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La tête et les jambes, épisode 5 : Philippe Propage, le “coach-gourou” du trail

Philippe Propage

Avec 6 titres de champion du monde obtenus par ses athlètes – dont le dernier par Blandine L’Hirondel en Thaïlande en novembre 2022 -, Philippe Propage, ancien sélectionneur de l’équipe de France de trail entre 2009 et 2021 et actuel team manager de la Women Team d’Evadict, fait figure « d’homme aux mains d’or ». Au fil des années, il a mis au point une « Méthode Propage » infaillible pour faire progresser les coureurs, quel que soit leur niveau de départ, du débutant au confirmé. Rencontre avec le moustachu le plus coté du coaching, qui nous livre 5 vérités.

Vérité n°1 : Prendre en compte les capacités d’entraînement

Philippe Propage : La première règle, c’est de comprendre que c’est la disponibilité qui va définir l’entraînement, et non pas l’inverse. Prenons un exemple tout simple : 2 femmes qui valent 40 minutes sur 10km, donc qui courent déjà bien, à 15km/h de moyenne. Elles ont 30 ans. Si je les mets côte à côte, ce sont les mêmes. Sauf que l’une est prof agrégée – donc 15 heures de cours par semaine -, travaille à mi-temps, est célibataire et vit chez ses parents, tandis que l’autre est mariée, 3 enfants, est infirmière et fait des nuits. Si je suis entraîneur et que je ne m’occupe que de la partie sportive, j’ai les deux mêmes athlètes et je vais donc les entraîner plus ou moins de la même façon. Mais si je suis coach, je vais prendre en compte à la fois leurs capacités sportives, mais aussi leur vie familiale et professionnelle.

La prof à mi-temps, sa limite, elle est physiologique. Elle pourrait s’entraîner 6 ou 7 fois par semaine, c’est son corps qui dira stop. À l’inverse, l’infirmière, si je lui propose de s’entraîner 5 fois par semaine, elle va mettre en difficulté son couple, sa vie de famille ou sa vie professionnelle. Elle-même me dira au bout d’un certain temps qu’elle n’y arrive pas, et elle pourrait culpabiliser, se sentir dévalorisée et s’affaiblir psychologiquement. Donc elle, même si dans mon esprit d’entraîneur j’avais pensé l’entraîner 5 fois par semaine, je ne vais lui proposer que 3 séances par semaine. Si elle est en capacité de les faire, elle sera psychologiquement plus forte.

Le rôle du coach

Philippe Propage : Bien sûr, il y a une réalité : celle qui a du temps pour s’entraîner a plus de chances de réussir que celle qui n’en a pas. On va par exemple aller sur moins de volume pour celle qui peut moins s’entraîner, et aller à l’essentiel. Et ce sera d’autant plus compliqué qu’il faudra tenir compte de sa fatigue due à son emploi et sa situation familiale. Mais il faut faire avec. C’est ça, le coaching. Mieux vaut partir sur un entraînement à 3 séances par semaines et s’apercevoir qu’au final on peut en faire 5, plutôt que l’inverse. Cette approche adaptative est essentielle, c’est l’entraînement qui doit coller au mode de vie, pas l’inverse.

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Philippe Propage et la team Evadict Woman, avec juste derrière lui Blandine L’Hirondel, double championne du monde de trail. Photo Evadict / DR

L’exemple de Blandine L’Hirondel

Philippe Propage : Prenons l’exemple de Blandine L’Hirondel, qui est gynécologue et qui enchaîne parfois des gardes jusqu’à 3 jours de suite pour se libérer du temps ensuite. Si tu regardes son plan d’entraînement sans savoir ça, tu vas voir que pendant 4 jours elle ne va presque rien faire, et qu’ensuite elle va s’entraîner 2 fois par jour pendant 3 jours qui suivent. Et tu vas te dire que le coach qui lui fait faire cet entraînement est fou. Mais quand tu connais sa situation, tu comprends que je m’adapte à ses disponibilités, en chargeant les jours où elle ne travaille pas, et en faisant le minimum syndical les jours où elle est de garde et le jour de repos qui suit.

Vérité n°2 : Mieux vaut une séance de moins qu’une séance de trop

Philippe Propage : C’est un point essentiel que j’essaie d’inculquer à ceux que j’entraîne. Vouloir à tout prix faire une séance, sur de la fatigue, alors que c’est parfois un simple footing tranquille, n’est pas forcément bénéfique. Cela signifie qu’il ne faut pas que les athlètes soient trop dépendants des consignes données par les coachs, qu’ils sachent aussi écouter leur corps. Ça peut paraître tout bête, mais c’est parfois compliqué. Sans prétendre être un gourou, je dois prendre en compte le fait que les athlètes, quand je leur demande de faire telle ou telle séance et qu’ils ne peuvent pas, se sentent presque coupables. Alors qu’entre nous, rater une séance de footing d’une heure, ça ne va pas changer la face du monde. Mais eux, comme ils ont une grosse confiance en moi, ils ont du mal à accepter de ne pas suivre mes instructions à la lettre.

Par exemple, Blandine m’envoie souvent des textos en m’expliquant qu’à cause des accouchements, elle ne pourra pas faire telle ou telle séance parce qu’elle est fatiguée. Et quand je lui dis « pas de problème », je m’aperçois le lendemain qu’elle a culpabilisé et qu’elle a quand même fait la séance en question, parce qu’elle s’est dit que si je lui avais prescrit cette séance ce jour-là, c’était incontournable, il fallait qu’elle la fasse.

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Blandine L’Hirondel, sacrée championne du monde de trail long à Chiang Mai, Thaïlande, en novembre 20022. PHOTO DR

L’exemple de Thomas Cardin

Philippe Propage : Thomas Cardin est un des rares qui est capable de m’envoyer un texto pour me dire qu’il se sent fatigué et qu’il ne fera pas l’entraînement. J’aime ça. Si je lui dis qu’il faut le faire quand même, il le fera, mais ça ne sera pas profitable. Donc cet entraînement qu’il n’a pas fait, soit c’était un simple footing et je ne dis rien, ce n’est pas grave, soit il était essentiel à mes yeux et je vais le reprogrammer. Pas le lendemain ni le surlendemain, pour ne pas chambouler tout le plan d’entraînement, mais il va le retrouver une semaine ou deux plus tard, quand il sera dans de bonnes conditions.

Vérité n°3 : Savoir rester simple

Philippe Propage : La course à pied est le sport le plus simple du monde, c’est naturel. Il ne faut donc pas trop vouloir compliquer les choses. 98% du peloton vient faire du trail pour le plaisir, pas pour se creuser la tête. C’est donc avec des mots simples que j’explique aux athlètes (par athlète, j’entends personne qui court, que que soit son niveau) comment progresser et s’améliorer, sans forcément vouloir faire de la compétition. La majorité des gens cherche à être finisher, ce qui ne signifie pas juste finir, mais finir dans de bonnes conditions. Arriver sans marcher avec des béquilles, quoi.

Je ne suis pas un scientifique, je n’ai même pas mon bac. Je ne sais pas comment ça se passe à l’intérieur de l’organisme, je ne vais pas dans les labos faire des essais, ce n’est pas mon truc. Cela fait 35 ans que j’entraîne. Je faisais des trails dans les années 98-99, et ensuite j’ai commencé à m’intéresser à l’entraînement trail. Comme j’avais des bases d’entraînement marathon, je les ai reprises pour les adapter au trail. Et tout de suite, des gens qui avaient eu des résultats avec moi sur la route et qui sont passés à trail m’ont fait confiance. C’est ensemble, avec ces athlètes, qu’on a tout mis en place. Et ce qu’on fait aujourd’hui, c’est globalement la même chose que ce que je faisais au début du siècle sans rien savoir, mais en appliquant au trail ce que j’avais mis au point sur la route.

Vérité n°4 : Mettre de la progressivité et structurer les entraînements

Philippe Propage : Je pense qu’on peut faire progresser les gens, quel que soit leur but, simplement en structurant un peu leur entraînement. Et ça commence par la progressivité. On ne s’entraîne pas toutes les semaines de la même façon. On monte progressivement, de semaine en semaine, aussi bien sur du volume que de l’intensité, et au bout de la 3e semaine, on va faire une semaine de récupération, automatiquement. Et ensuite on va repartir sur 3 semaines en montant, puis une semaine où l’on redescend, et ainsi de suite. La progression n’est pas quelque chose de linéaire, il faut accepter de redescendre pour pouvoir repartir sur un nouveau cycle. Cela s’appelle structurer un entraînement.

Parfois, en restructurant ce que les gens ont l’habitude de faire, mais en l’aménageant de façon différente, selon une façon qui leur est propre, on peut obtenir de bons résultats. Par exemple, en mettant une séance au bon endroit dans la semaine. Ou en conseillant de couper un peu avant une compétition, pour pouvoir courir avec plus de fraîcheur. Certains sont de très bons coureurs, mais ils s’entraînent tellement jusqu’au dernier moment pour se rassurer qu’au final, ils arrivent fatigués et n’obtiennent pas les résultats qu’ils comptaient. Et ils ne comprennent pas, parce qu’ils se sont bien entraînés.

L’exemple de Ludovic Pommeret

Philippe Propage : Chez les élites, prenons l’exemple de Ludovic Pommeret, qui est significatif. Il est venu me voir en 2015, il avait déjà la quarantaine et courait bien, mais il n’avait pas de structure dans son entraînement. Il partait de chez lui et il courait, c’est tout. Comme c’est quelqu’un qui est physiologiquement au-dessus de la moyenne, comme tous les grands champions, il avait des résultats. Mais il avait une marge de progression.

Je me suis donc contenté de structurer son entraînement. Je lui ai dit de courir un peu moins, mais à des moments plus ciblés. Parfois de courir un peu plus vite, au lieu de courir vite tout le temps. Et parfois un peu plus lentement. Et ça a marché, forcément… Depuis, il a fait de gros résultats, il a gagné l’UTMB en 2016, il a fait 5 fois les Championnats du Monde, il a gagné la Diagonale des Fous en 2021, la TDS en 2022, à 47 ans !

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Ludovic Pommeret à l’arrivée de la TDS, en août 2022. Photo Organisation UTMB / DR

Vérité n°5 : Savoir s’adapter en course, clé de la performance

Philippe Propage : À un moment donné, on établit une stratégie de course. Mais cette stratégie peut être bouleversée, pour plein de raisons. Par exemple, si les jambes ne sont pas au rendez-vous, il faut être capable de trouver une autre solution. Ou si d’autres athlètes n’adoptent pas la stratégie qu’on attendait d’eux, s’ils attaquent très tôt par exemple alors qu’on pensait faire une course d’attente… Cette faculté de s’adapter quand une stratégie a été mise en place mais ne se déroule pas comme prévu est essentielle. Par exemple, avec Thomas Cardin, sur la SaintéLyon 2021, j’ai raté un ravitaillement où il devait changer de lampe frontale. Du coup, il n’avait plus de lumière et il a dû rester et courir avec d’autres coureurs jusqu’à ce que je le retrouve.

Certains athlètes savent s’adapter, d’autres non. Quand tout est aligné, ils sont imbattables, mais si il y a un truc de travers, tout s’écroule. Ça m’arrive d’ailleurs régulièrement de voir des athlètes qui ont tout dans la caisse à outils pour performer et qui passent régulièrement à côté des rendez-vous. Et je me dis qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec leur coach. C’est au coach d’avoir le bon discours avec telle ou telle personne. L’entraîneur aide l’athlète à être plus performant, le coach aide l’athlète à s’épanouir. Or un athlète qui n’est pas épanoui ne pourra pas être performant.

Philippe Propage vu par « ses » athlètes

Thomas Cardin
« Je pense qu’une des grandes forces de Philippe est qu’il sait très vite comment optimiser celui ou celle dont il s’occupe. Il a un don particulier pour saisir très rapidement quelles sont les qualités préexistantes d’un coureur. Celles sur lesquelles il va pouvoir s’appuyer et du coup en déduire des potentialités de progression tout en ciblant les éventuels « défauts » ou « faiblesses » sur lesquelles travailler. »

Ludovic Pommeret
« L’idée générale était principalement d’atteindre des pics de forme sur des moments précis de la saison, calés en fonction de mes objectifs définis en début d’année. Tout le travail que j’ai à fournir n’a alors qu’un but : être à mon optimum le jour J ! Les recettes concoctées par Philippe sont toujours à mon menu et mes résultats semblent, aujourd’hui encore, démontrer la pertinence de tout le travail accompli en commun. »

Blandine L’Hirondel
« Dans une course, le mental c’est 80% ! Pas facile à croire, et pourtant… Et puis il sait comment éviter les stress inutiles. Pas d’injonctions, pas de chiffres, il ne précise jamais l’intensité. Il laisse plus les sensations parler. Mais lui, il sait où j’en suis ! Grâce à ce travail en commun, je me connais de mieux en mieux, j’ai appris à utiliser au mieux les mauvais moments, à m’en servir de façon positive. J’ai compris tant de choses sur moi. Après ma victoire aux Mondiaux (allusion à sa victoire en 2019 en Argentine, NDLR), ma belle aventure avec Philippe n’a jamais cessé et les bons souvenirs continuent de s’accumuler. »

Source : La méthode Propage

La méthode Propage, le livre

Dans cet ouvrage, vous retrouverez :
– Les grands principes de la méthode Propage, illustrée par des témoignages de coureurs ;
– 30 plans d’entraînement synthétiques pour préparer tout type d’épreuve de trail ;
– 60 questions/réponses pour conseiller et répondre aux interrogations courantes liées à la progression du coureur.
La méthode Propage – Les secrets du coach le plus titré du trail ! Par Philippe Propage et Arnaud Serre. Turbulences Editions. 25 €.

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