Beñat Marmissolle : Hardrock 100, UTMB et Diag’, le pari fou

BENAT MARMISSOLLE UTMB Photo Vincent Lyky

Beñat Marmissolle est un homme entier, un homme de cœur, de principe, attaché à des valeurs simples mais primordiales : sa famille, sa montagne, son Pays Basque. Lancé dans le grand bain de l’ultra en 2021 seulement, le grand public l’a découvert à l’occasion de la Diagonale des Fous 2021 où il prendra une troisième place inattendue. Une grande première réussie qui annonçait beaucoup d’autres succès. Son année 2022 a tout simplement été époustouflante : 6ème de l’UTMB, vainqueur de la 6000D et de l’Ultra-Trail di Corsica, sa saison sera surtout marquée par sa victoire haut la main sur la Diag’, un an tout juste après son premier 100 miles. Le 14 juillet, il mettra la première pierre à l’édifice de son monstrueux triptyque : Hardrock 100, UTMB et Diagonale des Fous. Un enchaînement jamais réalisé. Simon Chrétien l’a rencontré.

Hardrock 100, UTMB et Diagonale des Fous : personne n’a jamais réalisé un tel triptyque. Comment l’abordes-tu ?

Beñat Marmissolle : J’aborde ces trois géants avec beaucoup d’humilité et de modestie. C’est quelque chose d’extrêmement difficile, que personne n’a encore fait. Mais c’est aussi une aventure humaine que je vais vivre avec mes proches. J’y vais sans avoir quoique ce soit à prouver. C’est un vrai challenge perso. Mes proches sont un peu inquiets de cet enchaînement mais moi je le vis comme une chance. On n’a qu’une vie ! J’y vais le couteau entre les dents et très excité à l’idée d’entrer dans l’arène. Je le fais pour moi, avec le plaisir avant tout.

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Ton nom et ton visage sont désormais bien connus du grand public car tu as fait une entrée remarquée dans le monde de l’ultra-trail en 2021. Mais depuis quand tu cours ?

BM : C’est venu très tard pour moi. Je ne m’y suis mis qu’en 2008, j’avais 28 ans. Jusqu’alors je pratiquais plutôt des sports collectifs avec les copains, football et handball notamment. Et puis forcément, habitant au pied des montagnes, en communion avec la nature, je me suis mis à faire des randonnées qui comportaient des ascensions de sommets un peu techniques. La transition s’est donc faite assez naturellement. Tu commences à marcher en montagne, puis tu y mets un peu plus de dynamisme et tu finis par courir sur des sentiers aériens, des chemins retirés.

Philippe, mon grand frère, qui a toujours été un exemple pour moi, court depuis ses 17 ans pour entretenir sa forme. Ça m’avait mis l’eau à la bouche ! Et puis le 1er janvier 2008, ça m’a pris d’un coup, je venais d’acheter ma première paire de baskets et c’est là que je m’y suis mis vraiment. Un peu comme beaucoup, j’avais besoin d’une date symbolique pour me lancer. J’ai été attiré par la course en montagne, et une fois que j’ai croqué dedans, je ne pouvais plus m’arrêter !

BENAT MARMISSOLLE UTMB arrivée Photo Vincent Lyky
À l’arrivée de l’UTMB 2022, où il finit 6e. Photo Vincent Lyky

Jusqu’à épingler un premier dossard peu de temps après…

BM : Oui, au départ je n’y pensais pas du tout et puis un copain m’a entraîné là-dedans. Je me souviens très bien de ma première course, c’était la Lo Petit Aussales, près de chez moi, en mai 2008. Il s’agissait d’une course de 20,8km. J’avais terminé l’épreuve et je m’étais plutôt bien classé mais j’avais tellement souffert que je m’étais dit : plus jamais ça ! Sur le moment ça a été dur, car je me suis retrouvé en face de mecs qui étaient prêts, eux, et qui avaient de l’expérience, alors que ce n’était pas mon cas. Ça m’a refroidi un peu. Et puis les connaissances, les amis t’incitent à poursuivre, donc j’ai continué.

Tu es alors devenu un spécialiste du skyrunning, ces courses de montagne techniques sur des formats courts.

BM : Oui, il faut dire que, comme beaucoup, j’ai pratiqué en fonction de ce qui se faisait près de chez moi. Le trail à l’époque n’avait pas encore explosé et ne faisait pas encore rêver comme c’est le cas aujourd’hui. Les courses phares par chez moi, c’était des épreuves courtes de 12/13km, avec une ou deux montées et une grande descente.

C’est seulement en 2021 que tu découvres l’ultra-trail ? Que s’est-il passé ?

BM : La transition a été très simple pour moi. En 2020, avec le Covid, il n’y avait plus de courses. J’ai donc décidé d’arrêter de courir. Je voulais passer à autre chose. Tout stopper pour me lancer dans des projets plus personnels. Pendant six mois je n’ai pas couru, j’avais tout mis entre parenthèses. Mais au bout d’un moment, quand ça fait dix ans que tu cours, la pratique te manque. À côté de ça, je sortais d’une saison 2019 qui pour moi, avait été exceptionnelle. Je venais de me classer 6ème sur le classement général de la coupe du monde de skyrunning en remportant une manche en Bulgarie. Pour moi c’était le Graal. J’avais donc fait le tour sur le format.

Il me restait à explorer l’ultra-trail. Mes coachs m’avaient toujours conseillé d’y passer en me disant que j’étais fait pour le long. Mais je n’avais jamais voulu écouter car j’étais fan de ces courses très engagées, très aériennes où l’on se dit que ce n’est pas possible d’envoyer des bonhommes dans des endroits pareils. C’était dangereux mais qu’est-ce que c’était bon ! Mais c’est vrai que c’était court, et malgré l’intensité de l’effort, je sentais que j’en avais encore sous la semelle.

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Beñat Marmissolle au départ du Black Mountain Trail, début 2022. Facebook Beñat Marmissolle / DR

Tu t’engages donc sur tes premiers ultras en juillet 2021, sans aucune expérience sur du format long.

BM : En effet, je n’avais jamais couru plus de 68 km jusqu’alors. J’accroche un dossard sur le Gran Trail Aneto-Posets, un 110km en Espagne, dans un cadre exceptionnel où je passe mes premières nuits dehors, au clair de lune. J’étais étonné de voir les mecs partir aussi fort dès le début, je me disais que ce n’était pas possible, que ça allait péter. Mais non. Et puis je remporte la course en faisant un très gros chrono.

Là, tous les voyants se sont allumés chez mon coach. Il m’a dit : c’est terminé pour toi le skyrunning ! Derrière, j’enchaîne sur la Canfranc-Canfranc, moins de deux mois après cette première expérience. C’est sans doute la course la plus dure dans les Pyrénées (100km et 8800m D+). Je suis parti la boule au ventre et une nouvelle fois, tout se passe bien et je la remporte.

Et on te voit finalement en fin d’année sur le Grand Raid de la Réunion ! Pourquoi être allé là-bas ?

BM : Ce n’était pas prévu au départ. Je devais faire une course calée un peu plus tôt en octobre. Et d’un coup ça m’a pris. Je ne sais pas comment expliquer, j’ai eu envie d’y aller. C’est la course qui fait rêver tous les traileurs ! Mon coach ne voulait pas trop, il pensait que le format était trop long, surtout que je venais d’enchaîner. Mais c’était décidé, et j’ai réussi à obtenir un dossard.

2022 est une année exceptionnelle, avec notamment une 6ème place sur l’UTMB et la victoire sur la Diag ! Une consécration pour toi ?

BM : Non, je ne le vois pas comme ça. 2022, pour moi, c’est la continuité. J’en suis très content et j’ai vécu des émotions exceptionnelles. Gagner une Diagonale des Fous, surtout l’année des 30 ans de la course, avec un tel plateau, et faire partie des meilleurs à l’UTMB, c’est émotionnellement très fort.

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Beñat Marmissolle lors de sa victoire sur la Diagonale des Fous 2022. Photo Organisation / DR

Il y a eu ces images très fortes avec Jean-Philippe Tschumi sur la Diag, où on te voit t’arrêter pour l’aider à poursuivre sa course malgré son épuisement. Peux-tu nous raconter ?

BM : Tout le monde est conscient que si j’avais voulu faire péter la barrière des 23 heures, je l’avais dans les jambes. Mais quel est l’intérêt ? J’ai partagé des heures et des kilomètres avec Jean-Philippe. Il s’est passé quelque chose sur les sentiers, un respect mutuel est né. On sait ce que l’on s’est dit. Et on se devait une chose, surtout de mon côté, c’était que l’on aille au bout et qu’on termine au moins aux deux premières places. Ça aurait un hold-up qu’on se fasse rattraper.

Et quand lui s’est retrouvé très mal, j’ai tout fait, et seul lui le sait, pour lui permettre de finir à la deuxième place. Si je n’avais pas été là, il n’aurait peut-être pas vu l’arrivée. Qui sait ! Il le méritait. C’est ça la plus belle victoire, pas de passer sous les 23 heures. Après, on a gardé notre âme de compétiteur et je tenais à ce que le meilleur d’entre nous l’emporte. Finir main dans la main, je ne suis pas contre, seulement si les deux n’arrivent pas à se départager au bout du bout. Mais pas si l’un est au-dessus de l’autre.

Ça a changé beaucoup de choses pour toi cette année 2022 et ce sacre à la Réunion ?

BM : Bien sûr, j’ai changé de dimensions dans les yeux des gens. Médiatiquement, je suis très sollicité. Mais de mon côté, je reste le même.

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Tu restes toujours cet agriculteur basque, attaché à son territoire et à sa famille 

BM : Je suis né et j’ai grandi dans la province de la Haute Soule. Toute ma vie est ici, j’y ai mes repères et mon équilibre. J’ai mon fils, Nathan, qui a 14 ans, et qui est central dans ma vie. Je peux partir à droite à gauche pour des courses mais j’ai besoin de revenir ici, je n’aurais pas pu quitter cet endroit. Je suis très proche de ma famille, de notre jolie ferme placée au milieu des bois, au pied des montagnes. J’aime la compétition, les belles courses, mais on s’aperçoit très vite qu’il y a d’autres priorités dans la vie. J’ai eu la chance d’être guidé par mes parents, je leur dois tout et je me dois d’être à leur chevet et d’être présent auprès de ma famille dans les bons moments comme dans les moins bons.

Et tu demeures très attaché à la nature qui t’entoure…

BM : Bien sûr, mes parents étant agriculteurs, tout petit, on emmenait les animaux l’été dans la montagne. J’ai baigné dans cet univers, j’ai été imprégné de ces odeurs, de ces sons. La nature m’a toujours fait rêver, je regarde ça d’en bas, je suis tout intimidé par ces gros blocs de cailloux, ces roches. Je les regarde avec admiration. La nature, c’est elle la patronne. Encore aujourd’hui je m’entraîne seul et j’ai besoin de ça.

C’est impensable pour moi de courir avec des écouteurs dans les oreilles. J’ai besoin d’entendre le bruit des ruisseaux, du vent, des oiseaux, de mon cœur qui bat dans ma poitrine, de ces cailloux qui cognent mes chaussures. Et demain, si j’arrête de courir, je serai toujours en fusion avec la nature. Courir, n’est qu’un passage dans ma vie. Si on m’avait dit à 14 ans que je ferais tout ce que j’ai fait aujourd’hui, j’aurais dit n’importe quoi ou rien à faire !

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Un regard vers le ciel, pour rejoindre ceux à qui il pense. Photo Organisation / DR

Justement, ne regrettes-tu pas de ne pas t’être mis plus tôt à la course à pied ?

BM : Aujourd’hui quand je vois ce que je fais, ce dont je suis capable, bon effectivement, je vois que des choses ont été gâchées. Il y avait un potentiel physique et psychologique qui ne sera pas jamais exploré au max. Moi je m’en fous, mais ce sont mes coachs qui me disent que j’ai des capacités incroyables. Cela veut dire que j’avais de la graine de ces immenses champions.

Après, cela ne fait jamais avancer de vivre avec des regrets. On a chacun son destin, la vie est comme ça. Je suis toujours resté proche des mes racines, ma vie était prédestinée à être comme ça. Et puis quand je vois tous les sacrifices que ce sport implique, je ne suis pas sûr que tous ces jeunes qui arrivent très forts ont vécu tout ce que j’ai vécu plus jeune : les gonzesses, la bringue… J’ai vécu, moi je te le dis ! Et puis seront-ils aussi performants que des Ludovic Pommeret ou Antoine Guillon à 40/50 ans ?

Tu n’es pas professionnel et tu es à la recherche de partenariats. Quand tu vois l’évolution du sport, c’est une crainte ?

BM : Ce n’est peut-être pas le mot exact. Je me dis que j’aurais eu la chance de pouvoir partager tout ce que j’ai vécu avec des gens amateurs, qui sont très heureux de pouvoir échanger avec les meilleurs. J’ai démarré en pur amateur, dans l’anonymat et je rêvais de courir aux côtés des athlètes élites. Mais ça c’est voué à disparaître. Le jour où ça arrivera, je dirai ciao, bye bye, terminé !

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