Trail : quelles stratégies mentales pour les montées ?
250 ou 300 mètres de D+ sur un kilomètre peuvent mettre à mal le coureur le plus aguerri. Surtout lorsque ces pentes abruptes se profilent en fin de parcours, avec des dizaines de kilomètres dans les jambes. En trail, pour bien passer les montées, se concentrer sur le fait d’être positif, calme et déterminé peut alors vous aider à atteindre le sommet.
Grand Trail des Templiers : la punition du Pouncho D’Agast
À ma montre, je suis au kilomètre 76 du Grand Trail des Templiers 2022, sur un sentier en balcon. Au loin, j’aperçois le viaduc de Millau, et juste devant, la ville qui m’attend. Si mon kilométrage est bon, il ne me reste que 4 ou 5 kilomètres pour rallier l’arrivée, enfin. La journée a été longue, avec d’énormes ampoules formées dès le 20ème kilomètre. Une erreur de débutant : des chaussettes neuves ! Jim Walmsley a fini depuis longtemps, après un joli mano a mano avec Sébastien Spehler. Soudain, au milieu du chemin, un bénévole apparaît. Et malheureusement, ce n’est pas pour plonger dans la vallée qu’il m’incite à quitter le sentier principal, mais pour enquiller une montée affolante. « Plus que 300m à grimper et ça descend », m’encourage-t-il, sympa…
Sauf que ce ne sont pas 300 mètres de sentier, mais 300m de D+. La fin de la montée du Pounch d’Agast, un morceau de bravoure de 481m de D+ sur lequel les amateurs de PR Strava adorent s’affronter. Le coup de massue absolu. J’y mets les mains, je m’arrache, les crampes déboulent de partout, mes cuisses sont en feu. Je m’assieds, je fulmine, je repars, je me traîne sur près de 2 kilomètres pour atteindre le sommet de cette corniche maudite, criant vers le ciel des « Pourquoi tant de haine ? » à l’attention des organisateurs sadiques ayant eu l’idée diabolique d’intégrer une telle punition dans le tracé, à moins de 5 kilomètres de l’arrivée. Le chrono tourne, on me dépasse de partout, je suis au bord du naufrage. Plus jamais ça !

L’acceptation est la première étape
Il n’y a rien de pire que les montées abruptes dans le trail. Ces sentiers de chèvres où non seulement courir est exclu, mais où même monter sans les mains est difficile. Si certains coureurs sont capables de ressentir des frissons semi-masochistes et de se réjouir de cumuler autant d’acide lactique dans une montée raide, la plupart des coureurs sont pris d’une irrépressible envie de vomir à la simple vue d’une ascension en forme de muraille. Mais dans les 2 cas, une chose fait l’unanimité : rien ne vaut la satisfaction intense de parvenir au sommet.
Une autre chose fait l’unanimité : ça fait mal aux jambes. Et pas que. Une montée raide est un type particulier de torture qui met les coureurs à rude épreuve à la fois physiquement et mentalement. Plus vos quadriceps brûlent, plus votre cerveau se bat contre le défi. Et la décision de continuer à avancer dans la douleur, en résistant à l’envie de s’asseoir et de pleurer, demande autant de force que le fait même de pousser sur vos jambes. Pourtant, que vous le vouliez ou non, les organisateurs de trails en montagne continueront à tracer des parcours incluant de telles pentes. L’accepter est la première étape. À partir de là, suivez ces quelques conseils et vous verrez, lors de votre prochaine ascension, que vous parviendrez à grimper beaucoup plus facilement.

Le bonheur est dans la segmentation
Qu’on se le dise, il n’y a aucun moyen de faire oublier à vos jambes le fait que vous êtes au milieu d’une ascension épuisante. Si vous asseoir et attendre que le temps passe en regardant les nuages (et en vous faisant doubler par tout un tas de concurrents) peut vous aider à soulager la pression et à reposer un peu vos jambes, cela ne changera rien au fait qu’il faudra finir la montée. Alors autant trouver des parades pour tromper votre cerveau.
Notre premier conseil sera de ne pas vous lancer dans un trail à l’aveugle. Étudiez attentivement le tracé à l’avance, afin de savoir exactement dans quoi vous vous engagez, qu’il s’agisse de la distance totale au profil précis du parcours selon le kilométrage. À partir de là, ne considérez pas le tout (ça fait trop peur) mais décomposez chaque montée en segment que vous vous sentez capable de gérer. Et, une fois en course, ne pensez qu’à un seul segment à la fois, sans vous focaliser sur les prochaines montées ou le dénivelé restant.
Si vous démarrez un UTMB en vous disant qu’il faut gravir l’Everest en partant du niveau de la mer et qu’une fois en haut du toit du monde, vous aurez encore 1200m de D+ à avaler, vous êtes à peu près sûr d’abandonner au premier coup de mou. Pensez donc d’abord à passer le col de la Voza avant de vous concentrer sur celui du Bonhomme, sans penser au Grand Col Ferret ou à la Tête aux Vents. Chaque chose en son temps !
Focalisation et concentration
La « segmentation » est un bon moyen de garder le moral et de tenir le découragement à distance. En étant concentré sur un objectif unique et proche que vous savez pouvoir atteindre (car vous êtes tout à fait capable de grimper 500 ou 600m D+!), vous mettez des « œillères » à votre cerveau et l’empêchez de vous plomber avec une vision plus large qui pourrait vous décourager. Vous pouvez même focaliser votre attention sur quelque chose de petit et de concret, qui se trouve dans votre champ de vision direct, idéalement juste sous vos pieds.
Par exemple les textures rocheuses, les colonies de fourmis en plein travail, ou même vos propres chaussures, peuvent constituer d’excellents points focaux. Posez-vous des questions sur l’origine des roches en question, imaginez l’ambiance dans la fourmilière, retrouvez dans votre mémoire le jour où vous avez acheté vos chaussures et fait votre première sortie avec. Où était-ce ? Combien de kilomètres ? Vos sensations ? Bref, occupez votre esprit. Le but est ici de bloquer la « vue d’ensemble », celle qui fait peur. Ne vous inquiétez pas du chemin qu’il vous reste à parcourir, contentez-vous de survivre à chaque étape.

Travaillez votre capacité de concentration
Rester concentré des dizaines de minutes consécutives dans une montée bien raide n’est pas une chose facile. De plus, il ne s’agit pas non plus de garder la tête baissée sans profiter du paysage. Il est important de lever les yeux de temps en temps pour admirer la vue et se réjouir le chemin parcouru. Mais faites-le de façon parcimonieuse, et en mode « je regarde une carte postale », sans chercher à distinguer le haut de la montée, où à apercevoir des silhouettes de coureurs qui vous renverront forcément à tout le dénivelé qu’il vous reste à grimper pour arriver là où ils sont. Soyez conscient que chaque fois que vous interromprez votre concentration avec ce genre de considération, c’est comme si vous ouvriez une fissure dans un barrage, fissure par laquelle le découragement va très vite s’infiltrer.
Entraînez-vous à aiguiser vos capacités de concentration en dehors de la course pour que la tentation ne prenne pas le dessus le jour où cela comptera. Prenez pour cela 5 ou 10 minutes par jour pour travailler votre concentration en étudiant un objet avec l’intention d’en capturer toutes ses subtilités. Fermez les yeux ou éloignez-vous de l’objet après cette période d’observation, et essayez de recréer un maximum de détails dans votre esprit. Revenez ensuite à l’objet en question, et notez ce que vous avez manqué. Répétez l’opération à 3 reprises. Plus vous vous rapprochez de la précision absolue, plus vous serez en mesure, un jour de course, de saisir tous les petits détails de votre environnement immédiat. Et moins vous serez tenté par l’envie de considérer la « vue d’ensemble ».

Soyez votre propre booster
La façon dont vous vous parlez est importante. Personne ne peut entendre la petite voix dans votre tête, mais ce n’est pas une excuse pour être un tyran. Ni pour laisser le Diable prendre le dessus et démolir votre moral. Au lieu de cela, intéressez-vous à ce que l’on appelle le « discours intérieur de motivation ». Certains choisissent par exemple différents mantras pour chaque segment de course, qui correspondent plus ou moins au niveau d’effort qu’ils auront à fournir pour passer à l’étape suivante.
Ainsi, lors d’une première montée au début d’un trail, lorsqu’il est important de ne pas s’emballer et d’économiser des forces pour la suite, ils opteront pour des phrases du type « Facile, léger et fluide » ou « Tranquille, zen, tout en gestion » pour rester mesurés. Plus tard dans la course, ils passeront à des mantras plus agressifs du type « Allez ! » ou « Go go go ! » qui les pousseront vers la ligne d’arrivée. Plus l’effort est élevé, plus la phrase est simple.
Un discours intérieur motivant aide non seulement à contrôler la progression de l’effort, mais il vous rappelle également constamment que vous avez quelqu’un de spécial qui vous accompagne : vous-même. Or il n’y a pas de meilleur allié que votre propre cerveau. Et comme il est toujours disponible, peu importe où vous en êtes dans la course ou avec qui vous êtes, le dialogue intérieur est le moyen le plus fiable d’étouffer tout autre bruit qui pourrait menacer votre sérénité et votre détermination.
Gardez votre calme
Bien que cela puisse sembler contre-intuitif, visez la fraîcheur et la sérénité dans la montée plutôt que l’effort et la dépense d’énergie. En gros, il s’agit de minimiser le « niveau d’effort perçu » (RPE). Tout d’abord, en vous persuadant que cette pente n’est aussi dure qu’elle en a l’air, et en entamant la montée tranquillement. Si vous faites déjà beaucoup d’efforts pour vous attaquer aux premiers mètres, le stress ne fera qu’augmenter votre fréquence cardiaque. Donc votre fatigue. Et plomber votre moral. Gardez votre RPE global sous contrôle en équilibrant la sollicitation physique avec l’équilibre mental.
Une des techniques les plus utilisées consiste à se dissocier, ou se déconnecter intentionnellement des sensations présentes. C’est un moyen efficace de se détacher de l’inconfort. Par exemple, comptez vos pas, adaptez votre respiration à votre foulée ou créez un rythme dans votre tête. Des techniques dissociatives comme celles-ci donnent au cerveau quelque chose de simple à cibler. Ils ramènent votre esprit sur terre et à l’essentiel : pied gauche, pied droit, inspirez, expirez, pied gauche, pied droit, inspirez, expirez…
Cela peut paraître simpliste, mais au fond, c’est tout ce dont vous avez vraiment besoin pour gravir n’importe quelle pente. Inutile alors de compliquer les choses. Et rappelez-vous : vous êtes en contrôle ! Ne laissez pas de place au doute. Des questions du genre « Qu’est-ce que je fais là ? » ou « Pourquoi je fais ça ? » n’ont pas leur place ici. Accepter la responsabilité et s’approprier votre décision de courir vous permettra de maintenir le cap. Ce que vous faites est difficile, mais vous l’avez choisi. Rappelez-vous cela dans chaque difficulté.

Connaissez votre « pourquoi »
Une technique utilisée par certains athlètes de haut niveau est la suivante : lorsqu’ils se préparent à courir une épreuve, ils se disent « Qu’est-ce que je veux ressentir à l’arrivée ? Épuisement ou regret ? » La réponse à cette question (qui, à tous les coups, est « épuisement ») leur donne un but. Aucun champion ne croit qu’il fait quoi que ce soit d’héroïque en finissant une course. Ils ne sauvent pas des vies, ils ne changent pas le monde, ils font juste ce qu’ils aiment, ce pour quoi ils s’entraînent. Ils ont identifié leurs capacités et les utilisent du mieux qu’ils peuvent pour performer.
Peu importe votre objectif personnel, il faut juste que vous en ayez un. Produire un effort sans qu’il y ait une intention derrière produit au mieux un résultat sans enthousiasme. Sans une forte source de motivation, vous ne faites qu’avancer sans raison valable. Et rien n’empêche alors votre cerveau ou votre corps de succomber à la souffrance.
L’objectif, en revanche, donne aux coureurs quelque chose pour quoi se battre. Il engendre la détermination. Qu’il s’agisse de l’expression de fierté que vous lirez sur le visage de votre enfant ou votre entourage lorsque vous franchirez la ligne d’arrivée ou le sentiment vital d’avoir gagné une bataille lorsque vous aurez votre médaille de finisher autour du coup après avoir surmonté un cycle de blessures, courir au nom de quelque chose de significatif est la clé pour invoquer l’énergie dont vous aurez besoin pour y parvenir. Le vrai sommet à atteindre n’est pas le col que vous êtes en train de monter, c’est l’objectif que vous vous êtes fixé. Votre « pourquoi ».

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