Record du GR20 en autonomie totale : Sébastien Raichon raconte [INTERVIEW]
44 heures, 43 minutes et 38 secondes : c’est le chrono réalisé par Sébastien Raichon fin octobre 2024 sur les 179 km et 11000m D+ du redoutable sentier corse du GR20, en mode « autonomie totale », donc en solo et sans assistance extérieure. Après sa 2ème place sur la colossale SwissPeaks 660, le double vainqueur du Tor des Glaciers a ainsi établi un tout premier temps de référence, ou FKT en autonomie totale, et ce malgré des conditions météorologiques dantesques. Rencontre avec cet ultra-traileur indestructible qui est allé quelques semaines plus tard décrocher avec son équipe 400 Team le titre de champion du monde de Raids Aventure en Équateur, le premier titre pour une équipe française.
Sébastien, on te connaît comme spécialiste de l’ultra-distance, moins comme performeur en solo sur FKT. Depuis quand pratiques-tu ?
Sébastien Raichon : Je me suis lancé en 2020, au moment du Covid. J’ai fait la Grande Traversée des Alpes par le GR5 en auto-assistance, sans véritable préparation, un peu à l’arrache, en 163 heures je crois. J’ai échoué de peu sur le record avec assistance, et du coup j’y suis retourné l’année d’après un peu mieux préparé, et c’est là que j’ai fait 150 heures et quelque, toujours en auto-assistance (150h 27mn très précisément, NDLR). La principale différence entre assistance et auto-assistance, c’est qu’en assistance, tu peux avoir des pacers. Tu ne portes rien et ils ouvrent le chemin. Alors qu’en auto-assistance, tu peux te nourrir et dormir où tu trouves de quoi te nourrir et dormir, tu peux récupérer un colis que tu t’es posté, mais tu te débrouilles tout seul.
Sur le GR20, tu étais carrément en autonomie totale !
Sébastien Raichon : Oui, l’autonomie complète, c’est le troisième critère de FKT. Tu pars avec tout, nourriture, matériel, et tu ne peux rien demander à personne ni bénéficier d’aucune assistance. Tu peux juste prendre de l’eau là où tu en trouves, dans les rivières, les fontaines… Pour le GR20, quand je l’ai fait, tout était fermé, donc je n’avais pas vraiment le choix. Mais comme c’était une distance assez « courte » pour moi, je trouvais sympa de le faire comme un randonneur moyen qui part avec son gros sac à dos, mais en mode express avec un petit sac. Alors qu’un GR5, quand tu pars pour 600 bornes, tu es obligé d’avoir un sac hyper lourd si tu veux le faire en autonomie totale. Et moi, j’aime bien avoir un sac léger pour pouvoir courir.
Durant l’été, Mathieu Blanchard avait aussi fait le GR20 en autonomie totale. Il avait mis 4 jours en prenant son temps, avec une petite tente et tout et tout…
Sébastien Raichon : Le GR20, les stars du trail s’y attaquent généralement avec assistance et sont très suivis, mais il y a plein de gens qui font le sentier en 3 jours, 4 jours, 5 jours… Aucun record n’avait jamais été posé et déclaré sur la version « autonomie totale ». De ce que j’ai lu, Mathieu l’a fait dans un esprit d’aventure, d’entraînement et de découverte, pas à la recherche d’un FKT. Et il était bien plus chargé que moi !

Justement, il y avait quoi dans ton sac ?
Sébastien Raichon : Il y avait tout le matériel de sécurité, c’est-à-dire couverture de survie, petite pharmacie, mon téléphone, une veste et un pantalon étanches, de la nourriture et deux flasques. Et puis aussi une batterie externe pour recharger mon téléphone, ainsi qu’une frontale Stoots avec pas mal de batteries parce que les nuits étaient super longues. J’avais pris six batteries je crois. Quant à l’eau, il a tellement plu juste avant que je n’en ai pas manqué. J’ai fonctionné avec une seule flasque de 500ml en la remplissant tout le temps.
Pourquoi avoir choisi cette date fin octobre, qui n’est pas la plus favorable pour ce genre de record ?
Sébastien Raichon : C’est par rapport à mon calendrier. J’avais prévu de le faire à la meilleure période, c’est-à-dire début juin, mais c’était blindé de neige et il y avait des passages dangereux, dont un véritable mur de neige de 3 mètres de haut au col de Bocca Alle Porte, le point culminant du GR20. Donc j’ai reporté. Après, j’avais un programme de compétition qui me permettait pas de le faire durant l’été.
Je pensais même ne pas le faire du tout, mais il se trouve que j’ai bien récupéré après la SwissPeaks que j’ai faite début septembre, et du coup j’ai un peu surfé et enchaîné dessus en me disant qu’à la Toussaint, ça pouvait être joli. Et effectivement, les couleurs d’automne étaient magnifiques. Par contre, pour le temps, c’était pas ça. Les Corses ont du mal à prévoir la météo dans la montagne, parce que je devais avoir 48 heures sans pluie et en fait j’ai pris la pluie et le brouillard toute la nuit, dans des conditions assez dantesques.
Tu mets 85 heures pour faire les 400 km de la partie chronométrée de la SwissPeaks, après en avoir fait 300 en guise d’échauffement et avoir avalé au total 49000m D+, et il t’a fallu près de 45 heures pour ne faire « que » 179 km et 11000m D+ en Corse. Tu as fait du tourisme ou quoi ?
Sébastien Raichon : (Rires.) Ça peut paraître un peu fou, mais la SwissPeaks, elle n’est pas technique du tout, alors que le GR20… Et pourtant, c’est un sentier que je connais depuis longtemps, et sur lequel je suis allé 2 fois cette année en reco ! Je connaissais 75 % du parcours, mais c’est vraiment ultra-technique. Pour avoir une moyenne horaire à 4 km/h, il faut envoyer ! Et en plus, je suis plutôt un bon technicien, donc dans les descentes, j’arrive à enchaîner. Même si là, sur le sentier humide, c’était pas facile et plein de pièges, j’ai glissé 200 fois, j’ai évité 400 salamandres et j’ai perdu énormément de temps. Bref, il faut que j’y retourne, parce qu’il y a moyen de faire beaucoup mieux !
Surtout qu’à la fin, tu t’es un peu perdu. Raconte !
Sébastien Raichon : C’était dans le brouillard et j’ai fait carrément un demi-tour ! J’étais un peu azimuté parce que ça faisait plus de 40 heures que je n’avais pas dormi et je suis arrivé à une fourche ou deux sentiers vont au au même endroit. J’ai pris à gauche, et quand je suis arrivé à la jonction des deux sentiers, j’ai pris à droite, ce qui fait que je suis revenu revenu à mon point de départ. Au final, je me suis rajouté 5 bornes à l’aller, 5 bornes au retour, donc 10 km en plus en tout. L’anecdote est assez rigolote, mais ça m’a quand même coûté 2 heures ! (Au final, Sébastien Raichon a parcouru à sa montre 189,56 km et 12912m D+, au lieu de 179 km et 11000m D+, NDLR.)

Ça va donner des idées à d’autres qui vont vouloir venir taquiner ton chrono !
Sébastien Raichon : Moi le premier, puisque je sens que je peux claquer les 40 heures dans ce mode d’autonomie complète. J’espère trouver un espace-temps fin mai début juin 2025 pour y retourner, parce que j’aime bien aller au bout des choses. C’est un peu comme si j’avais fait une reco générale ce coup-ci !
Quelle est la plus grosse difficulté de l’autonomie totale sur ce GR20 ?
Sébastien Raichon : Le problème du GR20, c’est que ce n’est pas toujours un sentier. Il y a parfois des parties faciles, et il y a tout un tas de sections où tu es dans les blocs et où il faut trouver le marquage. De nuit, tu perds énormément de temps à chercher ton chemin. Par rapport à un pacer qui va passer devant le coureur et lui indiquer le chemin, ça n’a rien à voir. Et même là, si je le refais, je vais encore perdre du temps, parce que je suis loin de connaître par cœur le parcours, notamment les parties techniques. Mais c’est aussi cette difficulté qui est intéressante.
Pour un athlète de ton niveau, que représente en terme d’adrénaline le fait de te lancer sur un FKT par rapport à une course traditionnelle avec des adversaires directs ?
Sébastien Raichon : C’est vachement plus zen comme effort. Tu pars un peu quand tu veux, tu choisis ton moment, tu es vraiment solo, avec les éléments, la nature… Tu prends le temps de contempler, surtout là, vu qu’il n’y avait pas de record existant, et que c’est moi qui le posais. Je n’étais donc pas à la minute près, je m’en foutais un peu, j’ai fait des photos, des films… En fait, les FKT, ça reste un petit monde de gens passionnés qui s’amusent à faire des records sur des superbes circuits. Ça repose aussi beaucoup sur la confiance, parce que n’importe qui peut tricher, peut annoncer un truc et ne pas le faire… Alors qu’une compétition avec dossard et tout, il y a beaucoup plus d’adrénaline, tu as l’envie de te confronter aux autres. Sur un FKT, tu te confrontes à toi-même et un circuit, c’est tout.
Revenons à la contemplation… Quelles sont les sections qui t’ont le plus marqué sur ce GR20 ?
Sébastien Raichon : Le Cirque de la Solitude ! (Passage phare du GR20, le plus difficile de tous, le Cirque de la Solitude est un vaste vallon escarpé très rocailleux qui serpente entre le sommet des montagnes, que beaucoup de candidats au GR20 préfèrent éviter, NDLR.) En plus, je l’avais reconnu la veille, c’est un endroit assez extraordinaire, bien engagé. En fait, j’ai beaucoup aimé toutes les variantes alpines du GR2. J’ai adoré également le passage après la passerelle suspendue de Spasimata, au tout début, pour monter vers Asco. Il y a des dalles de toutes les couleurs qui sont vraiment sublimes, au bord d’une rivière…
En dehors d’un éventuel GR20 bis, à quoi va ressembler ta saison 2025 ?
Sébastien Raichon : J’ai pas mal de projets. J’attends de savoir s’ils vont m’accepter à la Barclay, que j’aimerais finir car il m’avait manqué entre 1h et 1h30 la première fois. (En mars 2024, Sébastien Raichon est entré dans le cercle très fermé des coureurs ayant entamé le 5ème tour sans pouvoir le terminer à temps, NDLR.) Il y a aussi la Chartreuse Terminorum, que j’aimerais refaire. (En juin 2023, Sébastien Raichon est devenu le premier finisher de la Chartreuse Terminorum, surnommée « La Barkley française », NDLR.) Et puis je voudrais aussi retourner au Tor des Glaciers, parce que je sens que j’ai la forme de ma vie. J’ai franchi un cap cette année et je sens que je peux aller plus vite.
Après, je voudrais essayer de faire un raid-aventure, et également découvrir des nouvelles courses en fin d’année, comme le 360 The Challenge Gran Canaria (Le tour de l’île de Gran Canaria sur 260 km et 13000m D+ en semi-autonomie et sans balisage, NDLR.) et la Spin Race (Surnommée « Вrіtаіn’s mоst brutаl rаcе », la Spin Race propose un parcours de 430 km et 10800m D+ le long du sentier national le plus emblématique et exigeant de Grande-Bretagne, le Pennine Way, NDLR.) Bon, elle, c’est en janvier, donc peut-être pour 2026… Je suis un peu boulimique en ce moment parce que je sens que ce sont des belles années et qu’il ne m’en reste plus beaucoup… (Rires.)

Quelques-unes encore quand même ! Tu n’auras « que » 53 ans en juin ! Tu ne joues peut-être plus sur la vitesse, mais ton expérience te permet quand même de faire des performances incroyables. Quel est ton secret d’entraînement ?
Sébastien Raichon : J’adapte mon entraînement le dernier mois en fonction de mon objectif mais toute l’année, avec le raid d’aventure, je fais vachement d’entraînement croisé, VTT et kayak. C’est ce qui me permet de bien enchaîner, de pas trop me fatiguer les articulations et d’éviter de me blesser. Actuellement, c’est vraiment une belle période, j’ai enchaîné trois gros trucs en trois mois et je sens que j’assimile bien… Je pense que c’est un vrai plus que de multiplier les supports d’entraînement, ça me permet de tenir dans le temps.
Justement, parlons de raid aventure. Tu pratiques depuis longtemps ?
Sébastien Raichon : Je pratique le raid-aventure depuis 2001, et suis sur les épreuves hyper longues depuis 2009. Toute mon expérience, je l’ai acquise là-dessus. C’est pour ça que tout ce qui est ultra-trail hyper long, je trouve ça facile par rapport au raid-aventure. On vit des choses tellement fortes et intenses sur des terrains tellement compliqués, hors sentiers, sur des durées hyper longues, où on doit faire preuve de résilience tout le temps, que quand je me retrouve sur des sentiers balisés, il n’y a pas de difficultés. Ce n’est pas être prétentieux, c’est mon histoire qui fait ça !
Avec les 3 autres membres de l’équipe « 400 Team », Sandrine Béranger, Adrien Lhermet et Benjamin Fayet, tu as décroché en Équateur le titre de Champion du monde de Raids Aventure, devançant d’un souffle les professionnels des forces spéciales de l’armée suédoise, doubles champions du monde en titre. 90h47 de course, 2h20 de sommeil, votre exploit est d’autant plus énorme que c’est la première fois que la France gagne le titre. Et le scénario a été dingue. Raconte !
Sébastien Raichon : Oui, on a vraiment vécu un scénario dingue ! On était en tête lorsque dans la section kayak, on s’est renversés de nuit et on a perdu un sac. On a perdu du temps à le chercher, on a écopé d’une pénalité d’une heure, mais on a réussi ensuite sur une section trek, qu’on avait renommée entre nous trail, a revenir et à battre les Suédois champions en titre à la pédale sur une section vélo, alors que c’est leur point fort. Sur la dernière section vélo, j’ai passé mon temps à pleurer parce que je sentais qu’on était en train de le faire, et ça faisait 15 ans qu’on courait après.
C’est inimaginable ce que le sport peut apporter comme émotions, tu sais que tu as tous tes amis, tes proches, tes supporters derrière et tu te dis que ça y est, tu vas le faire. C’est magique. Nous, on a pas les Jeux olympiques dans notre sport, on a le championnat du monde, c’est le Graal. Ces 15 dernières années, les Néo-Zélandais qui ont dû gagner 10 fois, les Suédois 2 fois, et nous, notre meilleur classement, c’était 3èmes en 2018. Et là, enfin, on a ramené la coupe à la maison !

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