seule chose qui me fait peur sur la Diag’ : tomber. Ma spécialité, soit-dit en passant !

Un ultra comme le Grand Raid, c’est une aventure hors norme ?

SC : Oui, tous ceux qui courent ici le savent ! Pour cette édition 2022, je me suis préparée consciencieusement. J’étais au départ avec beaucoup d’envie, surtout avec le plateau qu’il y avait cette année. J’étais d’ailleurs assez lucide sur mes chances : je ne pourrai jamais challenger Courtney Dauwalter ou Anne-Lise Rousset. Je n’ai jamais cherché à me comparer aux autres. En ultra, tu cours avec toi-même et parfois tu sors même du classement.

Sur le Grand Raid, un paramètre est important : les écarts de température. Et il faut gérer sa course… Ne pas partir trop vite car les 30 premiers kilomètres sont euphorisants, mais sans s’endormir car ça peut bouchonner rapidement… Il faut aussi bien gérer la nuit en surveillant ses appuis. Il y a des parties techniques : la descente du Bloc by night, c’est chaud. Une fois que le jour se lève, il faut tout avoir fait en amont pour être capable de savourer, sans s’être brûlé les ailes. C’est la plus belle partie. En haut de Dos d’Âne, il y a encore de la route jusqu’au finish, donc il faut garder de la lucidité.

Photo Instagram Sissi Cussot - DR
Dossard 1584, le sésame pour la Diag’ 2022. Photo Instagram Sissi Cussot – DR

Ton Grand Raid 2022 a connu moins de mésaventures qu’en 2021 ?

SC : Ce Grand Raid est une course tellement à part, si exigeante, mais riche de tant de rencontres, de variations de climat, de différences de terrain, avec du très raide en montée ou en descente… Tout cela fait la difficulté de l’épreuve et lui donne son caractère unique. Et pourtant ça court, c’est loin d’être une longue randonnée active ! L’effet « pas de bâtons » (NDLR : interdit par le règlement) est aussi une difficulté supplémentaire. Si sur l’UTMB, c’est rare d’utiliser les mains, ici elles sont indispensables pour s’accrocher aux arbres !

Je suis partie exactement sur les mêmes temps de passage qu’en 2021. Après Domaine Vidot, au bout de 15km, le parcours ayant changé, je n’avais plus de repères, mais j’avais des sensations identiques. Le début de course est euphorisant. Tu vas vite : j’ai couru mes deux premiers kilomètres en 4mn06s… Puis dès que tu t’éloignes de cette euphorie du départ, tu te mets dans ton monde intérieur. Je n’ai pas eu l’impression d’être en sur-régime. Je savais que devant il y avait des avions, et qu’il m’était impossible de jouer un podium. Dans la nuit, j’ai été hyper concentrée parce que je ne voulais surtout pas tomber. A contrario de beaucoup d’hommes, je n’ai pas eu froid, un signe que je devais être en forme ! J’avais vraiment préparé cette portion nocturne.

Photo Instagram Sissi Cussot Arrivée Diag - DR
Sissi Cussot à l’arrivée de la Diagonale des Fous 2022. Malgré la fatigue, le sourire, toujours. Photo Instagram Sissi Cussot – DR

Tu fais des reconnaissances spécifiques pour le Grand Raid de La Réunion ?

SC : Oui. Par exemple, une semaine avant le départ, j’ai reconnu le sentier entre Domaine Vidot et Nez de Bœuf. Ainsi, je savais exactement où j’en étais, et où je devais faire très attention. Durant la nuit, j’étais dans ma bulle ! Surtout qu’on a eu vraiment très mauvais temps… Quand le jour s’est levé, c’était le soulagement pour tout le monde ! Après, c’est la nouveauté de la descente par Kerveguen vers Cilaos qui est très difficile ! A Cilaos, tu fais le point, c’est un moment intéressant, c’est là où on se change complètement. Les vêtements et les idées ! Puis tu repars, et tu sais que tu vas rentrer dans Mafate…

J’ai mes repères dans Mafate. Cet endroit me ressource beaucoup, c’est calme, beau vertigineux… C’est énormément de plaisir pour moi dans ce cirque. Je l’ai traversé sans difficulté, même s’il pleuvait… Musculairement, tu arrives dans les 100 km et tu commences à taper dans les cailloux, les chevilles tournent plus souvent. À la Plaine des Merles, l’endroit où j’ai chuté en 2021, j’ai été très attentive et finalement très soulagée de passer sans encombre majeur. Bien sûr, j’ai chuté ici ou là, on ne peut pas faire la Diag’ sans tomber ! Rien de grave en tout cas.

Ravito Diag 2022 - Photo Instagram Sissi Cussot - DR
Sur un ravito lors de la Diag’ 2022. Photo Instagram Sissi Cussot – DR

Après avoir couru deux éditions successives de ce Grand Raid de La Réunion, te reverra-t-on au départ en 2023 ?

SC : Sur cette édition 2022, j’ai dû gérer une douleur au tendon d’Achille que je traîne depuis deux ans… Sur certains appuis, je souffre. J’ai une pathologie nommée « contrainte du carrefour postérieur » qu’il me faut soigner ! Cela m’a pollué le cerveau.

Je veux revenir une troisième fois pour exprimer mon potentiel et courir sans gêne, et en espérant avoir une météo favorable. Et puis la Diag’ est dans mon Top 3 des spots de trail que j’affectionne particulièrement, avec le Madère Ultra Trail, et le GR20… J’aime les îles et les montagnes, et ces trois lieux marient harmonieusement la mer et les reliefs escarpés. Pourtant, je ne suis pas une montagnarde, ni une insulaire. Je suis née en ville, mes parents habitent Le Mans, dans la Sarthe… Récemment, j’ai découvert le Maroc, et j’ai envie d’y courir.

Lire aussi notre article Sissi Cussot, l’interview Marathon des Sables à propos de son premier MDS, en avril 2022.

Sylvaine Cussot Photo Cimbaly-ABENKHELIFA MDS 2022
Sylvaine Cussot sur son premier Marathon des Sables, en avril 2022. Elle prendra une superbe 2e place féminine. Photo Cimbaly-ABENKHELIFA MDS 2022

Tu as choisi de partir vivre à la Réunion en 2019 !

SC : Le point de départ de tout, c’est ma séparation d’avec mon conjoint. Un bouleversement total, avec beaucoup de changements dans ma vie. J’avais un besoin vital de m’éloigner de tout cela et de me reconstruire. Partir loin, c’était nécessaire. J’étais un peu perdue… Quand tu vis avec quelqu’un pendant 10 ans dans un endroit et que tu t’en vas, tu coupes les racines qui te font tenir debout.

Un jour, par hasard, après avoir cherché vers Toulouse ou ailleurs, je suis tombée sur le web sur une annonce d’un appartement à la Réunion. Comme un signe. J’ai cliqué dessus, et la décision était prise. Au départ, ce n’était pas pour la Diag’ et le trail : c’était pour m’éloigner. Repartir de zéro, sur une île, très loin… À la base, j’étais partie avec mon sac à dos pour trois mois. Plus de maison, plus de chéri, je suis arrivée ici un tantinet désorientée. Et j’ai immédiatement accroché.

Peux-tu expliquer ce qui te plaît à La Réunion ?

SC : C’est très simple : ce sont les gens… Et en particulier leur art de vivre et leur bienveillance envers les autres ! Ici, si tu as un problème, tu as toujours quelqu’un qui te tend la main. Et puis, il y a ces couleurs, partout sur l’île. J’y puise une énergie folle, mais aussi paradoxalement un grand apaisement ! C’est fou, je suis là depuis deux ans déjà, et je viens d’investir dans un appartement ici. Même si je n’y reste pas toute ma vie, j’aurai un pied à terre à La Réunion. Un début de racine…

Le bémol, ce sont les allers-retours vers la métropole : mon job demeure en métropole et je n’y rentre jamais pour des vacances. Ce balancier entre la métropole et La Réunion n’est bon ni pour la planète, ni pour ma santé ou mes finances. L’idéal serait de faire 6 mois à la Réunion et 6 mois en métropole, et ainsi vivre toujours en période estivale. Les choses se mettront en place d’une façon ou d’une autre, je pense…

Réunion Sissi Cussot Photo Franck Oddoux
Sissi Cussot sur la plage de la Pointe au Sel. Photo Franck Oddoux

Tu es désormais une icône du trail féminin…

SC : Ce n’est pas à moi de le dire. Je constate qu’à ce jour, il y a peu de femmes qui font de l’ultra… Mais leur nombre augmente peu à peu, et le niveau augmente aussi. Ici, sur cette Diag’ 2022, les 5 premières filles sont classées dans le Top 100. Je constate, en parlant et en rencontrant beaucoup de femmes, qu’une majorité n’ose pas passer le cap de l’ultra. C’est d’ailleurs le message que je m’efforce de transmettre : arrêtez de vous mettre des barrières, et lancez- vous ! Venez essayer ! Si vous échouez, ce n’est pas grave !

Il faut de la volonté, de la ténacité pour suivre un entraînement adapté. Et dans ces domaines, les femmes sont au top ! Je leur dis aussi que pour prendre le départ de la Diag’, il faut des années de préparation. J’ai souvent constaté que les femmes sont plus réfléchies. Et sur le terrain, il y a moins d’abandons chez les femmes, qui ne lâchent rien, que chez les hommes !

Peut-on dire que ta marque de fabrique, c’est la joie de vivre et le sourire ?

SC : Pourquoi pas… C’est important pour être heureux que de sourire. Il faut ne pas s’enfermer dans ses soucis, s’isoler et ressasser le visage fermé. Si tu ne prends pas ton destin en mains, il ne se passera rien. La chance n’y est pour rien… C’est toi qui construis ton bonheur. Il faut sourire à la vie pour qu’elle te sourie. Quand tu te lèves le matin, tu sors, tu souris aux gens et ils te sourient en retour… Cela crée la base de ton petit bonheur du jour. J’ai à cœur d’essayer de positiver. Je suis née comme ça, c’est ma personnalité. Et j’essaye de m’entourer de gens qui me tirent vers le haut. C’est primordial de savoir s’entourer des bonnes personnes.

À propos d’entourage, tu es d’une grande fidélité à ton sponsor équipementier…

SC : Un partenariat solide, cela se construit effectivement dans la durée. Plus j’avance avec Asics, mieux c’est. C’est une vraie amitié. Et quand tu es bien avec quelqu’un, pourquoi changer ? Je n’ai aucune raison d’aller voir ailleurs, et je me considère même comme chanceuse que d’être toujours accompagnée par Asics. Ici je ne fais que 5ème, et j’ai conscience qu’il y a des filles plus fortes que moi. Mais peut-être que je porte d’autres valeurs ?

C’est un honneur qu’ils me reconduisent mon contrat chaque année. Je tiens à dire que je n’ai jamais ressenti de contrainte de la part de mes partenaires, tout en sachant que le jour où cela s’arrêtera, ma passion continuera. Je laisserai sereinement ma place à d’autres, et je continuerai à transmettre. Hier, une fille m’a dit : « Quand je n’ai pas envie d’aller courir, je regarde ton compte Instagram et cela me booste pour mettre mes baskets ! » C’est la plus belle chose que l’on puisse me dire !

Sissi Cussot : ses principaux résultats 2022

Source UTMB Index

Cette interview est parue dans le magazine Esprit Trail N°128.

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