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Ibuprofène et performances en course : dopage ou pas dopage ?

AINS

C’est « l’affaire » qui a secoué le monde du trail après le Grand Trail des Templiers : 5 des 10 athlètes élite contrôlés à l’arrivée de la course par l’association antidopage Athletes for Transparency étaient positifs à l’ibuprofène (Advil, Motrin), un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) consommé dans les jours précédant la course. Or cet anti-inflammatoire, qui ne fait pas partie des produits interdits par l’Agence mondiale antidopage (AMA) et l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), était cette année interdit par l’organisation des Templiers. Pourquoi cette interdiction ? Pourquoi les sanctions prévues au règlement n’ont pas été appliquées ? L’ibuprofène influence-t-il réellement les performances sportives ? Doit-on le classer en produit dopant ? On a fait le tour de la question.

Interdire l’ibuprofène en auto-médication : une mesure de prévention

C’est la première question qui vient à l’esprit : pourquoi les organisateurs du Grand Trail des Templiers ont décrété cette année une interdiction de l’ibuprofène hors avis médical, et mis en place des tests pour détecter son usage, alors que c’est un produit autorisé par l’Agence mondiale antidopage (AMA) et l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ? La raison est simple : son usage incontrôlé est dangereux, et dans le cadre de leur politique de santé ambitieuse, les Templiers ont souhaiter agir comme des lanceurs d’alerte.

En effet, cette classe de médicaments utilisés pour traiter la douleur, la fièvre et d’autres processus inflammatoires étant distribuée sans ordonnance médicale, de nombreux coureurs les prennent en auto-médication pour gérer les douleurs musculaires ou accélérer la récupération, particulièrement dans les épreuves d’ultra-endurance, sans être conscients qu’une mauvaise utilisation peut avoir des conséquences contre-productives bien plus lourdes que celles du problème d’origine. Dès lors, interdire l’usage de l’ibuprofène, particulièrement sur une épreuve d’ultra-endurance telle que le Grand Trail des Templiers, est une mesure de prévention justifiée.

Les dangers potentiels liés à l’auto-médication d’ibuprofène

Le principal problème lié à l’usage d’AINS dans la pratique sportive est qu’ils empêchent la fabrication des prostaglandines, substances produites naturellement par l’organisme et qui agissent comme médiateurs pour diverses fonctions physiologiques, notamment la protection de la muqueuse de l’estomac et la régulation de la pression artérielle. En bloquant toutes les prostaglandines, les AINS peuvent déclencher de nombreux effets secondaires.

Parmi ceux-ci, les plus courants sont les troubles digestifs affectant la muqueuse gastrique, puisque les AINS augmentent la perméabilité intestinale. Ce sont les plus répandus, d’autant plus importants lorsque les AINS sont consommés régulièrement. On observe à ce titre que les crampes abdominales menant à l’abandon d’une épreuve sont plus fréquentes chez les coureurs qui ont pris des AINS. Autre danger majeur, les troubles rénaux associés à l’exercice, qui sont amplifiés si une activité prolongée type ultra-trail est combinée à un stress thermique sévère et/ou à une déshydratation. A noter également pour certaines AINS les risques d’éventuels accidents cardiaques causés par le dépassement des propres limites physiologiques, limites camouflées par ces analgésiques.

Attention à ne pas masquer les signaux de douleur

Il est important de souligner que la douleur est un signal d’alarme pour notre corps, qui donne des indications sur nos capacités physiques. En cas d’apparition d’une douleur, la masquer ne permet donc pas de ressentir et comprendre les signaux envoyés par le corps pour gérer son effort et prévenir des blessures, comme une lésion musculaire ou articulaire. Si l’effort est poursuivi, le risque pour le sportif qui ne s’arrête pas est une blessure plus invalidante, ou pire encore. De plus, contrairement à la croyance populaire, l’inflammation est un processus utile, une réponse de l’organisme à un problème qu’il a identifié, par exemple pour reconstruire des fibres musculaires endommagées. Tenter de l’inhiber avec des médicaments anti-inflammatoires est contre-productif, car si les AINS peuvent la réduire et aider à la récupération à court terme, ils peuvent également nuire à l’adaptation à long terme. L’adage « No pain, no gain » prend alors tout son sens.

Mieux vaut apprendre à courir avec une petite douleur que la masquer avec des AINS !

L’an dernier, le médecin lyonnais Patrick Basset, directeur médical du Marathon du Mont-Blanc et de l’UTMB, spécialisé dans l’encadrement et les pathologies des sports d’endurance, tirait la sonnette d’alarme sur l’automédication par anti-inflammatoires, qu’il qualifiait même de « catastrophe ». Il s’en expliquait ainsi : « L’automédication est notre principal souci. En fait, c’est le pot de terre contre le pot de fer. Les anti-inflammatoires sont des médicaments qui marchent très bien pour les douleurs des chevilles, les douleurs du tendon, toutes les petites douleurs des coureurs. Le problème, c’est qu’ils sont en vente libre. On les consomme comme des cachous, si je puis dire. C’est une catastrophe parce qu’on se rend compte que tous les patients qui terminent en réanimation ont pris des anti-inflammatoires. En fait, pour réussir à faire sa course sans symptômes, il vaut mieux apprendre à courir avec une petite douleur, accepter cette douleur plutôt que de prendre des anti-inflammatoires. » Du côté de la Clinique du Coureur, même son de cloche : « La prise d’AINS lors d’épreuves d’endurance et d’ultra-endurance devrait être proscrite et une sensibilisation devrait être prodiguée à cet effet par les promoteurs d’événements. »

Grand Trail des Templiers 2024 : pourquoi les sanctions n’ont pas été appliquées

L’article 6 du règlement des Templiers prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à 1 heure de pénalité, voire une disqualification, à l’encontre des coureurs contrôlés positifs qui n’auraient pas préalablement informé l’organisation de sa prise de médicaments, en la justifiant par un avis médical. Pourtant, aucune sanction n’a été appliquée aux 5 athlètes élite contrôlés positifs. L’indulgence invoquée par l’organisation (« c’est une première mise en place de la politique de santé sur cette édition, et l’objectif est avant tout éducatif ») peut paraître excessive, et décrédibiliser la volonté réelle de politique de santé et de prévoyance, mais vu le nombre d’athlètes concernés, les conséquences d’image auraient été désastreuses.

Certains regretteront cette frilosité finale, d’autres apprécieront l’avertissement sans frais de cette année, en se disant que sur l’édition 2025, la clémence ne serait plus de mise. Il faut par ailleurs souligner que si des sanctions avaient été appliquées, l’ibuprofène n’étant pas sur la liste des produits interdits, elles n’auraient eu de conséquences qu’au niveau de cette compétition, sans aucune autre répercussion au-delà du cadre de l’événement.

Il reste cependant regrettable que de tels contrôles non sanctionnés aient créé un climat de suspicion parmi les athlètes élite, d’autant qu’aucun nom de contrôlé positif n’a pu être divulgué (secret médical oblige). Thomas Cardin, le vainqueur du Grand Trail, a même dû se fendre d’une communication pour préciser qu’il ne faisait pas partie des athlètes contrôlés par Athletes for Transparency, lui-même ayant été contrôlé par l’Agence française de lutte contre le dopage.

Templiers 2024. Photo Guillaume Salem

Ibuprofène et amélioration des performances sportives : que dit la science ?

L’information « 50% des athlètes élite du Grand Trail des Templiers ont été contrôlés positifs à l’ibuprofène » s’est évidemment transformée en « 50% des athlètes élite du Grand Trail des Templiers étaient dopés ». Mais l’ibuprofène, classé non dopant par l’Agence mondiale antidopage (AMA) et l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), devrait-il être considéré comme un produit dopant ? Si son effet sur la tolérance à la douleur pendant l’exercice est controversé, ses effets sur les performances d’endurance ont été peu étudiés. Néanmoins, nous avons pu nous appuyer sur 2 études scientifiques récentes pour avoir un début de réponse.

Etude N°1 : Effets de l’ibuprofène lors d’un trail de 42 km sur le stress oxydatif, la fatigue musculaire, les lésions musculaires et les performances

Cette étude randomisée publiée en septembre 2024 part d’un constat : jusqu’à 75 % des marathoniens ingèrent des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pendant la compétition. Or l’effet des AINS dans les sports d’endurance n’est pas clair. Afin de lever les doutes quant à leur contribution à la performance, les chercheurs ont évalué l’effet de l’utilisation de l’ibuprofène (IBU) sur le stress oxydatif, les lésions musculaires, la performance physique et le saut vertical des coureurs participant à une course en trail de 42 km.

L’échantillon était composé de 12 hommes répartis au hasard en 2 groupes : un groupe placebo (placebo) et un groupe ibuprofène (IBG). Une capsule d’IBU de 400 mg a été administrée au groupe IBG 15 minutes avant le début de l’épreuve et une autre 5 heures après, tandis qu’une capsule placebo a été adminsitrée au groupe placebo dans les mêmes conditions. Dans l’analyse intergroupe qui a suivi, il a été démontré que l’IBU avait des effets positifs sur le stress oxydatif et la fatigue musculaire, mais n’avait aucun effet sur les performances physiques et les dommages musculaires.

Etude N°2 : Utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et endurance pendant la course chez les coureurs de fond masculins

L’objectif de cette étude clinique contrôlée randomisée de mars 2024 effectuée en laboratoire était d’étudier l’effet de l’administration prophylactique de l’ibuprofène sur le temps écoulé jusqu’à l’auto-évaluation de la fatigue chez les coureurs présentant des lésions musculaires induites par l’exercice. Elle s’est établie sur 20 coureurs de fond masculins en bonne santé, répartis en 2 groupes (groupe ibuprofène = 10, groupe placebo = 10) pour réaliser des essais de vitesse limite (qui correspondait à leurs deuxièmes seuils ventilatoires préalablement déterminés) 48 heures avant et 48 heures après l’induction d’un muscle d’un membre inférieur. Une heure avant le deuxième essai final, le groupe ibuprofène a reçu 1,2 g d’ibuprofène et le groupe placebo a reçu du lactose par voie orale.

Les principaux critères de jugement enregistrés au cours de chaque test ont été le temps écoulé jusqu’à la fatigue auto-déclarée, la fréquence cardiaque, le quotient respiratoire, la consommation d’oxygène et l’effort perçu. Au niveau des résultats, les deux groupes ont signalé une augmentation des douleurs musculaires dans les extenseurs et les fléchisseurs du genou 48 heures après le protocole de lésions musculaires. Les chercheurs ont de leur côté observé une réduction des performances d’endurance des deux groupes, mais aucune différence entre les groupes. Leurs conclusions sont que l’ibuprofène n’a pas réduit l’effet des lésions musculaires et de la douleur sur la performance.

A ce stade, force est de conclure que l’ibuprofène ne peut pas être considéré comme un produit dopant. Cependant, dans le cadre de politiques de prévention et de santé du sportif, et afin de limiter les risques d’accidents, il est souhaitable que les organisateurs d’événements, dans un but éducatif et de prise de conscience, suivent l’exemple du Festival des Templiers.

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